Mode sombre

Dans la presse et les réseaux sociaux, tout le monde y va de son hommage aux caricaturistes exécutés, de son commentaire sur #jesuischarlie 5 ans après ou de son plaidoyer pour la liberté d’expression assassinée.

A l’époque, on ne connaissait pas encore Castaner.

En cinq ans, son cynisme n’a pas pris une ride.

Personnellement, je n’ai été que moyennement Charlie. J’étais pas fan de Cabu, Wolinski ou Charb mais plutôt de l’économiste Bernard Maris, que j’arrivais pas à lire dans ce canard un peu bordélique qui me prenait la tête et me brouillait la vue. Maris m’a fait aimer l’économie, moi qui ne l’avais jamais étudiée. Je l’écoutais sur France Inter, du temps où c’était encore une radio. 

Le soir du massacre, j’ai trainé du côté de la mairie de Dole, mais je ne suis pas entré avec les officiels qui se devaient d’être là, et j’ai discuté dehors avec des copains carrément sonnés debout à qui Charlie allait manquer beaucoup plus qu’à moi.

Dès que j’ai vu le slogan blanc et gris sur fond noir, je me suis fait la remarque qu’on allait vider beaucoup de cartouches d’encre noire et que l’affliction populaire allait faire la joie d’Epson, HP et Canon. Les Gilets Jaunes auront été plus écolos sur ce  coup-là. 

Le lendemain, dans le centre de formation où je forme en cachette des jeunes apprentis de l’industrie à l’esprit critique (je les déformate, quoi!), j’ai trainé du côté de la photocopieuse quand le directeur a fait réunir tout le monde pour une minute de silence. J’aime pas qu’on m’impose des minutes de silence.

J’ai aussi diné avec l’humoriste François Morel le soir des attentats (n’oublions pas celui de Montrouge). Dans la salle de la Commanderie où il allait se produire, j’avais enregistré son petit laïus d’avant le spectacle.

https://c.leprogres.fr/jura/2015/01/09/francois-morel-a-perdu-trois-amis-a-charlie-hebdo-restons-groupes

Le voisin de l’article, c’était moi. J’étais allé le voir dans sa loge parce que je l’avais interviewé au téléphone quelques jours plus tôt, et qu’il avait été vraiment affable et chaleureux, et aussi parce que je voulais lui demander si je pouvais reproduire son petit speech dans le journal local. J’ai partagé un peu sa peine et son angoisse, mais pas l’addition parce que je l’ai invité. Le vendredi sur France Inter, il a fait une chronique poignante, à la hauteur. Digne.

Le samedi suivant (c’était un 11 janvier), place Nationale, devant la Collégiale de Dole, j’ai trouvé que c’était pas vraiment un bon endroit pour se souvenir de ce bouquet de laïcards libertaires, la bande à Charlie. Les autres victimes étaient déjà un peu passées à la trappe. Il y avait foule à 14h00, des milliers de personnes à l’air sombre, de tous bords. 

https://c.leprogres.fr/jura/2015/01/12/le-rassemblement-de-la-place-charlie-de-gaulle

Je vous passe le jeu de mots du journaliste. Pour le coup, ce n’était pas moi.

Il fallait y être. Montrer qu’on était là. Bouleversés et solidaires. L’air grave comme si on avait perdu des proches. Ne pas rire ou déconner. J’ai trouvé que la minute de silence s’éternisait. J’ai eu le pressentiment que ça allait déraper. J’ai filé juste avant que la Marseillaise ne soit entonnée. L’hymne national à tue tête, l’église en toile de fond, les notables avec des têtes d’enterrement, tout ce recueillement qui sonnait faux, ça commençait à trop sentir le tartuffe. Et puis, il y a eu Hollande à Paris qui défilait bras dessus bras dessous avec Merkel, Netanyahou et Juncker. On aurait aimé que ces connards de terroristes ne se trompent pas de cibles. Ça devenait obscène, cette solidarité de façade, par ceux-là même qui font fermenter le terrorisme. Les socialistes au pouvoir en ont profité pour jouer la carte sécuritaire avec l’assentiment de presque tout un peuple. L’état d’urgence n’a pas empêché la suite ni le bataclan ni la promenade des Anglais. Et Renaud en a profité pour embrasser un flic.

J’imagine que toute la future Macronie, la bourgeoisie bien pensante en général, le ventre mou de la France hollandaise et sidérée, ont fait pareil. Ils étaient et sont encore Charlie parce qu’ils ne savent pas faire autre chose que penser comme on leur dit de faire. Il y avait une sorte de terrorisme affectif: il fallait être Charlie comme il faut être Greta Thunberg, Mère Teresa ou Barrack Obama. J’ai rien contre Charlie Hebdo, bien au contraire. Mais je suis comme Charb: j’aime pas qu’on me force la main. Et là, on a atteint des sommets. Tout le monde était pour la liberté d’expression, les moutons, les pigeons, les cathos, les réacs, les CRS, la BAC, et même Macron! qui se préparait pourtant au plus gros putsch médiatique jamais tenté en France sans compter le régime policier qui ne pouvait qu’en être la conséquence: on ne se maintient au pouvoir sans la majorité que par la force, la ruse et l’argent.

