Société

Encore une tentative de francocide au couteau !

Publié le 09/06/2024 à 09:34 | Écrit par Un radis noir | Temps de lecture : 03m46s

3 juin 2024 sur Europe 1. Un journaliste rapporte un fait divers survenu l’avant-veille lors d’un mariage dans le Tarn-et-Garonne : « Alors que le cortège se dirigeait vers l’Hôtel de Ville, une bagarre d’une extrême violence a éclaté. Le père de la future mariée a sauté sur son futur gendre, l’a poignardé de sept coups de couteau. Le père ne supportait pas que sa fille de 25 ans épouse un homme de 40 ans de plus qu’elle. »

Titre de la vidéo sur la chaîne Youtube de Europe 1 : « un mariage tourne au pugilat » ; ici, pas de grands débats lexico-politique sur le sens des mots, ni “rixe”, ni “attaque”, ni “tentative d’assassinat”, mais un simple “pugilat”, qui signifie étymologiquement un combat à coups de poings, et non de poignard.

Puis tentative de duplex laborieuse avec le maire du village, ancien international de rugby qui a neutralisé l’agresseur. L’ambiance est détendue, rieuse même ; ici, pas de mines graves, pas de ton tragique.

Puis la séquence commentaire politique. Jean-Claude Dassier, intervenant régulier de la bolloréosphère et membre du comité directeur de Valeurs actuelles, manifestement un peu embarrassé par ce sujet, se veut mesuré et ne veut « pas faire de généralités » ; ici, il n’assénera pas de grandes théories politiques basées sur cette simple anecdote.

Il rappelle que les agressions au couteau sont « très à la mode » : « on passe dans la cuisine, on ouvre un tiroir, on prend un couteau » ; ici, pas de thèse de préméditation haineuse, alors même que l’agresseur avait prévenu le maire qu’il viendrait « foutre le bordel » et que ce dernier en avait informé la police la veille du mariage.

« Bon, là, ça me paraît être une… [haussement d’épaules et petit rire étouffé] une histoire… Je ne sais pas s’il avait bu ou pas […] Bon, finir ses jours en prison tout ça parce qu’il y avait 40 ans de différence d’âge, ça ne les vaut pas… Bon, qu’il ne soit pas content, ça peut se concevoir, qu’il aille jusqu’à essayer de tuer ce malheureux gendre, c’était ridicule… » ; ici, pas de grandes envolées lyriques sur le droit des femmes à aimer qui bon leur semble, ni sur l’arriérisme axiologique ou civilisationnel de l’agresseur ; ici, minimisation de la portée symbolique de l’acte.

« Ou il avait bu, ou il est fou ! » ; ici, la thèse d’un individu qui a manifestement « perdu les pédales » suffit amplement à expliquer ce drame « mis sur le compte de l’immense sottise » ; ici, compassion pour « ce malheureux qui va passer le reste de ses jours en prison ».

Le journaliste, mal assuré, se lance dans une acrobatie rhétorique assez casse-gueule, hésitant et soupesant chaque mot : « On ne peut pas ne pas se dire que… ce geste n’a pas été… ambiancé… par un climat, par une atmosphère… on regarde les nouvelles… on entend le journal à la radio… on lit les faits divers dans les journaux… » Inquiet de la manœuvre de son collègue, Dassier bougonne en arrière-plan avec des « Mouais, peut-être… ». Le gauchiste malveillant y verra une insinuation quant à une importation de la pratique censément typique des arabo-musulmans de l’attaque à l’arme blanche (même quand il n’y a pas d’arabes impliqués, c’est quand même un peu de leur faute) ; l’optimiste sous euphorisants y verra plutôt une remise en cause de journalistes qui peuvent tenir des semaines en montant systématiquement en épingle ce genre d’affaire (quand l’agresseur est un racisé, évidemment) pour exciter les peurs et les haines de l’électeur franchouillard.

Un autre chroniqueur, petit rictus goguenard sur les lèvres : « Non mais là on est clairement dans ce qu’on appelle un fait divers. […] Heureusement aujourd’hui ici à la radio sur Europe 1 […] on constate et on commente et on le nie pas et c’est la preuve aussi que on choisit pas du tout les affaires qui nous arrangent ». Sur Europe 1, on ne choisit pas les affaires, mais on les traite bien différemment, avec gravité ou avec désinvolture, avec un enthousiasme morbide ou avec un certain embarras, en étant compatissant ou impitoyable avec l’auteur des actes, avec des généralisations abusives qui permettent d’embrayer sur de grande théories fumeuses et funestes ou avec prudence et mesure, en utilisant des concepts douteux comme “francocide” ou pas (ce mot censé dire qui a été tué utilisé par les droites pour dire qui a tué)…

Mais cette approche différenciée nous est expliquée par le chroniqueur : « Ce soir, on est là pour parler d’un vrai fait divers, qui n’est pas du tout un fait de société ». Et voilà le mystère levé ! Comme il y a le bon et le mauvais chasseur, il y a le vrai fait divers purement anecdotique, et le fait divers, élevé au rang de “fait de société”, dont il faut tirer des conclusions politiques (d’extrême-droite).

De la France rurale aux grands ensembles périurbains, de l’Ukraine à la Palestine, de Washington à Moscou, le double standard est la pelle avec laquelle les adeptes du “choc des civilisations” de Samuel Huntington creusent patiemment leur propre tombe, celle de “l’occidentalisme”.




À propos de l'auteur(e) :

Un radis noir

Être radical, ce n’est pas être extrémiste ni fanatique : c’est s’intéresser à la racine des choses… À la racine des mots, pour pouvoir aiguiser les idées et les concepts… À la racine des maux, pour pouvoir espérer y remédier.


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