Politique

L’européisme, c’est de la merde

Publié le 08/06/2024 à 10:40 | Écrit par Uhm | Temps de lecture : 06m23s

Comme le disait Léodagan : “Ce qu’il y a de bien avec les opinions tranchées, c’est qu’ça relance le débat”. L’expérience montrant qu’un simple titre un tant soit peu clivant peut susciter une immédiate envie d’écrire au journal, peut-être que – rêvons un peu – nous finirons par recevoir un bel article argumenté d’un(e) européiste à propos de son objet de culte. Car nous rappelons que Libres Commères est ouvert à la diversité des opinions, et que si vous trouvez son contenu trop (et mal) orienté, il vous suffit de prendre votre plume pour rétablir l’équilibre sans même avoir besoin de passer par une commission d’enquête parlementaire à la con avec un Bataillon de président en carton qui se vautre avec délice dans la fange bolloréenne à la première occasion.

Bref. Revenons à nos moutons européistes. Consterné depuis toujours par l’imbécillité de leur rhétorique fanatique, et tout misanthrope que je sois, je m’inflige régulièrement de les écouter avec attention et charité en guettant tout signe de rémission. Soupir.

L’abandon de l’argument usé jusqu’à la corde de l-europe-c-est-la-paix ne semble pas vraiment porteur d’espoir : vu la tragi-comédie ukrainienne, on peut juste dire que les euro-gagas ne sont pas définitivement bons à enfermer. C’est déjà ça. “Mai-ai-ai-ais ! C’est la faute au vilain Poutine !”, bêleront certains. On rappellera vite fait que l’alignement systématique de l’Union européenne (UE) sur les intérêts états-uniens et la manie apparente de vouloir satelliser tous les anciens pays du glacis défensif russe de l’ère soviétique auront largement conduit à cette guerre (soutien à l’Euromaïdan, accords de Minsk bidons comme l’ont révélé Merkel et Hollande, sabotage d’un début de négociation par l’entremise de Johnson, etc.).

Alors où en est-on des éléments de langage (j’ai du mal à appeler ça des arguments) des européistes en ces temps de campagne pour les élections européennes ?

On a toujours les grands classiques : demain l’Europe sociale, l’Europe démocratique, l’Europe de la justice fiscale… Des thématiques que l’on retrouve dans les slogans depuis les premières élections européennes en… 1979 ! Autant dire que, cette fois, au bout de presque un demi-siècle d’attente, c’est sûr, nos espoirs vont en-fin être récompensés !

Tiens, d’ailleurs, on retrouve sur Internet une affiche de la Communauté européenne, très épurée, avec le titre “L’Europe, c’est l’espoir.”, juste au-dessus d’une image comme on peut en trouver à la sortie des églises, un paysage pastel et chaud d’un lever de soleil, la silhouette blanche d’un homme-oiseau qui s’élève dans les cieux en regardant vers le haut, icare moderne qui ne s’est pas encore cramé les ailes, et en bas : “10 juin 1979 – Choisissez votre Europe” – 26 ans avant que les français ne choisissent le non au Traité constitutionnel européen (TCE) qui leur sera imposé par leurs parlementaires trois ans plus tard. C’est beau. C’est mystique. L’européisme est une religion dégénérée du christianisme : acceptez mille souffrances ici-bas pauvres mortels, mais ayez la foi, continuez d’espérer : le paradis européen vous attend au bout du tunnel du purgatoire néolibéral… Quelle merde.

Parenthèse. Je parle de religion dégénérée du christianisme. Emmanuel Todd parle de “catholicisme zombie” et de “forme résiduelle de la subculture catholique périphérique”, et s’appuie sur son demi-siècle de travaux d’anthropologie, d’histoire, de démographie et de statistique sur la détermination des idéologies et des systèmes politiques et religieux par les structures familiales pour établir une filiation entre le catholicisme, le socialisme réactualisé dans les années 1960 et l’européisme né dans les années 1980. En gros, les cathos orphelins d’une religion agonisante se sont tournés vers un nouveau type de socialisme (ce qu’on observe dans la transformation de la CFTC en CFDT en 1964), puis se sont cherchés une nouvelle religion de substitution après l’effondrement des promesses de la “social-démocratie” au début des années 1980 (le fameux “tournant de la rigueur” de 1983) et ils l’ont trouvée avec l’européisme.

