Politique

Premiers mai

Publié le 08/05/2024 à 16:50 | Écrit par Un radis noir | Temps de lecture : 03m21s

Non, nous ne sommes pas victimes du décalage horaire de ce mois de mai en pointillé. Cet article est paru dans l’édition papier de mai justement, disponible depuis le défilé des Travailleurs. Voilà!

1er mai. 1886. Grève générale pour la journée de huit heures impulsée par les anarchistes américains. Lutte pour la réduction du temps de travail. Déjà. La grève se prolonge notamment à Chicago. Police armée. Feu sur les manifestants. Deux morts, cinquante blessés. Répression armée et violence policière. Déjà. Protestation sur Haymarket Square. Malgré l’absence de troubles et les consignes du maire, le chef de la police fait charger ses hommes contre les derniers manifestants. Une bombe, un affrontement violent, sept policiers tués. Provocation policière gratuite. Déjà. Huit arrestations. Fausses preuves et extorsions d’aveux. Déjà. Discours sur la sauvegarde de la République et des institutions contre l’anarchie, procès inique et condamnation pour l’exemple. Déjà. Quatre anarchistes pendus (réhabilités en 1893). Criminalisation du mouvement ouvrier. Déjà.

1er mai. 1890. Première journée internationale de manifestations pour la réduction de la journée de travail à huit heures, décidée par la Fédération américaine du travail et la IIème Internationale.

1er mai. 1891. À Fourmies, dans le Nord. Une manifestation est organisée avec appel au calme. Le patronat s’y oppose et fait jouer ses relations avec le sous-préfet. Trois compagnies d’infanterie mobilisées. Les gendarmes empêchent la journée de se dérouler normalement. Les esprits s’échauffent, des cailloux volent, la troupe tire pour tuer. Neuf morts (dont des enfants) et plus d’une trentaine de blessés.

1er mai. 1920. La Russie bolchévique en fait la fête légale des travailleurs.

1er mai. 1941. Pétain renomme la “Fête des travailleurs” en “Fête du Travail et de la Concorde sociale”. Négation la lutte des classes, minoration des travailleurs, encensement de la “valeur travail”. Déjà.

1er mai. 1947. Réinstitué jour chômé et payé dans le code du travail, sans nom officiel, sur proposition du député socialiste Daniel Mayer, avec le soutien du ministre communiste du Travail Ambroise Croizat.

1er mai. 1955. Le Pape Pie XII en fait la fête de saint Joseph, patron des travailleurs.

1er mai. 1988. Jean-Marie Le Pen en fait un événement frontiste en décalant la date de la “Fête nationale de Jeanne d’Arc et du patriotisme” instaurée en 1920 par la droite nationaliste française, pensée comme alternative au 14 juillet révolutionnaire, et vite appropriée par les extrêmes-droites. JMLP y voit l’occasion de créer un événement pour la présidentielle, mais aussi une stratégie confusionniste en se démarquant des groupuscules les plus durs et en se donnant un vernis “social”.

1er mai. 2012. Un malfrat devenu président veut en faire la “fête du vrai travail” pour “célébrer la valeur travail” après avoir dit que “le travail rend libre” (comme on dit outre-Rhin).

1er mai. 2019. Un béjaune devenu président, se prenant pour un démiurge dont le verbe seul crée la réalité, tente d’en faire “la fête de toutes celles et ceux qui aiment le travail, le chérissent”.

1er mai. 2024. Et vous ? Qu’allez-vous faire ce jour-là ? Commémorer la Pucelle d’Orléans ou le “papa” du p’tit Jésus ? Profiter de cette “Fête du travail” sans travail ? Défiler pour prier le gouvernement de respecter les droits des “travailleurs” ? Célébrer nos conquis sociaux et rendre hommage à nos camarades tombés sous les coups de la bourgeoisie et de ses nervis ? Ou vous revendiquer comme “travailleur” au sens d’acteur de la classe ouvrière révolutionnaire visant à abattre le capitalisme ?

L’Histoire montre que les mots et les symboles sont déjà au cœur de la lutte. Le Capital ne s’y trompe pas, qui valorise la “valeur travail” et rend hommage à la condition dominée du “travailleur” pour mieux conjurer son potentiel révolutionnaire. Le sens même du verbe “travailler” est objet de conflit. Pour le bourgeois, “travaille” qui valorise le capital.

Quant à nous ? Sommes-nous bien au clair avec nos propres définitions et concepts ? Acceptons-nous que le “travailleur” ne soit qu'un individu qui mérite de gagner dignement sa vie par sa pénible subordination aux injonctions capitalistes ? Ou bien imposerons-nous le fait que le “travailleur”, en tant que créateur de toute richesse produite, doit avoir le pouvoir sur le Travail (organisation, investissement, affectation de la valeur produite…) ? Voulons-nous demeurer les “travailleurs” soumis du Capital, ou bien devenir les “travailleurs” de l’émancipation communiste et démocratique ?




À propos de l'auteur(e) :

Un radis noir

Être radical, ce n’est pas être extrémiste ni fanatique : c’est s’intéresser à la racine des choses… À la racine des mots, pour pouvoir aiguiser les idées et les concepts… À la racine des maux, pour pouvoir espérer y remédier.


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