Dans la tête des techno-ploucs

Il y a quelques jours maintenant se tenaient en grandes pompes les vœux du maire et du député à la Commanderie. Tout le gratin LR du Jura était réuni pour la sauterie, il faisait chaud, ça fleurait bon la vinasse et le graillon.

Dédicace aux affreux jaujaunes et autres sans-culottes venus briser le ronronpublicain.

Après les litanies de frêre Gagnoux vint l'heure de l'homélie du Grand Serpasluches. « Mais qu'allez-vous donc nous prêcher mon bon seigneur ? » murmurais-je, en bon novice, entre mes lèvres frémissantes d'impatience. Après son quart de vin de messe, le p'tit père se lance : au menu, croissance verte et innovation. Demain des voitures autonomes partout dans Dole qui rouleront aux larmes de l'opposition politique locale!

Trêve de plaisanteries.

Croissance verte (ou son synonyme « développement durable »), transition énergétique... autant de termes et d'éléments de langage vus et revus dont nous abreuvent bon nombre de politiciens et de dirigeants zélés de grandes entreprises.

Ne pensez-vous pas que ça mérite qu'on gratte un peu? Faut pas aller bien loin pour trouver les premières limites pratiques de ce genre de concepts.

Ces mots font partie de stratégies de com' produites aussi bien par des libéraux que par des sociaux-démocrates (ou autres libéraux frustrés), ils font partie intégrante de leurs récits, de leurs mythes.

Si vous le voulez bien, commençons par un tout petit retour en arrière de 70 000 ans. (pas bien loin qu'il disait...)

C'est à cet âge qu'advient la Révolution Cognitive qui est très certainement l’événement le plus décisif pour l'avenir de Sapiens. C'est la transformation de notre capacité cognitive nous permettant de communiquer entre nous sur le réel vers une capacité à élaborer des fictions, donc à sortir notre raisonnement de ce seul réel. C'est le début de l'élaboration de mythes communs (religions, monarchismes d'ordre divin, droits de l'Homme, lois du marché...) qui n'existent que dans l'imagination collective et qui sont à la racine de toutes formes de coopération humaine à grande échelle comme les églises médiévales, les tribus de fourrageurs animistes, les dictatures, les états modernes, le marché...

Ces constructions sociales n'existent pas sans les croyances communes que les peuples inventent et se racontent.

Par ailleurs, les porteurs de mythes ont de tous temps eu la volonté de faire entrer leurs récits dans une condition naturelle. Autrement dit, inscrire des récits dans une réalité biologique et cela du code du roi Hammourabi de Babylone jusqu'aux pères fondateurs des États-Unis, en passant par les philosophes des Lumières.

C'est le cas d'Adam Smith, l'un des pères fondateurs du libéralisme et des « sciences » économiques classiques qui se retrouvait alors à justifier l'économie de marché comme étant une organisation spontanée et naturelle à l'Homme, dans l'ordre des choses.

Intéressons nous ici à une des propositions les plus centrales de l'économie classique. Une phrase qui fera règle dans l'élaboration du mythe de l'économie de marché classique.

« Les ressources naturelles sont inépuisables car sans cela, nous ne les obtiendrions pas gratuitement. Ne pouvant ni être multipliées ni épuisées, elles ne sont pas l'objet des sciences économique »

Cette phrase, c'est celle de Jean-Baptiste Say, éminent économiste classique à l'origine du « Traité d'économie politique » en 1803.

Vous voyez le loup ? Alors même qu'aujourd’hui notre monde est en contraction énergétique (depuis 2007), qu'il est admis que la croissance économique dépend entièrement de la croissance de l'utilisation de l'énergie et que bien évidemment l'on sait que les stocks de ressources sont finis, les économistes qui murmurent à l'oreille de nos ânes de gouvernants n'ont toujours pas inclus dans leurs modèles macro-économiques la notion de finitude du monde qui est pourtant le premier des facteurs limitants.

Le fait est que la théorie classique de l'économie s'est imposée en récit dominant, structurant nos sociétés, et les libéraux nous promettent monts et merveilles malgré le drame écologique en cours, en nous faisant le récit de la croissance verte.

Notre député, qui par ailleurs s'illustre auprès de la commission développement durable à l'Assemblée Nationale en sa qualité de vice-président, se trouve être un des nombreux mégaphones de cet ensemble de récits creux qui nous mènent à l'abattoir.

L'économie, dans l’entièreté de ses équations, considère que le PIB est indépendant de la consommation d'énergie. Ce qui, redisons-le, est parfaitement faux. L'économie est intrinsèquement un sous-système de la planète Terre et se doit d'être pensée en conséquence de ce constat. La planète étant un monde fini, la croissance ne peut y être infinie. C'est bête comme chou.

Une croissance infinie nécessiterait un découplage total : des ressources et de l'énergie infinie, sans accroissement de la pollution, de l'érosion des sols, des émissions de gaz à effets de serre.

Cela relève de la science fiction. La croissance verte est un non sens.

Mais visiblement, notre prélat était tout content derrière son pupitre à faire des pirouettes, à donner l’Ostie du miracle technologique. Et moi, qui me prenait pour moi, me découvrait alors en parfait hérétique au milieu d'un parterre d'ouailles en communion.

A l'assemblée d'applaudir, de s'applaudir.

Nous avons décidément des problèmes de mites au logis...

E.B.A

Pour aller plus loin :

https://www.youtube.com/watch?v=qIcrCezQRA8&t=5075s

https://www.youtube.com/watch?v=nfRbpqQu6kU&t=6770s

https://www.youtube.com/watch?v=YUGQgWIyvXo&t=1398s&fbclid=IwAR3Jhl0w-v1g_sqM8M9-Iie84Uc842087LeXLfhf2cZVqdGGD9e0jt1qDJU