Todd ironise d’ailleurs sur le remplacement du “Dieu unique” par la “monnaie unique”. En 2015, dans “Qui est Charlie ? – Sociologie d’une crise religieuse”, il lance l’une de ses pertinentes intuitions : “le catholicisme était ancré dans des régions où les structures familiales étaient rétives au principe d’égalité. N’est-il pas vraisemblable que les catholiques zombies, en s’intégrant au Parti socialiste, plutôt que de se convertir à l’égalitarisme des régions centrales, ont déposé au cœur de la gauche leur bagage inégalitaire ? Ne tenons-nous pas ici l’élément clé qui expliquerait […] les complaisances du PS envers les banques [et] sa frénésie sans cesse plus affirmée d’ordre et d’austérité ? [L’euro] n’en [finit] pas de torturer le corps social, de gangréner la démocratie. Le PS devient peut-être au fond plus insensible, plus dur aux faibles que ne l’était la droite conservatrice. Le catholicisme social, lui, méprisait l’argent et encourageait chez les privilégiés le sentiment d’une responsabilité vis-à-vis des pauvres.”

Autre mantra européiste : l’Europe serait l’échelon pertinent. Pertinent pour quoi ? Bah, à peu près tout : la défense, le commerce, l’écologie, l’énergie… Faire des trucs à plusieurs, c’est mieux que tout seul. Pourquoi pas. Mais deux questions méritent d’être posées.

Primo, s’il n’est pratiquement pas possible de prendre une décision collégiale à cet échelon, en quoi est-il pertinent ? Or les divergences de vue combinées aux mécanismes européens rendent quasiment impossibles certaines décisions. (Ok, sauf si c’est l’Allemagne qui veut un truc et qu’elle est prête à flinguer l’économie d’un pays comme la Grèce ou la Hongrie pour obtenir gain de cause – sauf le respect et l’amitié entre les peuples, il va sans dire.)

Secundo, en quoi est-il plus pertinent de prendre des décisions communes avec des pays avec lesquels on ne partage guère que le fait d’appartenir à l’UE plutôt qu’avec d’autres pays plus proches géographiquement (Méditerranée par exemple), culturellement (comme la Francophonie) ou politiquement ? Rappelons que l’Europe n’existe pas : ce n’est qu’un ensemble de traités qui lient quelques pays entre eux. Asselineau est plus calé que moi sur le sujet (vous connaissez l’UPR ?!), mais la France doit avoir ratifié cinq ou six mille traités, alors pourquoi en fétichiser deux ou trois en particulier et s’empêcher de voir plus large ? Et en passant, non, un éventuel “frexit” ne signifierait pas l’éradication du territoire français de la carte du monde ni le retour à une sorte d’autarcie préhistorique : le commerce international français existait avant l’UE (et autres traités de libre-échange), et il existera encore après. Et qu’on arrête de nous saouler avec Erasmus ! Pas besoin de l’UE pour faire ce genre de choses !

Allez, une dernière horreur avant de conclure : le prophétique “saut fédéral”. Soit grosso modo le fait de transformer l’Europe en super-État et lui donner encore plus de pouvoir politique (donc en laisser encore moins aux nations actuelles). Les européistes sont des nationalistes qui s’ignorent, malgré leurs dénonciations psalmodiques du nationalisme et du souverainisme franchouillard, du “repli sur soi” et des “égoïsmes nationaux à dépasser”… (Qu’ils réussissent déjà à faire tomber l’égoïsme des milliardaires et des multinationales, et ensuite ils viendront nous expliquer pourquoi c’est important de renoncer à notre modèle social et de jouer à la “concurrence libre et non faussée” avec le salaire minimum ukrainien à 180€.) Ils conchient les arriérés encore attachés à la nation française, mais ne rêvent que de l’avénement d’une (supra-)nation européenne hors-sol encore pire que l’autre. Car sans démocratie. Et même sans peuple, sauf à considérer que le fait d’agglomérer des nations blanches et chrétiennes (seuls points communs des peuples européens) suffit, révélant ainsi que le projet européen est un projet nationaliste autoritaire et ethno-religieux (ce que confirment les égards faits aux réfugiés ukrainiens quand on laisse ceux d’Afrique se noyer en mer par milliers).

Conclusion : l’européisme, c’est de la merde. Conclusion provisoire, en attendant les contre-argumentations européistes…

 

Et certaines réponses sont arrivées depuis la publication de ce texte dans le numéro papier de mai. Vous pouvez les retrouver dans la rubrique « Parlement européen : pourquoi y aller? 




À propos de l'auteur(e) :

Uhm

Noir comme la liberté des anarchistes. Rouge comme l’égalité des communistes. Vert comme la fraternité des humanistes. Énervé comme un homme de gauche dans un monde ravagé par le capitalisme. Misanthrope de désespoir.


Un humaniste misanthrope

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