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« Plutôt Hitler que Blum ! »

Publié le 11/07/2024 à 21:01 | Écrit par Christophe Martin | Temps de lecture : 06m00s

Dieu que la droite est tatillonne lorsqu’on aborde l’immédiate avant-guerre et le régime de Vichy ! Marx que nous, les cocos, sommes mal à l’aise quand on nous rebalance le pacte de non-agression germano-soviétique dans les pattes.

L’affaire commence le 18 juin dernier, alors que le candidat du NFP, Hervé Prat, rend hommage au Général de Gaulle et à l’espoir qu’il fait naitre « au moment où la droite française clamait plutôt Hitler que le Front populaire. » La formule est connue, elle rime mais aucun historien n’en atteste la paternité à qui que ce soit, en tout cas pas avant la période Vichy-Pétain-Laval. Jean-Baptiste Gagnoux est donc monté au créneau. Je cite:

« Le post Facebook hier du candidat du Front Populaire Hervé Prat est renversant à tout point de vue. Je tiens ici à exprimer ma profonde indignation face à ces écrits qui m’oblige à réagir. Non, le 18 juin, date de célébration de l’appel historique du Général de Gaulle, n’a pas à être instrumentalisé de cette manière. On se recueille devant un monument aux morts pour commémorer, pas pour polémiquer. Non, la « droite » n’était pas avec Hitler en Juin 1940. Quelle facilité et médiocrité d’écrire des choses pareilles !!! Je rappelle, professeur d’Histoire que je suis, à Monsieur Prat, pourtant lui même professeur ! … et ses amis, que le Parti Communiste membre de leur alliance actuelle dit du « Front populaire » était allié, lors de l’appel du Général en juin 1940, par un pacte Hitler/Staline ! Le Parti communiste était donc allié à Hitler. Comment peuvent-ils aujourd’hui renverser l’Histoire de cette manière ?! Que ce soit sur le fond (historique) que la forme (mentir sur l’histoire, à des fins bassement politiciennes) ne grandit pas la politique et montre une fois de plus le danger que représente les extrêmes notamment le « front populaire ». Nous avons besoin, le pays a besoin, d’autre chose que ce genre de posture désolante et qui ne cherche qu’à diviser. » Et de recueillir les pouces bleus de tous les partisans du SNU du coin, triste fan club!

Hervé Prat s’est toutefois un peu avancé en sous-entendant que TOUTE « la droite française » était plus favorable au nazisme qu’au Front pop de l’époque et donc prête à collaborer. C’est aller un peu vite en besogne et j’ai l’impression que le post a disparu du circuit. 

Néanmoins, Denis Robert, dans son édito sur Blast, « Les bourgeois ont choisi Hitler plutôt que le Front populaire » écrit ceci : « La formule "Plutôt Hitler que Blum !" a été prononcée par Emmanuel Mounier au moment des accords de Munich, dans un article d'octobre 1938 de la revue "Esprit", intitulé "Les lendemains d'une trahison". Le philosophe catholique, contrairement à nos philosophes cathodiques, attaquait les ennemis du Front populaire, qui fricotaient de plus en plus avec les fascistes, il concluait son article par ces mots : "On ne comprendra rien au comportement de cette fraction de la bourgeoisie, si on ne l'entend pas murmurer à mi-voix plutôt Hitler que Blum! »

Mounier sous-entend donc qu’une certain droite réactionnaire, anti-républicaine et fascistoïde penchait plus vers l’allemand nazi que vers le compatriote socialiste. Mais ce n’est qu’une fraction de la bourgeoisie et cela donne donc raison à J-B Gagnoux qui n’avait peut-être pas non plus à monter sur ses grands chevaux, mais l’élu a tendance à s’emballer contre le communisme dès qu’on lui en offre l’occasion. L’ancien prof d’histoire géo écrit par conséquent: « Le Parti communiste était donc allié à Hitler ». Là encore, ce n’est pas rigoureusement exact. D’abord, un traité de non-agression n’est pas une alliance à proprement parler. Ensuite le pacte Ribbentrop-Molotov (soyons précis entre historiens) prévoyait un engagement de neutralité et aussi, il faut bien le reconnaitre, l'annexion d’une moitié de la Pologne, de la Finlande, des pays baltes et de la Bessarabie par l’URSS. 

