Mode sombre

Y a pas plus coton à couvrir qu’un meeting électoral. Je me suis donc décidé assez tardivement à me rendre à Dolexpo jeudi dernier pour assister à la réunion publique d’Hervé Prat, le candidat aux Municipales de Dole pour la Liste Verte et Ouverte, un joli jeu de mots qui tient la route puisqu’il faudra encore attendre pour que la liste soit verte, ouverte et bouclée. Mais pour ce deuxième rendez-vous avec Hervé Prat (j’étais déjà au premier mais n’en tire aucune conclusion hâtive, ami lecteur! ), la tête d’affiche est alléchante.

Après un soutien venu de Grenoble, c’est de Grande-Synthe, près de Dunkerque, dans le Nord (59), que débarque Damien Carême, ex-maire et député EELV-AEI-RPS au Parlement Européen, pote à Jadot donc, ancien PS, soutien d’Hamon en 2017, qui se revendique de la social-écologie (c’est comme la social-démocratie avec du vert autour). Il a la coupe de cheveux de Nicolas Hulot et donne l’impression de s’habiller chez Tati, avec un joli coquelicot à la boutonnière. Il a failli me dire deux fois bonjour mais non… 

Pour finir sur une note seulement à demi-négative, on va commencer par la fin. Je vous gâche le suspense mais c’est pas Capitaine Marleau ici! Libres Commères était là en force puisque nous étions quatre de la rédaction. Baptiste Longet, notre spécialiste de la question européenne, demande à Damien Carême comment il fait pour soutenir que le politique doit reprendre le pouvoir sur l’économie tout en oeuvrant au sein de l’Union européenne. Damien Carême n’aime pas dire en même temps et là pourtant, c’est de l’en même temps. Sa réponse n’a surpris personne: les Verts, forts de leur score aux Européennes, grappillent des concessions au Parlement. Il faut donc rester dans le système pour le corriger de l’intérieur. C’est ça, la social-écologie. Je vous rappelle au passage qu’Hervé Prat est un ancien du NPA (Besancenot, Poutou et tout le toutim anticapitaliste internationaliste). Passe d’armes rapide et dialogue de sourds annoncé entre un entriste de l’EU (6825 euros imposables plus les frais) et un Frexitant (bénévole à Libres Commères).

C’est notre Lucien Puget (qui est, avant tout, un jeune avec un avenir pollué devant lui) qui met ensuite les pieds dans le Prat (désolé! c’était trop tentant!) à propos des deux listes à gauche, candidatures fratricides selon lui et lutte d’egos inutile alors même que les militants appellent de tous leurs voeux à l'union des gauches (toujours dixit Lulu). Je découvre même qu’il y en a une troisième… de liste (LO?) et que le RN n’a pas trouvé d’épouvantail pour énerver Jean-Baptiste Gagnoux. La réponse d’Hervé Prat est nette: les Verts ont été menés en bateau par le PS lors du précédent mandat. Et de rappeler Claude Chalon balayant d’un revers de main l’embryon de création d’une régie municipale de l’eau, ce qui ouvrait la vanne au bidouillage sermio-financier avec la Lyonnaise des Eaux.

Je tombe là dans ce que je n’aime pas faire: du commentaire sur la tambouille politicienne mais ce qui va être fait ne sera plus à faire. Ensemble Dole 2020 a embarqué dans ses rangs des anciens de la fournée Wambst 2008. Certains sont de Génération(s) quand c’est pas du PS. Il y a donc des Hamonistes dans le tas. Pour mémoire, les malheureux pourcentages d’Hamon qu’on a envoyé torpiller Mélenchon en 2017 ont manqué à la France Insoumise pour passer le premier tour. Or la Fi a, semble-t-il, mandaté certains des siens, pas les plus radicaux qui ont quitté le mouvement gazeux, pour être sur cette liste. Et je vous passe Jean-Bernard Marcuzzi qui traine dans les parages pour faire partie des 35. Ça fait pas mal de boulets à tirer tout ça! 

Côté Dole liste verte et ouverte, le boulet s’appelle Dominique Voynet, pas sur la liste mais en soutien très appuyé, et ça n’engage que moi!

Revenons-en à Damien Carême dont la tchatche s’est laissée écouter avec un certain plaisir de notre part. Plaisir partagé par l’assistance qui se composait d’écolos de la première heure, de taupes des autres listes, des jeunes collègues du Progrès et du moins jeune collègue de la Voix du Jura qui est resté jusqu’au bout sans doute pour terminer sa pellicule Kodak tant il a pris de photos pendant la conf’ de Damien Carême. A part Mathilde Bonzon, la pétillante lycéenne engagée qui a expédié son speech d’intro (faudra lui apprendre à chauffer une salle!), peu, voire même pas de jeunes, pourtant prompts à se mobiliser pour les ours polaires avec Greta mais pas à venir collecter des informations avec Lulu sur comment s’y prendre à côté de chez soi. Sur ce plan, Damien Carême a été très bon. A Grande-Synthe, il a fait de l’excellent boulot et le député sait parler de son bilan social-carbone. 

Sur une conversation Facebook à propos d’une éventuelle VIème république, mon copain Thomas Gaillard a conclu après l’exposé: « c’est donc à partir du système qu'il faut changer cet état et pas à l'extérieur. On a encore vu ce soir et ce n'est pas une nouveauté que la solution peut et doit venir du local dans un premier temps avant d'imaginer plus. Mettre les mains dans le cambouis comme on dit… » J’ai commenté: « … et surtout dans le moteur, pas dans le coffre-arrière. » Et il a liké. Avait-il subodoré toute la perfidie de ma blague?

