La cancoillotte et le satellite Chapitre 4 : quand les moyens justifient la fin
Il y a déjà quelques dizaines d’années, dans un sketch où il jouait un milliardaire poursuivi par les taxes, Guy Bedos disait :
« - Ils veulent même taxer mon jet.
Mais aussi pourquoi volez-vous en jet privé ?
Parce que j’en ai un ! ».
Quelques décennies plutôt, Gustave Flaubert écrivait dans son Dictionnaire des idées reçues ou Dictionnaire des idées chics, « Machiavel : Ne pas l’avoir lu, mais le regarder comme un scélérat. »
J’avais d’abord prévu que ce quatrième volet des cancoillotte papers soit consacré au monde magique et merveilleux des charlatans de l’économie libérale, mais ce sera partie remise. L’actualité (chaude bouillante, nous annonce-t-on) nous offre l’opportunité de nous poser la question suivante : si plutôt que la fin justifie les moyens, c'était les moyens qui justifient la fin ?
D’une manière assez hâtive on prête la première partie de cette formule à Nicolas Machiavel que bien peu de gens ont lu, en particulier parmi ceux qui le dénigrent en le rendant responsable de tous les coups bas en politique et même dans tous les domaines. Faire de Machiavel le justificateur de l’immoralité est en réalité un contresens car il a été le premier (et reste un des rares) à déconnecter la politique de la morale. Pour lui la politique est une discipline, une méthode pour agir sur l’organisation socio-économique, et cela quelles que soient les valeurs portées ou combattues. La morale est affaire de dogme ou d’idéologie, la politique est affaire d’efficacité.
On pourrait donc dire que si le but poursuivi est la réduction des inégalités, le partage des pouvoirs ou l’encouragement à la solidarité, alors les moyens doivent être pédagogiques, émancipateurs et partagés. De même si on vise l’oppression, l’accaparement des richesses et l’individualisme, alors les moyens sont la répression, la censure et la manipulation des esprits. La fin justifierait pleinement les moyens.
Seulement voilà, dans nos démocraties libérales les buts affichés sont la vie en société, le consensus, le respect de l’autre, la participation à l’effort économique et même la justice, et les moyens sont la confiscation de la parole, la manipulation de la réalité, l’augmentation de la pauvreté, la difficulté d’accès à la culture… Alors qu’est-ce qui justifie quoi ?
Machiavel nous explique que justement tout repose sur le pouvoir. Quand on a du pouvoir, on en use et très vite on en abuse. On commence par accepter un emploi pour le fils de la voisine quand on est maire, puis comme on est réélu, on met en place un système de recrutement pour remercier ses électeurs, et quand on devient député, c’est facile de faire nommer le fils d’une autre voisine au conseil d’administration d’un établissement public alors qu’il vient de rater l’entrée à l’ENA. Et si en plus la voisine sait être reconnaissante… Très vite cela devient une façon de faire, une façon d’être, on n’y réfléchit même plus. Mais pourquoi ce député en qui on avait toute confiance, abuse-t-il ainsi de son pouvoir ? Tout simplement parce qu’il en a. La politique est pour Machiavel un corpus méthodologique qui au mieux limite les dérives du pouvoir, au pire permet de les cacher.
Cet exemple purement fictif mais tout à fait réaliste s’applique bien sûr à la valetaille de la République. Quand il s’agit du haut du panier, des bandits de grands chemins comme Sarkozy ou Le Pen, la démonstration est plus rapide. Le but c’est le pouvoir, le plus de pouvoir possible et même davantage ; et les moyens c’est… le pouvoir. But et moyens finissent par se confondre justifiant ainsi la tyrannie la plus inique, en toute immunité, sans aucun souci de bornage ou de dissimulation.
Patrick Boucheron, avec sa vision d’historien, estime qu’en politique la fin n’est jamais connue quand commence l’action, et c’est d’autant plus vrai dans des périodes de troubles et d’incertitudes. Donc la fin ne pourrait justifier les moyens qu’a posteriori, quand la fin est connue il est facile de justifier les moyens qu’on a envie ou besoin de justifier.
À la question « pourquoi favorisez-vous les grandes fortunes aux dépends des plus pauvres ? », Emmanuel Macron répondra « parce que la France le mérite », alors qu’il devrait dire « parce que j’en ai le pouvoir ».

À propos de l'auteur(e) :
Jean-Luc Becquaert
Né dans une famille aimante et néanmoins de droite, j'étais destiné à une (brillante) carrière de DRH ou de responsable qualité dans la grande distribution. Ma rencontre à 18 ans avec l’éducation populaire dans une cave du XVIIIème (siècle) transformée en théâtre m’a définitivement détourné du libéralisme. Aujourd’hui, mon seul point commun avec Jacques Chirac, c’est le goût de la bière et de la tête de veau.