Politique

La cancoillotte et le satellite Chapitre 5 : Il était une fois…

Publié le 03 déc. 2025 à 10:35 | Écrit par
Jean-Luc Becquaert
| Temps de lecture : 05m57s

Tous les contes commencent comme ça, et toutes les genèses commencent avec Adam. Le héros de la genèse du libéralisme s’appelle Adam en effet ; Adam Smith. Pour démontrer l’importance de la division du travail afin d’augmenter la productivité, il cite l’exemple, désormais fameux, de la fabrique d’épingles.

Donc, il était une fois, Adam et la fabrique d’épingles.

De fait si on décompose le travail en autant de tâches que possible et que chaque ouvrier n’a d’autre fonction que répéter inlassablement une seule de ces tâches, on peut multiplier par deux, par trois, voire plus, le nombre d’épingles fabriquées. C’est lumineux à condition toutefois de faire abstraction de la croissance du besoin d’épingles, à quoi bon augmenter la productivité si le nombre d’épingles vendues n’augmente pas ? Le mythe de la croissance par l’offre était née. Dans un sketch désormais célèbre, Dominique Rongvaux explique très simplement comment cette augmentation de la productivité qui pourrait conduire à la réduction du temps passé au travail, mène plutôt à l’augmentation du chômage et à la faillite des entreprises les plus fragiles, ou les moins protégées.

Adam Smith est aussi l’auteur de la théorie économique de « la main invisible » selon laquelle les acteurs économiques parviennent toujours, de façon plus ou moins tacite, à s’entendre pour équilibrer les marchés. Qu’à l’époque (nous sommes au XVIIIe siècle), la principale source de richesses des nations repose sur le commerce triangulaire et donc sur l’esclavage qui était à la fois matière commerciale et force de travail gratuite, il n’en a été question nulle part. Le plus étonnant c’est qu’aujourd’hui, alors que l’esclavage a été aboli et que les travailleurs, de matière commerciale qu’ils étaient sont devenus des acteurs, la main invisible continue de réguler les marchés de toutes sortes. C’est sans doute la raison pour laquelle on parle de « marché du travail » alors que ce n’est pas un marché du tout. Cette main invisible m’a toujours évoqué la famille Addams (encore !) et sa « chose » qui court partout et se mêle de tout… 

Oui, nous sommes bien dans la magie. Le libéralisme relève de la pensée magique.

De nos jours, la pensée économique passe surtout par les médias, Blast en a fait un sujet : « Pourquoi ne voit-on jamais de vrais économistes à la TV ? ». Ok pour les journalistes qui ne se privent pourtant pas de marteler des axiomes le plus souvent sans fondement, mais qu’en est-il de leurs invités ? J’en ai choisi deux parmi mes préférés, Alain Minc et Agnès Verdier-Molinié.

Alain Minc est actuellement administrateur du groupe Bolloré, il est président de la SANEF (autoroutes du Nord), et d’AM CONSEIL spécialisé dans le conseil aux entreprises en matière d’économie et de communication. Il a été formé à l’Ecole des Mines et à l’ENA, il a fait ses armes à l’inspection des finances évidemment, puis s’en va pantoufler chez Saint-Gobain. On lui doit le retard français en matière d’internet grâce à sa promotion du Minitel, quelques OPA ratées dont celle de la Société Générale de Belgique qui écornera sensiblement la fortune de Carlo de Benedetti, fondateur d’Olivetti. Entre autres trophées. Ce parcours sans faute lui permet de déverser des inepties à longueur d’antennes. Rappelons ainsi que neuf mois avant la crise des subprimes de 2008, il avait déclaré que l’économie mondiale se portait bien. Je l’adore.

Ma préférence, du moins pour les Français, va à Agnès Verdier-Molinié. Elle est journaliste formée à Assas après une maîtrise en histoire contemporaine à Bordeaux. Un stage à l’Express lui  permet de travailler avec Christophe Barbier (quelle chance !) Elle est directrice depuis 2007 de l’IFRAP, Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques, think-tank ultra-libéral et libertarien financé en grande partie par l’industriel Bernard Zimmern sur ses fonds propres (une sorte de Stérin miniature). L’IFRAP sert avant tout à fournir des éléments de langage aux politiciens et aux patrons pas trop regardants sur la qualité de leurs arguments. Son incompétence totale en matière d’économie n’empêche pas Verdier-Molinié d’inonder les plateaux de télé de poncifs sur la nuisance de l’État et l’ineptie que représente l’idée que des services puissent être publics.

