Le roman d’un humaniste bon teint
Même si c’est ma femme qui a insisté pour que je le lise, « Le Collier rouge » de Jean-Christophe Rufin avait tout pour me plaire. Contexte historique, lutte des classes, activisme politique, sobriété de l’intrigue, force des caractères, ou au contraire leurs faiblesses, tout ce que j’aime dans les romans y est. On est dans le Berry, en plein été, on crève de chaud. Morlac, héros de la Guerre 14-18, est en taule. Dehors, un chien aboie à n’en plus finir. On pourrait presque se laisser aller à croire qu’on est dans un roman de Gabriel Garcia Marques. Hugues Lantier du Grez, un juge militaire, officier de bonne famille, arrive dans la bourgade et va dénouer l’affaire qui a conduit le héros en prison. Il faut reconnaitre que les quelque 150 pages se lisent d’une traite. C’est proprement écrit et l’intrigue est bien menée. En fait, le livre aurait dû repartir à la bibliothèque sans faire de remous. Mais un truc m’a chagriné et j’ai pas pu m’empêcher d’en écrire un mot.
Le juge Lantier, aussi sympa que peut l’être un militaire de carrière, en a aussi la condescendance, enfin celle d’un nobliau parisien, un notable à l’ancienne, certes courageux et humain, mais au final engoncé dans un mépris de classe discret mais dont il ne peut se départir. Ça colle à la peau, ces mauvaises habitudes-là! Je dirais que ça fait partie de l’ADN si je ne détestais pas cette expression. C’est en soi assez réaliste de la part de l’auteur de donner cette touche de supériorité de classe à son personnage : plus fin psychologue que le paysan socialiste révolutionnaire, l’enquêteur va se retrouver maitre du jeu, déjouant le plan « suicidaire » du prisonnier, volant au secours de la presque-veuve et du faux-orphelin et ramenant une justice morale et magnanime parmi les cul-terreux. Une fois encore, c’est dans la logique du personnage et c’est normal que Lantier du Grez m’énerve un peu.
Pour le film, Jean Becker a judicieusement confié son incarnation à François Cluzet qui a, lui aussi, le don de m’énerver avec ses petits airs supérieurs et intouchables. Vous allez me dire que je suis énervé parce que l’épisode de fraternisation entre soldats français, russes et bulgares tourne court. Sans doute. Mais je sais aussi qu’il ne sert à rien de refaire l’Histoire. Je concède également que Lantier a raison d’annoncer ceci à Morlac après son petit « coup d’éclat » qui peut lui coûter l’envoi au bagne s’il s’entête : « Votre ’’cause’’ aura perdu un de ses défenseurs. Vous aurez tiré votre seule cartouche sans atteindre personne et la cause en question n’aura pas avancé d’un pouce. » Cet enfoiré est foutrement dans le vrai et c’est énervant que le camp au pouvoir ait cette clairvoyance. Mais dans cet ordre revenu (à la fin, les paysans travaillent aux champs et l’aristo désoeuvré passe en automobile en les saluant quand il repart pour la capitale), Rufin donne finalement l’impression qu’il s’y sent bien lui-même. Rien ne cloche plus, tout le monde est heureux et même le chien qui gueulait à l’image de son maitre a l’air de sourire. Rufin entérine un monde injuste au nom de l’amour.
À propos de l'auteur(e) :
Christophe Martin
Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.
Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès
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