Mode sombre

Ce samedi 18 janvier, j’ai pris ma bagnole, ce qui constitue en soi un évènement, et j’ai poussé la machine jusqu’à Goux où la section communiste locale avait loué la salle des fêtes. J’avais bien envie de rencontrer le philosophe Bernard Vasseur que je vous ai déjà présenté ici même. On avait déjà discuté une bonne demi-heure au téléphone mais je sentais qu’on avait encore des tas de choses à se dire.

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Les camarades écoutaient la fin d’une conf’ gesticulée quand je suis arrivé. Entre la galette et le café, j’ai donc eu le temps d’échanger avec Bernard Vasseur. C’est le prof de philo qu’on rêverait d’avoir eu. Résumé succinct des propos: la préciosité de Lordon, l’aridité mathématique de Spinoza et l’humour d’Emmanuel Todd dont Bernard Vasseur se trouve être l’ami sans oublier Alain Badiou qu’il a contribué à faire entrer chez Gallimard. Bref on était entre intellos.

Mais dans sa conférence, Vasseur a été très pragmatique et clair. Elle portait sur l’actualité d’un Karl Marx dans un contexte politique de démolition des régimes de retraite.

Dans son intro, Vasseur a rappelé que Marx avait évoqué le nécessaire respect de la terre avant même que le concept d’écologie ne soit inventé par Ernst Haeckel en 1866.

https://www.franceculture.fr/oeuvre/karl-marx-penseur-de-lecologie

L’étiquette de promoteur du productivisme a été collée sur le dos du pauvre Karl par des théoriciens à la petite semaine qui ont détourné sa pensée et que les relectures actuelles et nombreuses des textes originels permettent de démasquer. « Il faut libérer Marx du marxisme » dit Vasseur. On peut en effet être « marxien » sans faire craindre l’invasion des chars russes.

L’orateur a rappelé les deux piliers du capitalisme croqué par Marx: l’accumulation et la concentration des richesses. Et de faire remarquer qu’il y a « actuellement moins de milliardaires qu’il n’y avait de nobles sous l’Ancien Régime ». C’est dire si certains ramassent!

Sur les retraites, Vasseur n’y va pas par quatre chemins: le gouvernement Macron-Philippe cherche à effacer les dernières traces des victoires sociales de la Libération. En 1945-1946, le PC (notamment représenté au gouvernement par Ambroise Croizat) et la CGT imposent au patronat (qui avait dans sa grande majorité coopéré avec les Nazis) la sécu et les caisses de retraite. Si vous n’avez pas vu la Sociale de Gilles Perret, c’est le moment. Mais pour Macron et les néolibéraux, le consensus de 1945 est aujourd’hui inadapté si on veut raccrocher notre pays au monde. D’où son obsession bien plus idéologique qu’il ne veut le dire de réformer les régimes de retraites. En fait de réforme, c’est une démolition en règle des acquis sociaux. Macron n’est ni plus ni moins un réactionnaire, fer de lance du capital revanchard. Faut arrêter avec ces conneries déguisées de progressisme et de modernité. Vlan!

Croizat proposait d’assurer à la personne une dignité à vie en développant un « déjà-là » (les caisses d’assurance et de retraite embryonnaires d’avant-guerre). Cette idée de développer un « déjà-là » présent dans une phase du capitalisme est une idée marxienne que Bernard Friot a tout à fait compris dans sa proposition de salaire à la personne: il s’agit de développer l’existant, c’est à dire d’étendre le statut de fonctionnaire au plus grand nombre de salariés possible. 

Je n’ai pas le souvenir d’avoir entendu Vasseur parler de dialectique: sans doute pour ne pas effrayer ses auditeurs. On a malheureusement tendance à tenter de s’échapper dès que quelqu’un évoque le matérialisme historique et critique qui n’est finalement que la méthode marxienne qui consiste en gros à creuser sous la surface évènementielle (les faits historiques) pour y déceler les rapports sociaux sous tension, les relations dominants-dominés.

Le projet de retraite à points en est une bonne illustration. Derrière la proposition du gouvernement qui semble frappée du sceau du bon sens (je travaille, je mets de côté et je touche plus tard), se cache la tentative d’un État au service du capital de remettre la main sur la gestion paritaire (syndicats-patronat) des caisses communautaires et de faire migrer le pactole vers les fonds de pension: la valeur du point de retraite sera à terme  tellement faible que les salariés se rabattront sur les mutuelles complémentaires privées. L’idéologie néolibérale consiste à faire croire que tout cela est un processus naturel, une évolution nécessaire alors que c’est une orientation rétrograde vers l’ancien régime de l’individualisme-roi: je travaille à mon compte, donc je suis souverain. Le problème, c’est qu’avec cette logique en apparence imparable, si on vit plus longtemps, on doit travailler plus longtemps. En termes marxistes, rallonger le temps d’exploitation du prolétariat par le capital, un rapport de force qui prenait pourtant fin avec la retraite où le retraité touchait sans avoir à se préoccuper des risques. Avec la retraite à points, la précarité (qui est une vision pessimiste du risque que valorise la libre-entreprise) dure jusqu’à la mort.

