Politique

On s'engueulera plus tard

Publié le 06/11/2024 à 19:59 | Écrit par Un radis noir | Temps de lecture : 04m04s

Tel était l'un des slogans qui a fait florès lors de la dernière campagne des élections législatives, qui s'est déroulée à gauche dans un climat de relative panique. L'un de ces slogans dont le folklore gauchiste a le secret, simple, direct, amusant malgré la gravité qui le sous-tend.

Et efficace apparemment ! Puisque tout le monde s'est enfin aperçu que l'union électorale était devenue une condition sine qua non pour éviter l'accession au pouvoir institutionnel de l'extrême-droite pur porc label brun.

Sauf que… À y regarder de plus près… Ce slogan est à peu près aussi vain et problématique que tant d'autres de ses cousins.

Relevons déjà qu'il sous-entend que les différentes chapelles de gauche ne sont guère capables que de s'engueuler et non de discuter. En un sens ce n'est pas faux. Et comme ce slogan se veut propre à un contexte électoral particulier, il sous-entend également que les « engueulades » habituelles portent sur des questions de fond mais que, là, il fallait se concentrer sur la question électorale.

Or depuis des années, sur quelles questions la gauche s’écharpe-t-elle au juste, hormis les questions électorales ? Des congrès internes des partis jusqu'aux petites phrases assassines distillées dans les médias bourgeois qui s'en délectent, la gauche n'a de cesse de s'engueuler sur les questions électorales.

Mais dès qu'il s'agit de sauver les meubles, foin des soi-disants désaccords politiques ! Tout le monde revient gentiment à la gamelle. Et quatre jours de négociations à huis-clos suffisent à enterrer la hachette de guéguerre pour arriver en tête à une élection qui se présentait pourtant extrêmement mal. On pourra objecter des différences programmatiques sur des questions comme le nucléaire ou l'Europe, par exemple. Mais il n'y a pas de vraiment de discussion sur ces points que chacun cultive dans son coin comme autant de signes distinctifs, de marqueurs identitaires à l'intention sa clientèle électorale. Les "engueulades" habituelles de la gauche ne sont qu'une vaste mascarade de boutiquiers. Chacun son créneau marketing, et que chacun fasse son beurre.

Mais il y a plus grave. Les partis de gauche étant obsédés par les considérations bassement matérielles pour la survie de leurs appareils respectifs, il n'y a pas de place pour des vraies discussions de fond sérieuses qui nous permettraient d'accéder à une réelle transformation sociale pourtant désormais très probablement nécessaire à la survie de l'humanité.

Des exemples ? Pour commencer, il faudrait peut-être s'interroger sur le fait que "gauche" soit devenu un gros mot pour toute une partie de la population. Et faire le bilan d'une certaine gauche. Celle qui a eu les rênes du pouvoir pendant des années et qui a largement contribué à nous conduire au désastre actuel et qui continue malgré tout à vouloir donner des leçons.

Il faudrait sans doute aussi poser la question de la responsabilité (ou de la relative irresponsabilité, c'est selon) des organisations politiques et syndicales qui ne cessent de bramer qu'elles sont là pour défendre les intérêts du plus grand nombre alors qu'elles servent avant tout les leurs propres. S'interroger sur leur représentativité effective de plus en plus faible, sur leur légitimité d'un point de vue démocratique, sur les conséquences de leur institutionnalisation…

Discuter sérieusement aussi des constats, des analyses, des objectifs, des stratégies de chacun, les confronter, les passer méthodiquement au tamis de la réalité et de la pertinence. Est-on bien sûr qu'ils sont tous concordants et compatibles ? À voir les éructations que peut déclencher la simple utilisation d'un mot comme "révolutionnaire" par exemple, il y a de quoi se le demander.

S'interroger aussi sur l'ethos gauchiste et son impact sur le logos militant. En d'autres termes, est-ce que le fait d'être perçus comme une bande de casse-coudes détenteurs de la vérité, redresseurs de torts, dames patronnesses manichéennes, petits professeurs toujours prompts à donner des leçons gratuites à une population supposée plus ou moins stupide et ignorante, etc. Est-ce que tout ça ne ferme pas directement toute une partie des gens à la discussion et donc à la réflexion et à d'éventuelles remises en questions de certaines certitudes ? Sortir d'une attitude relativement hautaine, supérieure, surplombante, qui considère les autres tantôt comme des purs salauds, tantôt comme des pauvres cons, tantôt comme d'innocentes et faibles victimes.

Prendre également en compte dans nos débats des points de vue marginaux et généralement disqualifiés a priori sans autre forme de procès. Par exemple les idées de la décroissance ; certes elles semblent désormais plus ou moins intégrées dans une partie de la gauche, mais on en est toujours à revendiquer davantage de "pouvoir d'achat" pour acquérir plus de merdes produites par le capitalisme (généralement d’importation en plus) et toujours pas à revendiquer le pouvoir sur la production pour arrêter la fabrication desdites merdes.

Certaines idées (dis)qualifiées de souverainistes également : remise en cause de l'UE ou de l'OTAN, protectionnisme, politique étrangère et diplomatie française, etc. ; évidemment ça demandera un certain effort intellectuel à ceux pour qui les enjeux internationaux se résument à six lettres : "EUROPE".

Certaines idées issues des milieux anarchistes également : autogestion, critique de l'État et de ses institutions, etc. ; à l'heure où ce que certains appellent l'État providence ne cesse de s'effriter et où l’État dit régalien (c'est-à-dire coercitif… avec les plus faibles, cela va sans dire), il semble effectivement urgent de revoir la logique étatiste d'une bonne partie de la gauche.

« On s'engueulera plus tard », disait donc le slogan. Plus tard, c’est maintenant. Et s'engueuler ne sert à rien. Alors discutons.

Honnêtement. Sérieusement. Maintenant.




À propos de l'auteur(e) :

Un radis noir

Être radical, ce n’est pas être extrémiste ni fanatique : c’est s’intéresser à la racine des choses… À la racine des mots, pour pouvoir aiguiser les idées et les concepts… À la racine des maux, pour pouvoir espérer y remédier.


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