Le chat, la belette et le petit lapin… une devinette…
Je me délecte inlassablement non seulement d'un art poétique qui a bercé nos enfances, celui de La Fontaine (il est vrai que je suis de l'ancien temps!), mais aussi de l'acuité de son regard sur les comportements humains. Chaque fois que je relis une de ses fables, je découvre avec un plaisir intact ses inusables analyses ! Alors aujourd'hui, je tombe sur cette fable que je vous remets en mémoire… Vous voulez jouer avec moi? En la lisant, vous devinerez sans doute vous aussi qui pourrait bien se cacher derrière les personnages…
Du palais d'un jeune lapin
Dame belette un beau matin,
S'empara: c'est une rusée.
Le maître étant absent, ce lui fut chose aisée.
Elle porta chez lui ses pénates, un jour
Qu'il était allé faire à l'aurore sa cour,
Parmi le thym et la rosée.
Après qu'il eut brouté, trotté, fait tous ses tours,
Jeannot lapin retourne aux souterrains séjours.
La belette avait mis le nez à la fenêtre.
"O Dieux hospitaliers, que vois-je ici paraître?
Dit l'animal chassé du paternel logis,
Holà! Madame la Belette,
Que l'on déloge sans trompette,
Ou je vais avertir tous les rats du pays. "
La dame au nez pointu répondit que la terre
Etait au premier occupant.
C'était un beau sujet de guerre
Qu'un logis où lui-même il n'entrait qu'en rampant!
"Et quand ce serait un royaume,
Je voudrais bien savoir, dit-elle, quelle loi
En a pour toujours fait l'octroi
A Jean, fils ou neveu de Pierre ou de Guillaume,
Plutôt qu'à Paul, plutôt qu'à moi."
Jean Lapin allégua la coutume et l'usage.
"Ce sont, dit-il, leurs lois qui m'ont de ce logis
Rendu maître et seigneur, et qui, de père en fils,
L'ont de Pierre à Simon, puis à moi Jean, transmis.
Le premier occupant, est-ce une loi plus sage?
- Or bien, sans crier davantage, rapportons-nous, dit-elle, à Raminagrobis."
C'était un chat vivant comme un dévot ermite,
Un chat faisant la chattemite,
Un saint homme de chat, bien fourré, gros et gras,
Arbitre expert sur tous les cas.
Jean Lapin pour juge l'agrée.
Les voilà tous deux arrivés
Devant sa majesté fourrée.
Grippeminaud leur dit:" Mes enfants, approchez,
Approchez, je suis sourd, les ans en sont la cause."
L'un et l'autre approcha, ne craignant nulle chose.
Aussitôt qu'à portée il vit les contestants,
Grippeminaud le bon apôtre,
Jetant des deux côtés la griffe en même temps,
Mit les plaideurs d'accord en croquant l'un et l'autre.
Ceci ressemble fort aux débats qu'ont parfois
Les petits souverains se rapportant aux rois.
Que vous en semble? Cette fable ne tombe-t-elle pas fort à propos? Qui donc s'est installé dans les maisons et les villages qu'il avait au préalable vidés de ses habitants, arguant alors du fait que "ceux-ci étant absents", on pouvait disposer de leurs biens ? Qui a soutenu que cette terre étant déserte et inculte ("une terre sans peuple pour un peuple sans terre"), on ferait oeuvre bénéfique en la faisant enfin prospérer ! Qui a clamé qu'il était là en premier, depuis des millénaires, lorsque Dieu lui avait octroyé " le pays où coulent le lait et le miel "? Qui en revanche lui a rétorqué qu'il occupait cette terre et la cultivait depuis des générations, l'embléme national de la branche d'olivier, richesse mondialement reconnue de ce pays foncièrement agricole, en attestait ? Qui a alors appelé à l'aide ses alliés pour chasser l'intrus? Et qui pourrait bien se cacher derriére les moustaches de Raminagrobis ?
Bon, les indices ne manquent pas, n'est-ce pas? Et pour qu'ils n'apparaissent pas comme pur persiflage islamo-gauchiste, j'argumenterai en m'appuyant sur les travaux d'historiens divers: nouveaux historiens israéliens ( Benny Morris, Shlomo Sand, Ilan Pappé), historiens palestiniens ( Elias Sanbar, Edward Saïd, Walid Khalidi), historiens occidentaux (Jean Pierre Filiu, Agnes Levallois, Jean Paul Chagnollaud, Alain Gresh)… Evidemment j'ai laissé de côté la propagande sioniste, celle-ci étant largement invalidée, preuves accablantes à l'appui, par les démonstrations des chercheurs précités !
Alors maintenant, quelques éclaircissements sur la devinette :
- Le processus de colonisation de la Palestine s'amorce dans les années 1880, d'abord à petite vitesse puis à un rythme plus rapide à partir de la déclaration Balfour en 1917 qui promet un foyer juif en Palestine. Mais c'est évidemment après la seconde guerre mondiale que le processus s'amplifie à grande échelle.
- Dès le début du XXeme siècle, une planification systématique de l'expulsion des Palestiniens est mise en place par le mouvement sioniste (achat de terres agricoles, expulsion des métayers et paysans arabes et installation de colons juifs à leur place).
- Sous le mandat britannique (1923-1947) qui soutient la colonisation juive, le projet d'expulsion des - Palestiniens se précise, entraînant plusieurs révoltes arabes brutalement réprimées.
- 1942, le plan Daleth de nettoyage ethnique par l'organisation sioniste est clairement formulé et mis en oeuvre, sous l'impulsion de Ben Gourion (fait inconcevable au moment même où la Shoah est mise en pratique en Europe!).
- 1947, les Britanniques, las de l'impossibilité de régler la situation palestinienne, mettent fin à leur mandat sur la Palestine et réclament la médiation de la toute jeune ONU largement dominée par les puissances occidentales, au premier rang desquels trônent les tout-puissants Etats-Unis. L'ONU renvoie les deux parties hostiles dos à dos et propose le plan de partition de la Palestine qui ne convient à personne: ni aux Arabes qui perdent la grande moitié de leur territoire, ni aux sionistes qui prétendent à la totalité du pays, "de la mer au Jourdain". Ces derniers l'acceptent néanmoins du bout des lèvres car c'est pour eux l'indispensable étape fondatrice vers la légitimation d'Israël.
Ainsi, la situation chaotique de la Palestine ne peut dès lors qu'évoluer vers la guerre, l'intervention des autres nations arabes et le tragique de toute colonisation de peuplement. Ainsi commence la Nakba, la catastrophe pour le quasi million d'Arabes chassés en 1948 de leurs terres séculaires, les milliers de familles endeuillées par les exactions des colonisateurs et l'insoutenable honte pour tous les juifs qui ne souhaitaient pas que leur espoir d'une vie meilleure et sûre fleurisse sur la persécution d'un autre peuple.
La nouvelle Nakba qui se déroule depuis octobre 2023 sous les yeux effarés du monde s'avère l'effroyable répétition de la précédente, mais Raminagrobis n'incarne plus une ONU qui désormais tente de résister tant bien que mal à ses anciens maîtres. Les Etats-Unis, autre nom du libéralisme mondialisateur, n'ont plus qu'à endosser seuls la robe de bure du "saint ermite faisant la chattemite" et à assumer une double tragédie, celle du peuple palestinien rejoint par le peuple libanais, tous deux martyrisés, et celle de l'état israélien soumis à l'opprobre de l'humanité tout entière.
Dame belette et Jeannot lapin se retrouvent donc bien finalement réunis sous la griffe de Grippeminaud…
Miss’touflet.
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