Je renvoie nos historiens à la crise des Sudètes et aux accords de Munich du 30 septembre 1938. La France de Daladier et le Royaume-Uni de Chamberlain laissent la Tchécoslovaquie aux mains des Allemands alors que le ministre des affaires étrangères anglais a gentiment écarté des négociations l’URSS, pourtant soucieuse de secourir la république tchécoslovaque franchement menacée. A noter que le président tchèque lui-même n’est pas invité. Les accords sont en fait une capitulation masquée de l’alliance franco-britannique (les deux démocraties capitalistes) face aux exigences d’Hitler, un jeu de dupes vis à vis de leurs opinions publiques à qui ils font croire qu’ils ont sauvé la paix. En France, seuls les députés communistes et quelques autres votent contre la ratification des accords à la Chambre, ce qui provoque la fin officielle du Front populaire, déjà mal en point. Ça, le professeur Gagnoux oublie de le mentionner et signifie même le contraire.

Quant à Staline qui avait lu Mein Kampft et qui connaissait les plans du Fürher en Ukraine et en Russie, il comprend que les démocraties ont aussi fait une croix sur la triple alliance (France-Royaune-Uni et URSS) et qu’il ne pourra pas compter sur elles. Sans doute craint-il aussi que tout le bloc anticommuniste se ressoude contre l’URSS. Les Soviétiques qui avaient mobilisé de nombreux soldats demandaient en vain à la France d’intercéder auprès de la Pologne pour laisser passer les troupes russes afin de parer à une éventuelle attaque allemande dès la frontière germano-polonaise. Le régime autoritaire et antisémite polonais craignait autant les Russes que le Reich qui ne va faire qu’une bouchée de la Pologne en 39. Après avoir dénoncé cette capitulation occidentale, les Soviétiques signent donc un pacte de non-agression avec l’Allemagne le 23 août 1939, non pas pour laisser les mains libres à Hitler, mais parce qu’il sait que son pays n’est pas prêt à un choc militaire : les purges ont saigné l’Armée rouge notamment au niveau des officiers. Le traité comprend aussi des échanges économiques car l’URSS a notamment besoin de moderniser son arsenal. Staline va ainsi gagner deux années. La Wehrmacht aura entre temps envahi en une guerre éclair, et comme prévu, l’Europe occidentale, à l’exception des Iles britanniques, et pourra par la suite violer le traité germano-russe en déclenchant l’opération Barbarossa. 

Toute l’Europe a joué au chat et à la souris avec la détermination revancharde et annoncée d’Hitler. Il aurait été moins coûteux en vies humaines de s’entendre pour écraser le serpent dans l’oeuf mais l’antibolchévisme des puissances occidentales et leur maigre considération pour la force de l’Union soviétique les a aveuglées. Les torts sont néanmoins partagés: chacun a manoeuvré pour sa pomme et le monde entier y a perdu. Staline n’était d’ailleurs pas très fier de ce traité avec le Reich et a essayé d’en faire disparaitre les preuves trop flagrantes. Les communistes français n’ont pas su sur quel pied danser avec les nazis jusqu’à l’invasion de l’URSS. La période a vraiment été un bourbier douloureux pour les militants coincés entre le patriotisme, l’antifascisme et l’internationale communiste. Pas sûr que j’aurais fait mieux à l’époque qu’au deuxième tour de ces législatives piégées.

Pas la peine non plus à l’heure actuelle d’en faire des caisses d’autant qu’Hervé Prat, dans son message, rendait hommage au Général de Gaulle, dont se réclame souvent Jean-Baptiste Gagnoux qui n’est pas partageux, ou alors en cachette. 

C’est donc au maire de Dole, ex-LR et gaulliste autoproclamé, que s’adressera cette dernière remarque: que penserait le général face à la capitulation permanente de la France de Macron et de Bellamy devant les exigences de l’UE, de l’OTAN et les intérêts économiques et militaires des États-Unis? Que dirait-il de l’eurobéatitude et de l’atlantisme qu’affichent ceux qui prétendent encore s’inspirer de sa politique? 

Personnellement, je laisse de Gaulle à ceux qui se revendiquent de lui. J’en connais des braves. J’en connais aussi d’indignes héritiers.

 

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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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