Politique Écologie

Monique, les colosses et nous

Publié le 10 oct. 2025 à 07:15 | Écrit par
Un radis noir
| Temps de lecture : 05m17s

Le 5 juillet dernier, le Festi’Pol’ de l’Union écologique et sociale (UES) recevait la sociologue Monique Pinçon-Charlot pour une conférence autour de son dernier livre intitulé “Les riches contre la planète” et sous-titré “Violence oligarchique et chaos climatique” − conférence ou plutôt entretien, conduit avec brio par notre rédacteur en chef bien aimé.

Après quelques rappels de concepts sociologiques et autres éléments chiffrés permettant de mieux nous représenter la réalité sociale cachée derrière ce qu’elle appelle “les riches”, Monique nous a parlé de l’impact écologique négatif colossal de cette classe “pour soi” [1].

Au cours de cet entretien dont le contenu semblait quelque peu désespérer notre pourtant inoxydable Lider Martino, Monique a fait montre d’un étonnant optimisme en s’exclamant : “C’est nous les plus forts ! Ce sont des colosses aux pieds d’argile !”

Optimisme de prime abord peu communicatif au vu des réactions et questions du public après l’entretien : quel serait donc leur point faible ? comment frapper significativement leurs “pieds d’argile” allégués ? comment les vaincre alors que tout le système capitaliste semble construit contre nous ? comment garder l’espoir après une défaite comme celle qu’a connue l’immense mobilisation sociale contre la retraite à 64 ans ?

Et Monique de rétorquer qu’il ne faut pas sous-estimer nos propres forces, que même Bernard Arnault connaît des revers comme avec l’affaire Squarcini [2], que nous devons mieux nous coordonner… Nous sommes néanmoins − semble-t-il − majoritairement demeurés sceptiques.

Mais l’image des colosses est-elle vraiment pertinente  ?

Isaac Newton écrivait jadis avec une certaine humilité – sincère ou feinte, peu importe : “Si j’ai pu voir plus loin, c’est en me tenant debout sur les épaules de géants.” [3]

Les géants de Newton, ce ne sont pas des individus prodigieusement géniaux ; ce sont des accumulations de travail et d’intelligence collective qui permettent à chaque nouvelle génération de “voir plus loin” en s’appuyant sur un déjà-là [4] qui nous épargne de toujours devoir recommencer de zéro tels des Sisyphes remontant sans cesse leur rocher depuis le bas de la montagne du Savoir. [5]

De même, les colosses de Monique ne sont pas des êtres supérieurs – quoi qu’ils en pensent eux-mêmes et quoi que la propagande capitaliste cherche à nous le faire accroire et quel que soit le nombre de crédules qui se laissent duper. Ce ne sont que des imposteurs, des usurpateurs et des spoliateurs qui trônent au sommet d’une pyramide sociale historique dont les fondations sont les ressources naturelles, les pierres l’accumulation du travail humain et le ciment nos croyances et adhésions aveugles à la mythologie capitaliste.

Et l’on pourrait ventriloquer ainsi les super-dominants du capitalisme : “Si nous semblons être des géants, c’est en trônant assis au sommet de la pyramide de nains dont vous consentez à être les pierres et que vous vous abaissez à construire jour après jour.”

L’image de la pyramide offre quelques avantages par rapport à celle des colosses aux pieds d’argile.

Primo : inutile de chercher un point faible pour faire déchoir les dominants car la structure même de la pyramide lui confère une robustesse et une stabilité exceptionnelle.

Secundo : puisque nous sommes pratiquement toutes et tous les pierres de ladite pyramide, inutile de chercher très loin à quel niveau agir pour saper l’édifice capitaliste ; la solidité – et donc la fragilité potentielle – du système réside en chacune et chacun de nous.

Mais comme nous l’a très justement dit Monique : quelque chose en nous de capitaliste résiste.

