Mode sombre

Il s’est dit beaucoup de choses lors de l’assemblée générale du Comité de Défense des Hôpitaux Publics de Dole du 24 février dernier. Il n’ y avait pas autant de monde que lors de la première réunion où j’avais ressenti comme un élan digne de celui qui devait régner à Paris en 1792 lorsque la patrie fut déclarée en danger face à l’Austro-Prussien. Le conseil d’administration avait accueilli plus de trente noms à l’issue d’une séance qui en appelait à la mobilisation citoyenne face à la disparition programmée de l’hôpital Pasteur notamment comme centre de chirurgie conventionnelle (on se fait opérer et on reste autant qu’il le faut). L’ardeur semble un peu retombée chez certains mais le Comité de défense a mis les bouchées doubles pour continuer à mobiliser. Je vous renvoie d’ailleurs au site qu’Axel Fricke a mis en place et qui donne l’essentiel de ce qu’il y a à savoir sur la question. La mobilisation reste d’autant plus à l’ordre du jour qu’en période d’élections municipales, il est toujours bon de rappeler que le maire de Dole est président du Comité de surveillance de l’Hôpital Pasteur. Jean-Baptiste Gagnoux nous l’a rappelé il y a une quinzaine de jours en nous apportant d’heureuses nouvelles.

On devrait se réjouir de cette situation financière qui s’améliore et encore plus de l’augmentation du budget investissement de la coquette somme d’un million d’euros. C’est pas rien et c’est bien pour cela que Jean-Baptiste Gagnoux botte finalement en touche du côté de l’ARS « seule responsable au final ». Ce qui ne l’empêche pas de tacler un peu plus bas les oiseaux de mauvais augures qui « comme à chaque élection municipale, nous expliquent que l’hôpital va fermer ». Et de conclure par un haut les cœurs ! on soutient l’hôpital et son personnel ! On aurait aimé l’entendre de vive voix devant le Comité de soutien exprimer le même optimisme alors que quelques praticiens et personnels étaient venus dire comment ça allait mal dans les couloirs aussi bien à Saint-Ylie qu’à Pasteur, et d’une manière générale dans tous les établissements publics du Jura.

Un membre du Comité de défense, Christian Parent, a très justement rappelé l’importance des mots dans toute cette affaire. Un hôpital de proximité est, pour une technostructure comme l’ARS, un établissement mineur où ne se pratique qu’une chirurgie ambulatoire (on rentre le matin et on repart chez soi à la fin de la journée, pas la peine de s’attarder, circulez, y a plus de cantine pour le dîner !). Dans ce vocabulaire-là, l’hôpital ne disparait pas complètement mais il perd une bonne partie de sa vocation de Centre Hospitalier Général pour ne finalement traiter que des problèmes de médecine générale sans chirurgie ni maternité au final. L’ARS joue sur les mots et les politiques surfent sur ce flou pour ne pas engager leur responsabilité. Michèle Leflon, la présidente de la Coordination Nationale des Hôpitaux et Maternités de proximité a d’ailleurs pris la parole à ce sujet : « Les politiques sont un petit peu emberlificotées. On a du mal à comprendre où ils veulent aller. S’ils font cela, c’est bien aussi pour voir où il y a le moins de résistance et où est-ce qu’on peut fermer des services, supprimer des postes de personnel sans résistance. Le schéma pour l’ARS n’est donc pas si simple que ça. Il faut jouer avec les luttes, masquer ce qu’on veut faire. » Dans cette stratégie de diversion, ce que nous annonce victorieusement Jean-Baptiste Gagnoux (un mammographe et une unité de soins de suite et de réadaptation en cardiologie) n’est-il pas un fumigène électoral qui tombe à pic car le maire sortant a bien compris qu’il y avait là un enjeu et donc une carte à jouer pour lui mais aussi pour les autres candidats. Ako Hamdaoui et Hervé Prat étaient d’ailleurs présents mais sont restés silencieux. Lors de la venue de Dominique Voynet, certains membres du Comité de soutien, feraient bien de demander des éclaircissements sur le rôle de l’ARS à Dole à la directrice de la toute nouvelle agence de Mayotte. C’est toujours intéressant d’avoir l’avis de quelqu’un dans la place.

