Politique

La danse macabre

Publié le 18/09/2024 à 17:56 | Écrit par Stéphane Haslé | Temps de lecture : 03m52s

Ce que nous vivons depuis le deuxième tour des législatives en France est sidérant. Louis y voit, in concreto, la confirmation de ses analyses sur l’état de la démocratie aujourd’hui. Il n’a jamais été convaincu de la réalité du concept lui-même. La démocratie, le pouvoir du peuple, se résumait, pour celui-ci, à la participation aux élections, présidentielle, législative, régionale, européenne, municipale, un bulletin dans l’urne, de temps en temps, tel était le geste, et quasiment le seul, qui exprimait la démocratie comme pratique politique. En outre, nous savions que les résultats ne traduisaient que partiellement la réalité sociologique et culturelle des Français, mais cela donnait un alibi massif, martelé ad nauseam par les tenants du pouvoir : « Nous avons été élus, choisis, par nos concitoyens, nous sommes, de ce fait, légitimes pour exercer le pouvoir ».

Ce qui apparaît depuis le 7 juillet, c’est la mise au rebut de cette légitimation. Rappelons les faits. Macron n’accepte pas, dans un premier moment, la gifle reçue aux européennes par ses représentants. Pour l’effacer, il dissout l’Assemblée nationale et décrète des élections législatives anticipées. Nouvelle défaite, atténuée, pour les macroniens, par le Front républicain du deuxième tour, puisque l’étude des résultats montre que les désistements ont été bien plus effectifs de la gauche vers la droite et la macronie, que l’inverse. Il doit nommer un Premier ministre qui gouverne le pays selon les résultats du scrutin. Il choisit donc M. Barnier, membre des LR, parti dont les scores aux différentes élections varient de 4 à 8 %, (et qui a refusé le désistement au profit du NFP). Autant dire que Barnier n’a aucune légitimité démocratique, sinon d’avoir été désigné par le Président, ce que les institutions de la Vème République rendent possible.

Comme le recours à la légitimité issue du suffrage universel ne fonctionne plus, les dirigeants actuels déploient un autre argument : « Il faut respecter les institutions, sans quoi ce sera le chaos ». « Respecter les institutions » est devenu le mantra des dirigeants illégitimes d’aujourd’hui. Cette formule leur permet de tout justifier. Pour Macron, c’est considérer que le seul pouvoir autorisé, c’est le sien, et qu’il a le droit de nommer qui il veut à la tête du gouvernement, c’est conforme aux institutions. Pour les LR, cela signifie que, nonobstant leurs piteux scores, ils sont autorisés à gouverner, puisque la nomination de Barnier est conforme aux institutions. Pour la Gauche, il eût été conforme aux institutions de nommer Lucie Castets, pour le RN, le Front républicain est une atteinte aux institutions, puisqu’il a été une manière de manipuler les électeurs. Chacun voit dans les institutions ce qui l’arrange et la victoire revient, comme toujours, à ceux qui sont en position de force, parce qu’ils tiennent les rênes de l’État et peuvent utiliser, pour garantir leur interprétation, les moyens administratifs dudit État et sa police si cela ne suffit pas.

Il serait bon de rappeler ce qu’est une institution. C’est une manière de faire exister et de faire perdurer des décisions humaines qui ont une dimension collective. Dans nos sociétés laïques et démocratiques, les institutions ne tombent pas du ciel, nous les savons œuvres humaines et, en France, leur mode d’emploi est, pour la plupart, consigné dans des textes. L’institution traduit un certain état de la vie sociale et politique d’un pays, elle est efficace et utile quand elle est en phase avec l’état de ce pays, quand elle contribue à son équilibre et à son développement. Quand elle n’est plus capable de remplir sa mission, elle disparaît et est remplacée par une autre. En appeler au respect des institutions est un impératif qui présuppose que les institutions sont aptes à remplir leur rôle, ce dont nous pouvons douter aujourd’hui. N’est-ce pas plutôt une manière, pour les tenants du pouvoir, de promouvoir leurs décisions arbitraires pour conserver leur position ? Quoi qu’il en soit, nous voyons clairement que le principe fondamental et fondateur de la démocratie, le pouvoir du peuple, est piétiné par la droite, soucieuse avant tout d’éviter de laisser le gouvernement à la gauche. L’appel au formalisme des institutions est une manière de passer par-dessus la volonté populaire, voire de la nier totalement.

Au-delà de la question des institutions, la situation présente montre clairement ce qui est en jeu  : deux visions de la société s’opposent : celle des partis de droite, sur un axe qui va des macroniens au RN, qui défendent tous le modèle capitaliste-libéral et, si ces partis s’affrontent pour accéder au pouvoir, aucun n’a la moindre intention de transformer ce système, l’autre vision est celle de la gauche qui, sous l’impulsion de LFI, maintient l’idée d’un dépassement de ce modèle, (même si Louis ne se fait guère d’illusions sur ce point). 

Le ballet des prétendants aux postes ministériels qui se joue autour de Barnier a tout d’une danse macabre, emportant avec elle les espoirs de justice sociale nés après le deuxième tour des législatives.




À propos de l'auteur(e) :

Stéphane Haslé

Convaincu que l’universalisme est une particularité nationale, je me considère comme un citoyen français du monde (intellectuel), définition possible du philosophe. Agressé chaque jour par les broyeurs à idées qui nous environnent, je pense que la résistance, même désespérée, ne doit pas être désespérante.


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