Centre d'Assignation un jour, Centre de Rétention toujours !
Nous pourrions, peut être, nous passer d'un aéroport mais qu'aurions nous eu à la place. Car oui, la nature à horreur du vide et l'être humain aussi. Lors de la fusion de la Bourgogne avec la Franche-Comté (ou l'inverse), l'une des grandes question était : Que faisons nous de deux aéroports (Dole versus Dijon) à moins de 50 km de distance l'un de l’autre ? Après moult péripéties, Dole « remporta » le match.
L'aéroport de Dijon a une partie civile, gérée par EDEIS, devenue un aéroport de vols d'affaires et une partie militaire, ex-base aérienne BA102. Celle-ci sera dissoute en juin 2016 puis accueillera la nouvelle école de gendarmerie en septembre de la même année. Mais les gendarmes n'occupent pas toute la base. Il y a donc encore un peu de place.
Gérald Moussa Jean Darmanin, ministre de la Justice et ex-sinistre de l'Intérieur, avait décidé en octobre 2023 de passer de « 1800 places en centre de rétention administrative à 3000 places avec l'ouverture de 10 nouveaux centres ». Et vous savez quoi ? La base de Dijon fait partie d'un de ces 10 nouveaux centres. Un Centre de Rétention Administrative (CRA) est un « lieu d’enfermement dans lequel l’administration place des personnes étrangères pour mettre en œuvre leur éloignement ». Un bâtiment sera spécialement construit pour y embastiller 140 personnes.
L'aéroport de Dijon, c'est l'endroit idéal pour interner, enfermer ou assigner, utilisez l'adjectif que vous souhaitez pour qualifier l'installation d'un tel camp. Cela ne sera malheureusement pas la première fois que ce lieu en accueillera un. En juin 1940, les Allemands y installèrent un camp de prisonniers. Pendant près d'un an, entre 35 000 et 40 000 soldats (majoritairement des troupes coloniales) transitèrent par ce camp. Ils furent parqués dans des conditions inhumaines avant d'être déportés en Allemagne. Aujourd'hui encore, c'est loin des regards indiscrets ou bien loin de ce que nous souhaiterions jamais regarder. Cachez cette chose que je ne saurais voir.
De plus, un interné qui devra être expulsé de France sera évincé sans sortir de l'aéroport. Ce n'est pas la peine de prendre la voiture pour emmener l'exilé ailleurs. Il y a aura tout sur place. La France réquisitionnera un avion, privatisera une piste et refoulera le retenu en toute discrétion. Mais comme vous pouvez imaginer, un collectif s'est monté : le collectif Anti CRA Dijon. Ils étaient 150 personnes à manifester le samedi 26 avril dernier, pour protester contre ce projet. Mais pour encore plus de discrétion, le Sénat a voté le 12 mai pour que soient écartées les associations des CRA dont fait partie la CIMADE pour confier « le rôle d'information sur l'accès au droit de l’étranger » à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii). Avec bien sûr l'aide complice de Retailleau qui s'est exprimé par ces mots à propos de ces associations qui « outrepassent leurs missions et les retournent en réalité contre l'État en entravant son action par pur militantisme ».
Ce n'est pas la première fois que la France utilise des lieux de privation de liberté. Qu’on se souvienne de termes comme camps d'internement, camps de transit ou même de camps de concentration. Lorsque la Retirada eut lieu bon nombre des 450 000 républicains espagnols qui fuyaient la dictature franquiste, furent internés dans divers camps comme celui du Vernet. Mais le camp de Rivesaltes aura une longue vie dans ce genre de pratique. Ouvert en 1941, on y internera juifs, tziganes et espagnols pendant une partie du régime de Vichy. Il deviendra ensuite un camp de transit où 8 000 harkis seront enfermés de 1962 à 1977. Les conditions étaient exécrables. D'autres camps existaient comme les camps d'internement du Larzac, Bourg-Lastic, Saint-Maurice-l'Ardoise et de tant d'autres. Rivesaltes terminera sa longue carrière en devenant un CRA de 1986 à 2007. Une durée de vie de 66 ans. Tous ces camps étaient à l'écart et au sud de la France.
Pour finir, je souhaiterais évoquer deux autres camps. Le premier se trouvait à Tavaux sur l'actuelle zone commerciale du Super-U où il y avait des baraquements pour l'armée. Suite à l'indépendance de l'Algérie, la France y a accueilli ses ressortissants (Pieds Noirs). Le camp fut ouvert du 10 juillet 1962 au 3 Janvier 1963, pas moins de 187 personnes ont transité par ce centre et devaient en plus payer un loyer pour pouvoir « vivre » dans ce lieu. Les conditions n'étaient pas favorables surtout en hiver.
Le second, celui de Thol est situé à environ 150km au sud de Dole et à 14 km au nord d'Ambérieu-en-Bugey. Ancien camp militaire, il est devenu Centre d'Assignation à Résidences pour les indépendantistes algériens (FLN/MNA). Puis il deviendra celui des militants de l'Algérie Française (OAS). Le camp était entouré de clôture et de miradors. Aucune photo n’a été prise du lieu pendant cette période. L’administration du camp demanda même que à la préfecture d’interdire à la population civile de se baigner dans un étang situé non loin du camp. La surveillance était assurée par des compagnies de CRS. Dans un rapport datant de juillet 1959 rédigé par un commandant de CRS à son supérieur, on peut lire : « Le service jusqu'ici s'est passé sans incident, les plus grosses difficultés à vaincre étaient les mouches et la chaleur. Nous sommes tous contents de rentrer, côté familial, d'abord, mais aussi parce que nous avons une indigestion de barbelés. D'autre part, le spectacle d'un camp de concentration, quel que soient les motifs qui y ont amenés les intéressés, est toujours déprimant, et à la longue crée une sorte de malaise. »
Je n'aurais jamais imaginé qu'un policier de l'époque aurait eu un cœur. Est-ce que les surveillants des CRA actuels en ont autant ?
Jysser.

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La Rédac'
Donner la parole à ceux qui ne l'ont pas, voilà une noble cause ! Les articles de la Rédac' donnent le plus souvent la parole à des gens que l'on croise, des amis, des personnalités locales, des gens qui n'ont pas l'habitude d'écrire, mais que l'on veut entendre...
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Baron Vingtras
Bourguignon échoué en Franche-Comté, enivré par le militantisme de Gauche avec un gros G et passionné par l'Histoire.