Mais revenons-en à ce qu’a dit Michèle Leflon : « Les élus n’ont quasiment plus de rôle dans les conseils de surveillance depuis la loi Bachelot et d’ailleurs ils en profitent. Mais je pense qu’en cette période qui précède les élections municipales, on a quand même intérêt à poser un certain nombre de questions parce que je peux vous dire que pour un directeur de l’ARS qui veut fermer un service, c’est quand même totalement différent de le faire avec un maire qui est d’accord parce qu’il a cédé au chantage de l’ARS qui lui a promis on ne sait jamais trop quoi et un maire qui n’est pas d’accord. C’est plus simple aussi pour un directeur d’ARS de fermer des maternités en disant que la CME de l’hôpital (l’assemblée des médecins) a donné son accord à ces fermetures, c’est plus simple que quand les médecins s’opposent formellement à une fermeture. Il faut quand même comprendre que ces personnes-là gardent un certain rôle et qu’on a beaucoup intérêt à les sensibiliser. Là où il y a des luttes importantes, les fermetures ne se passent pas. Ceci pour dire que ça vaut peut-être le coup d’interroger les candidats aux élections municipales sur ces questions-là en ce moment. » On la croit d’autant plus que Michèle Leflon a étayé son argumentaire par de nombreux exemples concrets un peu partout en France car le phénomène est national. On pourrait penser que la réduction des dépenses pour l’hôpital s’inscrit uniquement dans un cadre de limitation des déficits publics, or « le privé s’est aussi transformé et ce n’est plus la clinique du docteur Untel, reposant sur des fonds familiaux. Nous sommes bien maintenant sur un secteur privé très agressif qui est lié à des intérêts financiers, aux marchés financiers et à ce qu’il peut y avoir de pire dans notre monde puisque la santé, c’est pour eux purement et simplement une question de profit. La Fédération hospitalière privée  https://www.fhp.fr/  a d’ailleurs dit qu’elle était prête à ouvrir des services d’urgences partout en France. Mais ne vous faites pas d’illusion, ce ne sera pas dans les petites villes mais là où ça va être rentable. Ça existe à Dijon. » Les capitalistes sont donc bien décidés à mettre la main sur l’essentiel de la santé pour en faire du fric. Pour une fois que ce n’est pas moi qui le dis !

Reste la question de la centralisation, problème épineux sur lequel les médecins des hôpitaux parisiens opposés au projet Buzyn ne sont pas d’accord avec les comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité. Mais tout le monde s’accorde à dire qu’il faut des fonds.

Michèle Leflon a  évoqué la nécessité de « faire sauter le verrou de l’ONDAM », l’objectif national des dépenses d'assurance maladie, voté tous les ans au parlement, qui limite les dépenses de santé. L’ONDAM illustre, et là c’est moi qui parle, parfaitement la stratégie « stato-financière » dont parle Emmanuel Todd : la bureaucratie administrative cherche en apparence  à équilibrer un budget qui n’augmente pas suffisamment en rognant sur les dépenses. C’est une logique d’économie de petite entreprise qui semble tomber sous le bon sens : on ne dépense pas ce qu’on n’a pas. Or il y a de la ressource financière à cette échelle et s’il ne s’agit pas de dilapider l’argent du contribuable et du cotisant, il ne faudrait pas non plus démolir insidieusement la santé publique pour précipiter les patients inquiets dans les lits des cliniques et entre les mains des toubibs aux dépassements d’honoraires caractérisés. « On ne peut pas envisager le développement de cette médecine à deux vitesses où d’un côté, on pourra se faire soigner sans attendre dans un grand centre privé parce qu’on a une voiture, les moyens d’y aller et la famille qui va avec et de l’autre, ceux qui n’ont pas de moyen de locomotion, dont les enfants sont partis travailler ailleurs et qui ne pourront pas se faire soigner parce qu’en proximité, il ne restera rien. Il faut donc continuer à débattre sur les propositions et faire vivre la démocratie que les ARS ne veulent pas faire vivre. Les directeurs des ARS sont tout de même nommés par le gouvernement et derrière l’aspect très technocratique, il y a un vrai responsable qui est le gouvernement. »

A ceux qui rétorqueront qu’il faut être pragmatique et que la France n’a plus les moyens d’une politique de santé publique si dispendieuse, je rappellerai comme le fait Bernard Friot que notre pays a réussi à construire, après des années d’occupation nazie, de pillage de guerre et de collaboration économique, un système de santé solidaire que le monde entier nous a longtemps envié. Il ne faudrait pas nous faire croire qu’avec un tel PIB, la France de Macron n’a pas les moyens de soigner tout le monde sous la même enseigne : que le gouvernement ait au moins le courage d’avouer qu’il nous enfume avec des tours de passe-passe et des discours techniques et qu’il veut laisser crever les pauvres dans des hostos délabrés. Ça laisserait aux élus locaux actuels l’opportunité de dire qu’ils ne savaient pas, même si on n’est pas dupes, et de se donner une chance de repasser du bon côté de la barricade. Mais je n’irai pas jusqu’à leur promettre qu’ils y seront bien accueillis.

Epilogue: le débat sur France 3 du 4 mars est venu corroborer ce qui vient de se dire. Ako Hamdaoui s'est montré beaucoup plus offensif sur l'hôpital mais la parade de Jean-Baptiste Gagnoux est restée la même: c'est l'Etat qui décide et de se défausser à peu de frais sur l'ARS, jugeant inutiles toutes les manifestations du Comité de Défense et accusant à plusieurs reprises le candidat divers gauche de dire n'importe quoi et de faire croire à la fermeture imminente de la maternité. La candidate Lutte Ouvrière Dominique Revoy est finalement allée dans le même sens en accusant notamment les grands équipementiers de faire main basse sur la santé, en reportant donc la responsabilité sur la bourgeoisie et en plaçant comme à chaque fois le débat à un échelon quasiment international, ce qui ne fait que souligner le caractère obstructif de la présence de LO dans cette campagne pourtant locale.

La question de la responsabilité de la gestion de l'hôpital public reste donc posée: qui des bureaucrates, des soignants ou des patients doit faire les grands choix financés par l'argent des patients géré par des bureaucrates pour offrir aux soignants salaires et conditions de travail satisfaisants?

 


Partage :




Licence Creative Commons Article mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.



À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

Retrouvez tous les articles de Christophe Martin