Damien Carême a rappelé qu’il était contre les Restos du Coeur. Je le soutiens là-dessus: les municipalités ne peuvent pas se retrancher derrière le bénévolat moyennant quelques subventions pour masquer l’incurie des pouvoirs publics. C’est par le CCAS que passe les solutions pour aider les plus pauvres et à Grande-Synthe, ils ont trouvé un système pour augmenter les minima sociaux en faisant des économies sur l’éclairage public. 500 000 euros par an. C’est substantiel et ça s’est fait en cachette pour ne pas affoler la population: à l’oeil nu, on ne voit pas la baisse d’intensité de la lumière mais s’il l’avait su à l’avance, vu qu’il y a pas mal de « chercheurs de refuge » en ville, le Grand-Synthois (pas Synthol, imbécile!) eût flippé! Il faut savoir faire des choses en douce pour le bien des administrés.

Bio, local, social, solidaire, le système Carême fonctionne bien. La gratuité des transports en commun y a entrainé un apaisement: les resquilleurs, par leur crainte d’être chopés, faisaient peser un climat de tension dans le bus que la gratuité a supprimé. Mais Hervé Prat n’est pas pour l’instant pour la gratuité que défend Dole Ensemble 2020. Ça vaudrait le coup d’enquêter.

Les jardins partagés installés en bas des immeubles sont un franc-succès. Le contrôle social qui s’exerce spontanément évite le saccage (à ce propos, quelqu’un a-t-il des nouvelles de ma boite à livres?). La mutualisation des perceuses électriques, je suis également pour! (Contactez-moi en MP, je prête la mienne!)

La gestion municipale de l’afflux de réfugiés à Grande-Synthe est louable. Et je ne vais pas épiloguer sur toutes ces réussites. Il y a eu pas mal d’articles bien ficelés et même un documentaire là-dessus en 2018.

Un des projets écolos encore en cours a retenu mon attention. ArcelorMittal est implanté à Grand-Synthe. Le site est une des plus grosses aciéries d’Europe et malgré l’automatisation, reste un gros pourvoyeur d’emplois. Pour refroidir l’acier, il faut de l’eau qui partait jusqu’alors en vapeur dans les nuages qui ne demandent rien à personne. L’idée est donc de récupérer l’énergie de cette vapeur perdue. La municipalité y travaille et ArcelorMittal est prêt à la lui vendre. Et c’est là que le bât blesse. 

Cette écologie de récup’ se retrouve à la remorque d’un groupe qui déclare en 2017 pour une activité de lobbying auprès de l’UE des dépenses annuelles d'un montant compris entre 1 500 000 et 1 750 000 euros (source Wikipédia). ArcelorMittal est inscrit depuis 2009 au registre de transparence des représentants d'intérêts auprès de la Commission européenne. Bien sûr, le sidérurgiste fait baisser son bilan carbone. Bien sûr, en taxant la tonne à 20 euros, on pourrait récupérer des sous. Bien sûr, on ne peut pas virer cette grosse boite sans dévaster la situation de l’emploi et la vie de ces ouvriers qui meurent sept ans avant tout le monde. Bien sûr comme dirait mon copain Gaillard, faut mettre les mains dans le cambouis pour sortir du nucléaire. Bien sûr, faut rafistoler la merde pour continuer à fonctionner. Mais pourra-t-on reprendre le pouvoir sur le tout à l’économique en branchant notre appareil respiratoire sur son pot d’échappement? 

Damien Carême n’aime pas parler de pouvoir d’achat et lui préfère le pouvoir de vivre. C’est joli et ça plait. Ça fait moins appel à la consommation. Mais faut pas se voiler la face. Va falloir prendre des mesures radicales pour s’en sortir. Adieu, développement durable! Et croissance tout court! Notre pouvoir d’achat va en prendre un sacré coup. Et comme les pauvres morflent déjà, c’est chez les bourgeois qu’on ira réclamer des sacrifices (c’est ambigu, ce que je dis là!). L’entrisme européo-capitaliste, j’y crois pas, parce que l’UE a été créée pour élargir le pouvoir du capital en imposant la libre-concurrence sur tout et n’importe quoi. Faut arrêter de jouer au plus con, sur ce coup-là! On ne changera pas l’UE avec trois députés verts et deux pétitions! vu que c’est à la Commission que ça se passe.

Et même si au local, on peut agir, va quand même sacrément falloir l’ouvrir sur le plan global et prononcer les mots. Hier, l’anticapitalisme n’était pas à l’ordre du soir. Pas d’idéologie au local! Faire que le politique reprenne le pas sur l’économique, c’est plus soft. Mais c’est de l’enfumage pour les scouts.

En quittant Dolexpo, j’ai constaté que j’étais le seul à être venu à vélo. En pédalant dans la nuit et en cherchant mon chemin dans l’obscurité, du côté de la rue Costes et Bellonte, je me suis dit qu’on faisait des économies de lumière. Et je me suis rappelé que depuis que ma vieille dynamo ne marche plus, je mets des piles, grosses comme des cachets d’aspirine et non-rechargeables, pour faire marcher mes phares. Et merde!


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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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