Vasseur a évoqué la nécessité de transformer le troisième âge en troisième vie et de davantage se libérer du travail contraint pour se consacrer en encore plus à des activités épanouissantes pour la personne. En bref, travailler moins pour vivre plus et inventer une vie active après le travail rémunéré. On est loin du productivisme stakhanoviste d’antan.

Quant aux régimes spéciaux, Vasseur en a rappelé le bien-fondé: égalité (j’aurais plutôt parlé d’équité) ne signifie pas uniformité et le philosophe a surpris son monde en révélant que la formule attribué à Marx « à chacun suivant ses besoins » était en fait extraite des Actes des apôtres, ce qui tend à montrer que le communisme n’a pas attendu la création de la Section française de l'Internationale communiste, futur PCF, en 1920, pour germer dans certains esprits. J’ai oublié de vous dire que la journée était en fait consacrée au lancement de l’année du centenaire de la naissance du PCF. Au-delà du nouveau logo, elle semble correspondre à une volonté de renouvellement de la pensée communiste.

En conclusion, Vasseur a résumé la thèse principale de son opus de vulgarisation « Communiste avec Marx »: le socialisme est mort, vive le communisme… puisqu’il n’a jamais été essayé. 

Staline, Mao, Mitterrand et Strauss-Kahn ont trahi la pensée de l’auteur du Capital. Marx reste donc d’actualité: il ne propose pas une utopie galvaudée par des applications biaisées mais un outil d’analyse et d’action pour créer « une société supérieure » où « le libre développement de chacun est la condition du développement de tous ». S’il a montré les mécanismes de la folie du capitalisme, il n’a pas proposé de solution clef en main. C’est en cela que ce n’est pas un utopiste comme Fourier et ses phalanstères par exemple. Il expose un programme à actualiser, à mettre en pratique sur les bases d’une critique de ce qui se fait. Comme nous sommes en période de crise, les mécanismes et les contradictions se voient d’autant mieux. Et il est temps d’en sortir en proposant une vision des choses qui dépasse la contradiction actuelle (toujours plus de richesses dans moins en moins de mains) tout en se fondant sur l’existant (le système social français par exemple). C’est la philosophie marxienne qui assoie sa légitimité sur une tentative de compréhension de l’humain. 

Je suis ensuite allé voir Vasseur et j’ai posé la question qui aurait fâché il y a encore 20 ans. Signe que les temps ont changé. Mais avant je vous propose un petit écart vers l’actualité des réseaux sociaux.

Le maire de Dole fait ici référence au stalinisme et aux régimes qui s’en sont inspirés. Il me parait nettement moins inspiré vis à vis d’Anne-Sophie Pelletier: il attaque la France insoumise (j’en Fi partie, j’en suis parti) et alors là, on est en pleine diffamation et on frise la correctionnelle. Si Jean-Hulk Mélenchon tombe là-dessus… il va encore piquer une de ces colères. Faudrait pas qu’il lui vienne l’idée de prendre le train jusqu’au premier étage de l'hôtel de ville de Dole. Plus sérieusement l’ancien prof d’histoire-géo colporte les pires amalgames de la droite réactionnaire. On peut plus être de gauche sans avoir le sang de toutes les victimes de Staline sur les mains. Oh, ça va pas la tête! Gardez votre sang-froid, mon garçon!

Retour à Marx. 

Je pose donc ma question. La bourgeoisie a remplacé le terme de capitalisme entaché d’exploitation de l’homme par l’actionnaire: les médias parlent aujourd’hui de libéralisme, ce qui parait nettement plus cool, et même de néolibéraux, ce qui est encore plus swag et totalement mensonger. Mais aura-t-on une force de frappe suffisante pour réhabiliter le très beau terme de communisme malgré l’odeur de goulag bolchevik qui lui colle au derrière? Autrement dit, faudra-t-il changer de nom comme le PCF a laissé tomber la faucille et le marteau? Bernard Vasseur m’a tout simplement répondu: invente-le, camarade!


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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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