Allons plus loin. Répondant à une question sur les soutiens de l’oligarchie, Monique a introduit l’intéressant concept de sous-traitance oligarchique. Illustrons-le caricaturalement. Bernard Arnault sous-traite à Macron, qui sous-traite à ses ministres, qui sous-traitent à leurs sbires, etc. Mais la sous-traitance oligarchique descend jusqu’en bas de la pyramide  : le patron qui sous-traite à ses “collabo(rateur)s”, qui sous-traitent en cascade jusqu’au dernier rang hiérarchique de l’entreprise.

Et quel est le lien – ou le liant – entre chaque niveau de la sous-traitance ? Nous postulons ici qu’il s’agit d’un lien de corruption.

Certes, quelle que soit la hauteur de notre position dans la pyramide, nous souffrons du capitalisme et de ses conséquences funestes – plus on se trouve bas et plus on souffre, évidemment. Mais quelle que soit notre position dans le système, nous en tirons également profit – plus on est haut et plus on profite, évidence ici aussi.

On profite des petites douceurs – généralement addictives, nouvel opium du peuple – du consumérisme adossé au capitalisme. On profite des “bienfaits” soi-disant consubstantiels au capitalisme (équipement, médecine, technologie, etc.). On profite des jolis rêves fabriqués qui colonisent nos imaginaires par toutes les propagandes du capitalisme.

Et pour continuer à en bénéficier, on se livre quotidiennement à toute une série d’actes d’allégeance qui renforcent le système. On bosse dans une boîte dont l’utilité sociale est discutable ou totalement inexistante, voire dont la nocivité est avérée. On obéit à un petit chef au détriment de ses collègues ou de sa propre dignité. On consomme des biens et services aussi futiles que néfastes grâce à des monstres capitalistes dont les dirigeants sont clairement des cinglés prétendant de plus en plus ouvertement appartenir à une “race supérieure” [6].

Alors non, les colosses du capitalisme n’en sont pas et leurs pieds ne sont pas d’argile. Les détrôner est à la fois simple et extrêmement difficile. Simple : il suffit que nous prenions individuellement et collectivement conscience de tout ce qu’on fait pour maintenir et renforcer le pouvoir du capital, et de cesser de le faire. Difficile : ça réclame d’immenses efforts personnels d’introspection, de remise en cause, de renonciation, d’imagination, d’intelligence, d’humilité, d’autodiscipline, de persévérance – en un mot  : de sagesse – le tout multiplié par les centaines de millions d’individus devant effectuer ce travail de transformation de soi.

La mauvaise nouvelle, c’est que ce n’est pas pour demain. La bonne nouvelle, c’est que chacun peut commencer le travail sur soi dès aujourd’hui.

***********************

[1] C’est-à-dire mobilisée en permanence pour la défense et l’extension de ses intérêts et privilèges.

[2] Bernard Squarcini, ancien patron du renseignement, a été condamné en correctionnelle en mars pour des activités barbouzardes illicites, notamment au profit de LVMH et de son PDG Bernard Arnault, et notamment au détriment de François Ruffin et de son journal Fakir.

[3] Pour les latinistes, on attribue la métaphore “Nanos gigantum umeris insidentes” (“Des nains sur des épaules de géants”) à Bernard de Chartres, philosophe français du XIIème siècle.

[4] On en profite pour saluer un troisième Bernard, Friot, notre préféré, à qui l’on emprunte le concept de “déjà-là”.

[5] Pour avoir une représentation visuelle des “géants de Newton”, nous recommandons ce vidéogramme (dont nous avons tiré notre illustration) de l’excellent Mehdi Moussaïd de la chaîne Fouloscopie  : https://youtu.be/1xe3zy2mU2M

[6] Ça ne vise pas que le nazillon Musk, mais aussi les transhumanistes qui nous prennent déjà pour les “chimpanzés du futur” et tous ceux qui nous prennent pour le “cheptel du capital”.



À propos de l'auteur(e) :

Un radis noir

Être radical, ce n’est pas être extrémiste ni fanatique : c’est s’intéresser à la racine des choses… À la racine des mots, pour pouvoir aiguiser les idées et les concepts… À la racine des maux, pour pouvoir espérer y remédier.

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