Osons le commérage !
Entre nous, entre gens de gauche, on peut se le dire : notre défaut, c’est évidemment nos scrupules. Avec une extrême droite aux portes du pouvoir et un président prêt à l’accueillir, il devient urgent de libérer notre parole. Il faut en finir avec la bien pensance macroniste et lepeniste ! D’abord, ça soulage, ensuite et surtout : comment pourrions-nous agir sur le monde, si l’on bride nos analyses pour ménager le bourgeois et le facho ?
Et parce qu’à gauche, on a le souci de l’exigence, notre propos s’appuiera sur les analyses de l’historien, l’universitaire, le spécialiste du nazisme, Johann Chapoutot.
La bête immonde
1) Commençons toujours, et en toute occasion, par rappeler avec Chapoutot, qu’« en France, on a un parti d’extrême droite qui a été fondé par des Waffen-SS, des miliciens, par des gens de l’OAS, des tortionnaires de l’Algérie française, ce qui était le cas de Jean-Marie Le Pen. Et [que] cette histoire là n’a jamais ni été démentie, ni critiquée [en interne]. Elle n’a jamais fait l’objet d’une contestation ou d’un retour réflexif en interne ou de démenti etc (…).
2) Considérons comme de mauvaise foi, mensonger, et potentiellement complice tout discours dédiabolisant l’extrême droite. Le FN-RN a été, est et restera toujours un parti d’« affreux, sales et méchants ». Cinq minutes de recherche sur internet suffisent pour découvrir que depuis 2022, des élus RN ont été condamnés pour : avoir filmé des images suggestives d’une adolescente à son insu (Jean-Marc Branche, conseiller RN Compiègne, Oise), violence conjugale (l’eurodéputé ex-RN Hervé Juvin, RN au moment des faits), harcèlement moral (Gabriel Orain, candidat non élu RN à La Couyère en Ille-et-Vilaine), délit financier (Florent de Kersauson, élu régional RN, Bretagne), népotisme et prise illégale d’intérêt (Stéphane Ravier, élu RN, puis Reconquête, Bouches-du-Rhône), travail dissimulé (Trois ex-collaborateurs du RN à la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur, collaborateur au moment des faits). Et on peut ajouter le procès en cours pour détournement de fonds européens (Marine Le Pen, Jean-Marie Le Pen, et des dizaines d’autres membres).
3) Ne nous voilons pas la face : le vote d’extrême droite est et restera toujours un vote raciste. Personne ne vote pour des héritiers de nazis, de collabos et de tortionnaires : « pour protester », « parce qu’il est beau et jeune (Jordan Bardella) », « parce qu’on n’a jamais essayé ». Considérons l’électeur comme un raciste complexé et menteur, plutôt que comme un « idiot » qui aurait mal compris. Réjouissons-nous que les électeurs RN soient conscients de l’infamie qu’est le racisme, au point de systématiquement le dissimuler !
Johann Chapoutot, notre historien, analyse bien les ressorts du vote RN-FN : « On le sait le FN-RN ne changera rien à la politique néolibérale, mais par contre, propose - et c’est en cela qu’il peut séduire le bloc bourgeois aussi - une variable d’ajustement qui sont des gens qu’on va exclure. D’abord et avant tout les immigrés ou ceux qu’on considère comme étant d’origine étrangère (...) on laisse les élites en place, on continue la logique de prédation et de profit, mais par contre, on jette en pâture à une majorité qui souffre une sorte bouc émissaire ou de variable d’ajustement sur lesquels on va taper. »
Pour l’historien cela correspond à une joie mauvaise qui consiste reporter sa frustration sur autrui, lorsqu’on est soi-même dominé et écrasé. L’hypothèse est corroborée par les travaux de Félicien Fory sur l'électorat d'extrême droite dans le sud-est de la France. Les électeurs, qu’il étudie, considèrent qu’on ne peut rien changer (les milliardaires, les millionnaires, l’abrogation de l'ISF, etc.), qu’il y a un monde social darwiniste cruel, odieux ; mais c'est comme ça. Mais, par contre on va pouvoir se venger sur autrui.
Ne les jugez pas trop durement. Le RN leur fait la promesse fondamentale que « les étrangers souffriront davantage qu’eux », tandis que la gauche leur promet « un monde meilleur, plus juste, plus libre et plus égalitaire ». Après toutes les déceptions du XXe siècle, il devient compréhensible (mais non excusable) que certains préfèrent placer leur résignation dans le RN, plutôt que leurs espoirs dans la gauche.
Que faire alors de l’électeur RN-FN ? A titre personnel, je propose de séparer l’homme (ou la femme), du raciste qui sommeille en lui. Le raciste est irrécupérable, insauvable ; à discuter avec lui, vous ne réveillerez que la bête immonde. Présenter leur un argument, une brillante démonstration et vous ne ferez rien d’autre qu’ajouter un jeton à une machine à sou. A leur tentative pour ouvrir des débats qui fâchent, je vous suggère de les ignorer avec bienveillance. Ne vous inquiétez pas, il demeure tous les autres aspects de la vie. On peut pique-niquer, jouer au foot, et pourquoi pas discuter de la météo avec ces gens-là, d’autant plus que leur bête immonde n’est qu’abstraitement enragée. Grand nombre d’entre-eux aideront sans hésiter un racisé tombé en panne près de leur maison, sans que cela n’affecte leur conception raciste du monde.