Du lourd.

Mais vus de l’autre coté de l’Atlantique, nos contempteurs du libéralisme déchainé font vraiment petits joueurs.

Aux États-Unis, ils ont la grande prêtresse du libéralisme moderne, la déesse incarnée de la finance débridée qui cherche à envahir tout le champ de la pensée économique. J’ai nommé Ayn Rand. Née russe au début du XXème siècle, elle a 20 ans quand elle émigre aux États-Unis. Bien décidée à s’intégrer dans ce paradis de la libre entreprise, elle change de nom et s’invente celui sous lequel elle signera ses livres et livrera ses diktats. Ayn Rand, ça ne veut sûrement rien dire mais ça fait très américaine. Elle écrit des scénarios pour Hollywood mais n’y trouve pas son compte et méprise ceux pour qui elle doit travailler. C’est le début d’une longue carrière basée sur le mépris d’autrui.

Elle se veut philosophe et invente un concept : l’objectivisme. Pour Stéphane Legrand qui lui a consacré un livre en français, cette théorie fumeuse est surtout basée sur des tautologies telles que la réalité est réelle ou l’existence existe. Je force un peu le trait mais à peine. Son succès viendra de deux romans « The Fountainhead » (traduit en français « la source vitale ») et « Atlas Shrugged » (en français « la grève »). Elle y décrit un monde idéal (son idéal) où les élites sont méprisées par le commun des mortels mais s’en sortent grâce à une ligne morale qu’elle appelle la vertu d’égoïsme. Dans le monde de Rand, l’altruisme est une ignominie qui cause la perte de l’humanité, les esprits supérieurs (comme le sien) doivent résister pour exprimer (imposer ?) leur rationalité dans un monde dominé par un peuple incapable de penser mais dominant par l’intervention de la démocratie. Rien de bien extraordinaire au pays de Donald Trump. 

Mais ces deux livres sont ceux qui sont encore aujourd’hui, aux États-Unis, les plus vendus après la Bible ; mais le Ayn Rand Institute, encore maintenant plus de 40 ans après sa mort, perpétue sa pensée à la suite du Nathaniel Branden Institute qu’elle avait fondé avec ce psychologue et dont les deux premiers principes étaient :

- Ayn Rand est le plus extraordinaire être humain ayant jamais vécu.

- Atlas Shrugged est le plus grand accomplissement humain dans l’histoire du monde »

Etc.

Et en effet, c’est bien une métaphysique qu’elle crée avec ses plus proches disciples. L’objectivisme impose le rejet de tout dieu, mais son dogmatisme fait d’elle-même une grande prêtresse à la pensée transcendantale. L’objectivisme veut que vous pensiez par vous-mêmes mais si vous pensez autrement que Rand, vous êtes exclus et interdits de vous recommander de l’objectivisme.

On pourrait hausser les épaules et la traiter de folle, mais parmi ses admirateurs les plus fervents on compte Alan Greenspan qui fut président de la Réserve fédérale américaine (l’équivalent de notre Banque de France), Ronald Reagan qui fut entre autres acteur dans des films de cowboys et l’inénarrable Donald Trump qu’on ne présente plus. 

D’après Wikipedia, dont le cofondateur Jimmy Wales est aussi un disciple de Rand, quand sa santé s’est mise à décliner, elle s’est inscrite à l’aide sociale d’État sous un faux nom. Le monde magique n‘a qu’un temps.

Je recommande vivement le livre de Stéphane Legrand, « Ayn Rand, femme capital ».



À propos de l'auteur(e) :

Jean-Luc Becquaert

Né dans une famille aimante et néanmoins de droite, j'étais destiné à une (brillante) carrière de DRH ou de responsable qualité dans la grande distribution. Ma rencontre à 18 ans avec l’éducation populaire dans une cave du XVIIIème (siècle) transformée en théâtre m’a définitivement détourné du libéralisme. Aujourd’hui, mon seul point commun avec Jacques Chirac, c’est le goût de la bière et de la tête de veau.

Anarchiste touche à tout et promeneur solidaire.
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