Mode sombre

Ainsi va la vie à Sallas. Petit village aux abords du parc naturel du Périgord Limousin encerclé de pâturages, de douces collines boisées et ses quelques étangs discrets. Phil et Una nous y accueillent depuis plusieurs semaines et nous logent dans une petite cabane sur leur terre, à quelques centaines de mètres de leur maison. Ainsi va la vie à Sallas, qui d'aucun dirait spartiate depuis sa carapace technologique: deux petits lits, une table, deux chaises, une petite console, un poêle, une bibliothèque. Ici,le chœur des oiseaux vient à nos oreilles, les notes florales à nos narines. Ici, le froid du matin vous vivifie, la chaleur du soir vous plonge dans un répit des plus mérités. Cette quiétude n'est pas à confondre avec une vanité vacancière. Surtout pas.

 

L'heure n'est ni à la passivité, ni au romantisme, ni à la facilité qu'ils engendrent. Tout est à faire, ce n'est pas une partie de campagne. Chaque jour est porteur de nouveaux apprentissages, en observant les écosystèmes dont nous foulons le sol et dont les fruits attirent tout notre intérêt. Car si nous souhaitons insuffler un élan supplémentaire à la vie organique et complexe de ce microcosme en perpétuel mouvement -en y apportant les conditions d'une plus grande fertilité, en y favorisant l'augmentation de la biodiversité- cela est bien tout autant dans un souci écologique de pérennité du milieu que dans une volonté de production.

 

Nous voici donc plongés dans une expérience de sobriété autant sensible qu’intelligible, féconde aux potentialités d'expression et de ressentis humains. Le geste du corps traduisant l’esprit, ce qui relève d'abord d'un exercice auquel il faut accorder beaucoup d'intention, se meut ensuite en un geste singulier à chaque instant ne relevant plus que d'un naturel intuitif, d'une expression totalisante. Cela participe d'une certaine édification mentale, corporelle et éthique de soi, se distillant au reste de la journée, dans des temps de loisirs dédiés à des formes d'apprentissages et d'élévation de la pensée plus théoriques. Enfin, arrive ce sentiment de plénitude nous accordant le plus grand des répits avant de nous jeter dans les bras de Morphée.

 

Mais nous ne sommes pas des épicuriens, des transcendantalistes, des pierrerabbistes. Ce mode de vie nous poussent -et comme tant d'autres- à nous faire oublier notre monde, celui de l'Homme, puisqu'il en est encore le tyran. Vivre isolés, loin du gouffre, s'embarquer dans quelque spiritualité new age réductionniste, oser imaginer que notre petit Moi peut faire sécession... tout cela paraît, simpliste, lâche, surtout déconnecté de l'hétéronomie proprement humaine dont nous ne pouvons, ni ne souhaitons nous extirper. Qu'est-ce à dire que nous nous sentons vivre dans « le meilleur confinement du monde » dans un oasis de verdure sous les pluies nucléaires et les bombes ?

 

Nous étions partis exactement pour commencer à nous sentir dans le réel, y occupant enfin une place de « faiseurs en devenir » au lieu d'être des « spéculateurs de pensées non maîtrisées ». Nous voici finalement « gros jean comme devant ». Le Covid-19, primo virus d'une longue série d'épidémies en tous genres qui se multiplieront sous l'impulsion du dérèglement climatique -lui-même un symptôme de notre société thermo-industrielle libérale et capitaliste- nous retire autant la sensation « d'être au monde » que nous procure le travail intelligent de nos mains, qu'il fait tomber les masques de nos sordides et cynistres gouvernants. Cela au regard d'une plèbe qui a depuis longtemps fermé les yeux sur son être au politique, si tant est qu'elle pouvait se payer un écran plat dernier cri, des vacances au Maroc, ou encore un pavillon sans goût en banlieue.

 

Que ne faut-il pas? Des milliers de blessés durant la jaunisse, la destruction de nos services publics, les mensonges ouvertement créés par nos dirigeants puis relayés sur nos télévisions par leurs toutous éditocrates... Et voici ce Coronavirus : un choc encore plus grand qui devait percuter de plein fouet ces citoyens anesthésiés pour qu'enfin ils sortent effarés, comme des poules sans têtes. Vous voyez de qui nous parlons : ceux qui tant que les rues de leur ville sont propres, que la misère n'y est pas trop voyante et qu'ils peuvent emmener leur moitié à un quelconque événement culturel continuent à voter pour des incompétents criminels. Pour ces gens, tout va bien tant que tout ne va pas mal.

 

Tout nous rappelle ici à l'urgence de ne pas laisser dépérir l'humain à ses troubles névrotiques, à ses gestes faciles d'inconscience et pervers dans la destruction qu'ils engendrent, à sa frénésie désespérée de trouver son compte dans les choses qui ne comptent pas, mais qui tout du moins, maintiennent sous perfusion son existence désincarnée, aliénée. L'enjeu ici n'est pas simplement de remplacer la seringue par une bouffée d'air frais, ni l'écran par une prairie verdoyante, comme si l'on jetait un œil contemplatif à travers une lunette sur un monde lointain objectivé, de l'autre côté du mur.

 

Comment sortirons nous de ce confinement ? Comment faire sauter le barrage de leurs, de ton, de notre confinement mental ? Comment la colère de ces lignes, des gilets jaunes, des soignants, de tout les laissés-pour-compte peut-elle trouver une voie commune et s'inscrire en puissance dans le réel ? Comment sortir de ce sempiternel registre incantatoire ?

 

Cela grogne dans tous les coins du pays. Certains estropiés jaunes, rouges, verts, dernière génération sont loin d'avoir enfoui leur colère... Nos forces retenues pendant plusieurs semaines peuvent (doivent?) faire muter la lutte, tendre vers une plus grande radicalité. Est-ce l'insurrection qui vient?

 

Restons chez nous, organisons nous.

 

Nous, on rentre dès qu'on peut.

 

Margot B / Elie B.A


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À propos de l'auteur(e) :

Elie Ben-Ahmed

Faux écologiste admis aux Gilets Jaunes sur liste d'attente, souffre d'hyperphagie informationnelle causant souvent des troubles de paraphrasite aigue. CAP "Technicien de Maintenance de l'Ascenseur Social - Option Scooter en Y" en cours.


Volontaire en sévices civiques

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À propos du(de la) co-auteur(e) :

Margot Barthélémy

Biographie en cours de rédaction.


Flâneuse dilettante

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