Le camp du « taré à la tête de l’État » *1
Donnons la parole à notre historien : « La macronie, c’est quand même une sale engeance. Ce sont des rebus de BDE*2 d'école de commerce qui ont un rapport purement utilitariste et prédateur aux choses. Ils viennent, ils se servent, ils cassent, ils repartent. C'est typiquement un BDE d'école de commerce qui fait une soirée : ils viennent, ils cassent tout, ils s'en vont disant qu'après tout ce n'est pas chez eux et qu’ils ne sont pas responsables. Ils font ça avec l'hôpital, ils font ça avec l'école, ils font avec la police, il font ça avec l'état de manière générale, ils font ça avec le langage politique, avec la démocratie. On a élu des gens d'une médiocrité morale et intellectuelle qui est quand même assez stupéfiante. »
Souvenons-nous (liste non exhaustive)
Des affaires Benalla, Kholer, McKinsey
De ces nominations de ministres accusés d’agressions sexuelles
De ce garde des sceaux jugé pour prise illégale d’intérêt
De cette défense du président d’un acteur multi-accusé de viol
De ce ministre de l’éducation, menteur, engagé dans de mortifères croisades
De ces gilets jaunes et manifestants éborgnés, amputés, handicapés à vie
De ces militants écologistes, syndicalistes, politiques arrêtés par la brigade antiterroriste
De ces associations dissoutes et de ces manifestations interdites
De la suppression de l’imposition sur la fortune
De la réduction des APL et des allocations chômage
De cette réforme des retraites adoptées aux forceps
De ces 49.3 utilisés à répétition
De ces travailleurs qui mourront avant d’arriver à la retraite
Des ces lois scélérates : asile-migration et sécurité globale
De cette condamnation pour inaction écologiste
De l’enrichissement de quelques- uns et de l’appauvrissement de la majorité
Le (nouveau) front populaire
Ce qu’en dit notre historien : « Très clairement, alors moi, j'ai été impressionné (...) par le sens de l'histoire, le sens des responsabilités de la part des chefs de mouvements : Marine Tondelier, Fabien Roussel, Manuel Bompard, à l'initiative de François Ruffin, poussés par des gens comme Clémentine Autin comme comme Alexis Corbière qui poussaient à l'Union, et ça s'est fait un temps record […] De ce point de vue la dynamique d'espoir, elle est à gauche très clairement, avec des gens très éclairés. Je trouve que le personnel politique à gauche est d'un excellent niveau intellectuel et moral. Par rapport au tout venant de la macronie ou de la droite, le contraste est sidérant à l'Assemblée. »
Bien sûr, à gauche, on a des débats, des disputes, des clivages et des divisions qui ne pourraient se réduire à des querelles d’égo. Des décennies de défaites, de déceptions et de désillusions, ça laissent des traces.
Les débats qui fracturent la gauche ont toute leur importance : quelle place donner à l’écologie ? Au social ? Au féminisme ? Au racisme ? A l’anticolonialisme ? Mais rappelons-nous que sur tous ces sujets, nous serons toujours plus proches les uns des autres, que nous ne le seront jamais avec les macronistes et les lepenistes.
Durant les présidentielles, divisés, nous étions selon certains observateurs : « la gauche la plus bête du monde », mais soyons justes avec nous-mêmes «la gauche la plus bête du monde » reste incommensurablement plus morale, plus créative et pertinente que n’importe quelle droite au vu des deux portraits qui précèdent. Alors que dire de la gauche la plus géniale du monde, capable de s’unir et d’unir le monde syndical, les artistes et les intellectuels de tout le pays en une semaine ?
Soyons fiers de nous !
Max Bernier
*1 expression de François Ruffin
*2 BDE = Bureau des étudiants
(NDLR: en illustration, une photographie, prise le 1er mai 2024, de la vitrine du local dolois du PCF, vandalisée dans la nuit précédente par des individus non encore identifiés par les caméras de surveillance de la police municipale. Nos soupçons vont toutefois en direction d'un groupuscule d'extrême droite local qui, s'il n'a pas revendiqué cette action, s'est vanté d'un autre fait d'armes du même acabit quelques temps plus tard.)
À propos de l'auteur(e) :
La Rédac'
Donner la parole à ceux qui ne l'ont pas, voilà une noble cause ! Les articles de la Rédac' donnent le plus souvent la parole à des gens que l'on croise, des amis, des personnalités locales, des gens qui n'ont pas l'habitude d'écrire, mais que l'on veut entendre...
Média associatif
Retrouvez tous les articles de La Rédac'