Tout le monde a applaudi aux mesures de sûreté publique. Les patrouilles armées dans les gares et à Cirque et Fanfares, les fichiers S, les caméra vidéo dans la ville, les contrôles d’identité au faciès renforcés et tout le barnum sécuritaire.

A ne pas marcher dans la combine Charlie à tout prix, Emmanuel Todd s’est fait traiter de tous les noms, même Valls alors premier ministre a parlé d’imposture. Ce qui est quand même paradoxal: vous manifestez pour la liberté d’expression et de pensée et vous en arrivez à condamner ceux qui ne sont pas d’accord avec les vrais raisons pour lesquelles vous manifester. Il y avait comme quelque chose de pourri au royaume du #jesuischarlie.

J’avais un peu flairé le truc et je m’étais fabriqué mon propre badge. 

Au boulot, mes collègues ne connaissaient pas l’univers de Cabu et personne n’a donc compris le second degré. Il ne faisait pas bon de ne pas être Charlie. Deux ans plus tard, il ne faisait pas bon de ne pas appeler à voter contre Le Pen au deuxième tour. Émotion et démocratie ne font pas bon ménage.

Je suis Charlie! C’était simple, percutant comme ich bin ein berliner (de Kennedy) ou Je suis comme je suis (de Prévert et Gréco). Personne n’a pensé à inventé un truc du genre: je suis Hyper Casher. Non, je déconne! Un message bref et répété comme une publicité ou un slogan a plus d’impact (à court terme en tous cas) qu’un argumentaire, une analyse ou une déconstruction. Déconstruction, rien que le mot te fait peur, ami lecteur! Il ne suffit donc pas d’avoir une bonne idée. Faut-il encore être capable d’y injecter de l’affect, pour parler comme Lordon, ou plus simplement de l’émotion pour parler comme Monsieur Dupond, pour que ça passe. C’est le phénomène « Koala on fire » ou « Greta en colère ».

Mais l’émotion n’est pas bonne conseillère. Je n’ai rien contre les koalas en péril ni contre les Greta furibardes. Pourtant quand ils sont utilisés par des médias aux ordres auxquels les réseaux sociaux font écho, je me méfie. D’une manière générale, quand ça va de soi et que tout le monde fonce vers l’issue de secours qui donne sur le néant, je me méfie. Comme je me suis méfié en 2015 de cet élan chargé d’émotion qui a mené dans la rue des millions de personnes. J’aurais bien aimé les retrouver en gilets jaunes trois ans plus tard. Pourtant l’idée de base était la même: se serrer les coudes et faire bloc face à un ennemi de la démocratie et de la souveraineté populaire. Dans un cas, il était barbu et terroriste; dans l’autre, néolibéral et présentable.

En politique, l’émotion est nécessaire pour que le discours prenne. Mais l’humeur des foules est versatile et réversible. Pourtant, faut du conflit pour qu’il y ait du dialogue! Si on pense pareil, vaut souvent mieux se taire. Tant qu’elle est verbale et pas ordurière, la controverse est enrichissante. 

D’un autre côté, le slogan, c’est rigolo et convivial! « Ô Didier Lallement, prends ta tête de gland, on n’est pas dans le même camp! » L’émotion, c’est porteur et efficace! « Le bonheur, c’est simple comme un coup de fil ». Mais ça n’a qu’un temps! Le soufflé retombe vite. Sauf quand on le réactive comme le font actuellement les gros médias. N’oublions pas les victimes… et patati et patata! Méfions-nous de l’émotion orchestrée par les tartuffes aux manettes dont l’intérêt est de détourner l’attention alors que la France est au bord de l’explosion. Ceux qui ont été descendus à Charlie Hebdo n’auraient pas aimé qu’on pleurniche en leur mémoire et qu’on se fasse manipuler à cause d’eux. Ils seraient vent debout contre Macron et son monde. Ils auraient sans doute même laisser tomber Mahomet et le Pape pour s’en prendre aux vrais adversaires: GAFAM, LVMH, BCE, FMI, commission européenne, Bildelberg, Trilatérale…

Le meilleur hommage qu’on puisse rendre à Charb, Maris et Cabu, c’est de dénoncer par l’humour trash et l’analyse critique les hypocrites au pouvoir qui pleurent sur les victimes d’hier et ignorent celles d’aujourd’hui. Charlie Hebdo ne me faisait pas vraiment rire mais il ne me fera pas non plus pleurer. Je me bats pour qu’on puisse rire de tout et en bonne compagnie! On veut la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de la presse, la liberté de caricaturer les bourgeois et celle de pisser assis. Et puisqu’ailleurs, on nous les confisque, ici, à Libres Commères, on prend des libertés! Qu’on se le dise et qu’on nous lise!

Cadeau bonus!


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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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