Mode sombre

Parasite de Bong Joon-Ho a reçu l’Oscar du meilleur film et c’est tant mieux. Même si je me contrefous d’habitude de ces prix des gens de la profession, vu que le milieu du cinéma, surtout celui d’Hollywood, nous pollue constamment les écrans. Et je note au passage que récompenser Joachim Phoenix dans Joker la même année n’est sans doute pas anodin et témoigne bien d’une même intuition de pré-apocalypse. J’ai vraiment trouvé Parasite monstrueusement génial mais je n’en suis pas sorti pour autant le sourire aux lèvres. Et même plutôt secoué. Pas en bien. Y a tout de même un peu de quoi désespérer de l’humanité entière. 

Aussi ne suis-je pas sûr de partager tout à fait les conclusions de Melania Piccolo dans La Voce delle Lotte, un article repris et traduit dans Révolution Permanente. L’auteur y pointe beaucoup d’aspects du film et notamment l’importance qui y est donnée à la lutte des classes. Faut pas non plus être un fin analyste pour s’en apercevoir. Mais elle manque à mon avis un point essentiel: les Kim (comme les mini-Mao du Nord) tiennent plus du lumpenprolétariat dévoyé que des dignes misérables. Ils bernent leurs maitres en les séduisant, usurpent la place des autres serviteurs qu’ils font virer par ruse et dès qu’ils ont l’occasion de profiter de la maison des Park, leurs employeurs, en leur absence parce qu’ils les craignent, ils se torchent la gueule en bouffant des chips amochant au passage l’ex-gouvernante et son mari lors d’une baston pitoyable. Les Kim n’ont vraiment rien pour plaire sinon un don pour l’arnaque. 

Autant les Park suintent le mépris de classe et le snobisme coincé, autant les Kim respirent la cupidité crasse (même si elle est motivée par la survie) et la duplicité déloyale. Bref, tout ce monde est bien moche et puant. Dans Parasite,  chacun exploite l’autre dès qu’il le peut. Même si on se dit que le rupin prétentieux mérite bien de se faire larder par son larbin humilié, il n’y a guère que l’amour filial qui rachète un peu ces monstres appâtés par le profit qui m’ont rappelé Affreux, sales et méchants d’Ettore Scola. Entre les dégoûtants et les dégoûtés, pas facile de prendre fait et cause. Et le génie de Bong Joon-Ho, c’est justement d’avoir évité le piège du paupéroptimisme (tendance à croire que les pauvres sont forcément des gens biens). Les Kim sont minables et prêts à tout pour s’en sortir sans considération pour leurs compagnons d’infortune. Aucune conscience de classe chez eux: seuls les liens du sang résistent à la débâcle alors que la super-bourgeoisie est, comme toujours, mieux structurée.

Le final de Joker n’est guère plus rassurant avec une émeute aussi dantesque que sans lendemain. Les deux films nous annoncent effectivement que toute cette merde va bien finir par péter à la gueule de ceux qui en profitent encore mais on n’est pas sûr de devoir s’en réjouir.

« Parasite n’a qu’un seul message important, et ce message s’adresse à la bourgeoisie de toutes les latitudes: bientôt la haine extrême et brutale que nous avons mise en circulation reviendra contre nous, bientôt les prolétaires se réveilleront du sommeil et nous feront tomber », écrit la chroniqueuse italienne. On aimerait pouvoir la croire. Mais si Trump tempête contre Parasite, c’est simplement que le film est coréen et sous-titré, sans doute pas parce qu’il l’a vu et sûrement pas parce qu’il en aurait compris l’éventuel message. S’il y a bien une histoire de lutte des classes derrière ces deux films récompensés, la petite clique bien pensante hors sol à robes longues et noeuds papillons qui a applaudi Eminem et Obama à la cérémonie me semble plus préoccupée par ses histoires de #MeToo que par le risque d’un véritable bouleversement social. Je souhaite bien du courage à Bernard Sanders! 


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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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