Cupitalisme à l'antenne
Michka Assayas anime depuis de nombreuses années « Very good trip », une émission musicale de bonne tenue sur France Inter. C'est donc à double titre qu'on ne peut pas le suspecter d'être un militant ultragauchiste. En temps normal, j'aurais laissé l'animateur couler des jours heureux. On ne peut pas faire un procès d'intention à tous les employés de cette fréquence néolibérale. Mais pour la millième de son émission, consacrée à l'Album Blanc des Beatles et intitulée « Un disque révolutionnaire », Assayas est sorti de son lyrisme habituel pour un commentaire politique sur Apple Corps, la compagnie a priori non-lucrative créée par les Beatles, un quartette de joyeux drilles pas très décidés à payer leurs impôts (réécouter le singulier « Taxman ») mais volontaires pour permettre à tout un microcosme d'artistes de créer tous azimuts, de « s'acheter une Rolls » et sans doute d'abuser des drogues psychédéliques. Assayas cite à ce propos Paul McCartney qui parle imprudemment de « communisme à l'occidentale » dans ses mémoires avant de s'aventurer lui-même dans une remarque personnelle : « une idée extrêmement généreuse qui, hélas, c'est souvent le cas du communisme, tournera au fiasco, fiasco financier et qui contribuera sans doute à sa façon à la séparation du groupe, vite confronté à des vols, détournements et escroqueries que, dans leur grande naïveté, les Beatles et leurs camarades n'avaient pas imaginés ».
Précisons tout d'abord que les Beatles ont créé l'entreprise Apple Corps en 1967 afin que leur pactole échappe au fisc, particulièrement redistributeur (gourmand d'un point de vue libéral) dans ces années-là au Royaume-Uni. Lennon, McCartney et consort ont plus pris le temps de s'initier à la spiritualité indienne qu'aux rudiments du marxisme, et si projet politique, il y a jamais eu au sein du groupe, il n'a jamais dépassé le stade du pacifisme et du rejet du conservatisme.
Ajoutons, pour la gouverne d'Assayas, qu'historiquement, l'ennemi principal des tentatives de communisme n'a pas été la corruption interne mais la réaction capitaliste extérieure qui visait à détruire les nids de contestation constructive qu'il s'agisse de la Russie soviétique de Lénine ou de Lip, des Black Panthers ou de la Sécurité sociale. Le capitalisme tolère la générosité et l'encourage même à travers le mécénat : je donne 100 et je déduis 60 de ma déclaration d'impôts. Mais contrairement à ce que croit Assayas dans sa grande naïveté, le communisme n'est pas une affaire de folle générosité capricieuse mais bien un projet équitable de justice sociale et environnementale. Nature et humains y trouvent leur compte, l'avidité son antidote. C'est moins tentateur qu'une Rolls pour tous mais foutrement plus épanouissant à long terme.
Assayas est victime d'une vision de classe très étriquée selon laquelle le communisme, ça ne peut pas marcher parce que l'homme est fondamentalement cupide et dominateur. Si vous êtes bon et gentil, les méchants vous escroquerons. Si l'autre a l'air généreux, il faut se méfier, ça cache sûrement de mauvaises intentions. Le monde est ainsi fait, mon brave monsieur ! C'est chacun pour soi et surtout seul contre tous. Les Beatles en ont fait les frais avec leur idée très généreuse.
Ça, c'est que nous enseigne la Fable des Abeilles de Mandeville qui date de... 1714. Il est temps d'actualiser le logiciel.
Le communisme réel se doit de faire avec un modèle anthropologique ni irénique ni diabolique. Instinctivement cupide, l'humain équilibré (c'est à dire la grande majorité d'entre nous) est néanmoins spontanément équitable et juste (mais pas forcément universaliste) parce qu'il y trouve la sécurité, la paix et probablement une certaine sérénité. Le projet communiste n'a donc rien d'angélique : il propose simplement un modèle économique pour tenter de vivre en société sans exploiter ni être exploités, enfin débarrassés de l'angoisse de manquer et investis de l'urgence d'être utiles.
On continuera donc à écouter les Beatles pour ce qu'ils sont : des musiciens particulièrement créatifs et foutraques, pas des « working class heroes ». Quant à Assayas, il pourrait s'amender en invitant Robot Meyrat pour une émission spéciale sur la musique indépendante en accès libre.
À propos de l'auteur(e) :
Christophe Martin
Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.
Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès
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