Mode sombre

Je ne sais pas trop ce qu’en dit la poésie mais les quelques mots d’Edgar Morin sur le courage sont intéressants. Faut déjà du courage pour répondre à des questions du Parisien (journal de Bernard Arnault, je vous le rappelle). A moins que ça ne soit de l’inconscience. Or il y a justement entre l’un et l’autre une énorme différence.

La témérité est la propension naturelle à oser sans calculer le risque, à entreprendre sans mesurer le danger. C’est l’audace des têtes brûlées, la fougue des présomptueux, l’intrépidité des irréfléchis. Point de jugement de valeur dans mes propos mais c’est là une pulsion instinctive, un élan animal comparable à son contraire : la peur. Dans les deux cas, on fonce mais pas dans le même sens. C’est tout.

Le courage, dont le cran et la bravoure sont des synonymes, n’est pas exactement le contraire de la peur. Il en est plutôt le dépassement. La peur et l’étonnement sont suscités par la surprise, c'est-à-dire le surgissement de l’inconnu, de l’inhabituel et de l’inédit. Si celui-ci semble présenter un danger, c’est la peur qui l’emporte et on aura tendance à adopter une stratégie d’évitement, à moins d’être contraint à l’agressivité pour diminuer le risque en écartant le danger : si vous rencontrez une araignée dans la forêt, vous faites un détour. Si elle vous tombe dessus, vous cherchez à la repousser. Vous l’affrontez si vraiment c’est elle ou vous dans la salle de bains.

Avec Macron, c’est un peu la même chose. Les Français ont longtemps voulu faire comme si de rien n’était. On n’était pas nombreux à vouloir lui faire sa fête devant la gare de Dole en 2017. L’effet de sidération lui a servi d’état de grâce présidentiel pendant de longs mois. Plus tard, les Gilets Jaunes ont affronté le régime de biais sans vouloir faire de politique, puis de plus en plus frontalement jusqu’à braver le danger grandissant, les flics, les lacrimos, les tonfas, les LBD, la garde à vue. Il y a eu de la témérité à prendre les rond-points, l’Arc-de-Triomphe et les avenues du VIIIème arrondissement. Mais aujourd’hui, c’est du courage que d’aller manifester devant l’Assemblée Nationale ou les préfectures parce qu’on sait un peu plus à quoi ressemble ce qui nous attend : le pouvoir a de nouveau enfilé son uniforme de CRS, par-dessus le costume du banquier.

Edgar Morin explique comment le courage lui est venu progressivement, à force de côtoyer le danger. Il a fini par prendre de gros risques mais des risques calculés, réfléchis, consentis. Car la bravoure est une question de volonté. Elle est un renoncement au confort, à la routine, à la sécurité pour volontairement affronter la peur, la souffrance et les gros emmerdes au nom de valeurs comme la dignité, la justice ou la souveraineté. Si le téméraire ne calcule pas, le brave est un stratège. S’il doit y avoir un sacrifice, il se fait au nom d’une valeur d’une autre dimension que le simple mieux-être face à un mal. Je peux me défendre comme un cerf acculé par des bouchers en meute et en jaquette ou tenir tête à un agresseur parce que je n’ai pas le choix mais le vrai courage, le courage librement choisi, est celui qui fait d’abord renoncer à un bien-être, aussi relatif soit-il, pour aller obtenir quelque chose qui n’est pas du même ordre : faire entendre mes idées ou celles de ma communauté. Il ne s’agit pas de sauver une situation mais de me mettre au service d’une cause qui dépasse ma propre condition, ma liberté, peut-être ma vie même. Edgar Morin ne dit pas autre chose.

Sans friser l’héroïsme qui vise l’exploit gratuit et prodigieux, le citoyen courageux refuse simplement de plier devant ce qu’il juge indigne et injuste. Le résistant est un brave. Quelle que soit sa cause, elle lui parait juste. L’être sans foi (celle qui déplace les montagnes) se vend au plus offrant comme l’opportuniste de Dutronc et cède le plus souvent à ses envies de tranquillité : c’est le TPMG (tout pour ma gueule),  le vieux avant l’âge, le conservateur, celui qui au fond n’a pas très envie que les choses changent. C’est le résigné, le tiède, le mollasson, le réformateur, le bobo keynésien. Le pépère. 

Celui qui Y croit ne se rend pas, lui. Y, c’est la volonté de (presque) tout changer, l’espoir du bouleversement radical, la fibre révolutionnaire. Là, le courage s’appuie sur la témérité et a contrario, la bravoure peut donner du corps à l’intrépidité. On ne lance pas tous des transpalettes contre les portails des ministères et des pavés dans les vitrines des Mc Do. On n’affronte pas tous les nervis de Macron dans la rue. Comme dirait Fabrice Schlegel à mon propos, avec le physique que j’ai (et aussi l’âge), c’est peut-être pas le moyen le plus efficace de renverser le régime. Mais contrairement à lui, je ne pense pas que ce soit une simple question de régime. C’est le système qui ne va plus (mais a-t-il jamais tourné rond ?) et alors que j’aurais tout intérêt à finir mes jours tranquilles à faire l’imbécile sur Facebook en buvant des coups dans une petite ville de province plan plan, j’ai, depuis quelques années, pris mon courage à deux mains, moi qui ne suis ni un téméraire ni un casseur de vitrines. Je ne suis pas un tribun, encore moins un acteur. Rien qu’en écrivant ces mots, j’ai le cœur qui bat plus vite qu’à l’ordinaire.

Ça m’emmerde un peu de vous parler de moi d’genre le mec qui s’épanche mais rappelez-vous que dans Libres Commères, on est gonzo avant d’être rapporteur d’infos. On le fait comme on le sent et quand on ne le sent pas trop, on donne la parole aux autres. On a besoin d’intrépides qu’ont pas froid aux yeux comme Michel, Nono, Jeanne ou Lucien. On cherche aussi des braves qui ont peut-être besoin de nos épaules pour dire les choses qu’ils savent et qu’ils ont envie de faire savoir sans oser se lancer.

Je voue une admiration sans bornes aux lanceurs d’alerte, à Julian Assange, à Edward Snowden, à d’autres moins connus. On en est pas encore là à Libres Commères. On cherche simplement à ce que le coup de gueule téméraire sur Facebook  et éphémère au  café du coin devienne une prise de parole bien pesée, durable et par là même courageuse. On n’a pas la force de frappe de BFMTV ou même de Dole Mag mais vous savez où nous trouver, nos colonnes, c’est vous et Libres Commères est là parce que vous n’êtes pas loin derrière.

Edgar Morin n’est entré dans la Résistance qu’en 41, au moment où un espoir commençait à poindre. Heureusement que tout le monde n’a pas attendu si longtemps pour s’opposer aux dictatures de droite. Pourtant ça doit booster sacrément la dignité de pouvoir déclarer dans un quotidien national, même s’il est financé par un homme qui a aidé à mettre Macron au pouvoir, qu’on n’a pas passé la deuxième guerre mondiale, la tête dans le sable, à obéir aux ordres sans savoir où on envoyait les Tsiganes, les homos, les communistes et les Juifs, ou plus simplement à gagner de la thune en collaborant avec l’occupant. 

On en est pas encore à distribuer Libres Commères sous le manteau mais on ne s’est pas fait que des amis. C’est bon signe. Ça nous donne du courage pour continuer car vu ce que le pouvoir nous réserve, il va en falloir à tout le monde pour garder un minimum de dignité.


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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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