Marie est, comme vous et moi, confinée à la maison depuis le début. Dans son article écrit pour Libres Commères il y a maintenant quelques semaines, elle évoquait déjà chez elle une pensée prégnante : face à une telle occasion, comment enclencher l’insurrection générale pour avoir une chance de changer le système ?
Après moultes réflexions, Marie n’a pas trouvé de formules magiques pour nous faire gagner du temps, ni de plan pour réquisitionner les grandes fortunes françaises. Non, par contre, elle a créé une chaîne participative sur Youtube, “ How To Revolution”, vectrice de communs, et, elle l’espère, petit nid de savoir-faire émancipateurs, d’outils pour un esprit critique, et de pistes pour nourrir notre force de riposte face au capitalisme.
Alors, servez-vous un verre, installez-vous, parce que l’échange qui suit est un peu long. Oh, moi ça me rappelle ces conversations de café, à refaire le monde sûrement un peu, mais bon en ce moment, ils sont fermés les bistrots, alors peut-être ces mots vous feront du bien. Nos cheminements réflexifs sont modestes, notre connaissance des sujets limitée, nos conclusions souvent hasardeuses, mais de nous à vous, de vous à nous, échanger, pour se refuser à la passivité, ensemble, considérer sérieusement l’avenir incertain devant nous, cela n’a jamais été aussi nécessaire.
Tu en es où dans tes études?
Alors, je suis en Master 1 d’informatique, mais je vais sans doute partir en césure l’année prochaine.
Tu n’avais pas déjà fait une année de césure?
Non, j’étais partie en stage au Canada, puis en Erasmus en Finlande. Après mon stage, je n’arrivais plus à trouver du sens dans l’informatique. J’ai commencé à me démotiver.
Tu garderais un lien avec ton domaine d’études durant cette année?
J’aimerais y faire du wwoofing, dans des lieux de vie autonomes ça serait déjà cool, pour découvrir si c’est plus compliqué que ce que j’imaginais, ou si ça l’est moins, auquel cas ça calmera peut-être mes angoisses. Et puis retrouver des stages en info, mais dans des domaines qui me plaisent, comme la recherche en écologie. Mais bon avec le Covid c’est un peu compliqué, on verra…
C’est sûr... Tu saurais parler un peu de ton parcours personnel qui t’a amené à te frotter aux sujets du déclin de l’environnement, mais aussi des sociétés et du système auquel elles appartiennent ?
C’est une très bonne question. Je crois que j’ai commencé au lycée, sûrement grâce à mon prof de philosophie avec qui on faisait des cafés philo, au moment en plus où j’avais l’âge de me poser plein de questions.
Mais j’ai mieux compris la situation et commencé à être angoissée par rapport à celle-ci depuis à peu près un an et demi.
On a presque le même parcours alors ! Bon, explique-moi maintenant cette idée de créer une chaîne Youtube participative de “tutos révolutionnaires”, et puis les intentions et réflexions qui t’y ont poussé.
Au début du confinement, j’étais super enthousiaste. Deux mois où la plupart des gens seront à la maison ! La nature de l'urgence permet que l’on explicite les métiers essentiels et non-essentiels, en mettant certains à l'arrêt et d'autres non. Du coup, on ne peut plus faire croire que c'est ultra important d'être responsable de comm’ par exemple.
Les gens ont aussi le temps de remettre en question ce qu'on appelle le travail, de trouver du sens dans ce qu'ils font en confinement, qui est plus centré sur les besoins… Ils expérimentent un genre d'embryon de société décroissante en se rendant compte que ça marche pas si mal que ça, et qu'ils sont pas si malheureux qu'on voudrait bien leur faire croire. Je pensais : c’est maintenant ou jamais qu’il faut faire la révolution ! J’ai galéré pendant une semaine à trouver une idée parfaite, pour enfin me dire qu’il n’y en avait pas. Je ne suis qu’une pierre de l’édifice, je peux faire des choses, mais ça ne sera jamais décisif. J’ai compris que je devais participer à faire du discours dit ”écolo”, de gauche, le discours dominant. L’idée c’était de mettre le sujet sur le devant de la scène, tout en me disant d’un côté que je n’avais pas la légitimité pour le faire. Mais qui se sent légitime à ça ?
D’où une chaîne participative qui peut couvrir beaucoup de sujets, et qui, avec l’aide de chacun peut être plus complète. D’ailleurs ce support peut servir à des personnes qui n’auraient jamais osé faire une vidéo seul de leur côté…
Bien sûr ! Tu parles d’ailleurs dans ton article sur LC de l’importance de la diversité des singularités de chacun, et de l’intérêt des participations individuelles, peu importe l’échelle.
Ouais ! Mais ça c’était aussi une façon de justifier ma propre légitimité pour cette idée, qui a déjà été faite par d’autres. Or, apporter sa voix diversifie forcément les initiatives, en apportant quelque chose de différent. D’ailleurs, je ne veux pas que la chaîne soit le rassemblement de toutes les initiatives du genre, car ça pourrait casser les élans singuliers qui peuvent prendre d’autres formes ailleurs.
Finalement la notion-clé ici c’est celle de la complémentarité, dans les modes d’actions, les pistes de réflexions, les personnes. D’ailleurs ta chaîne mêle la pratique manuelle à l’exercice intellectuel. Quel sens ça a pour toi ?
Les deux y vont ensemble. Je ne pouvais pas juste faire un tuto sur le pain sans politiser le propos et expliquer en quoi ça s'inclut dans une idée de société décroissante. Des pratiques très concrètes ouvrent toujours sur quelque chose de plus large. Mais par exemple, il y a des personnes qui ne parlent que de la théorie, des idées qui peuvent émerger. Donc finalement c’est surtout un angle d’attaque.
Bah oui ! Je me dis que si on veut avoir une chance d’établir un rapport de force consistant face à l’hégémonie capitaliste, et son idéologie libérale productiviste, ( rien que ça ! ), il faut que l’on occupe le plus de fronts possibles.
Sinon, quel rapport tu as vis-à-vis des modes d’action plus centrés sur le terrain, comme la manif, les actes de désobéissance civile ?
Je fais tout ce que je peux, blocages, manifestations… mais à ma portée. Niveau efficacité, je sais pas trop… Je me pose justement des questions sur la pertinence de la non-violence, la démarche pacifique. J’ai participé aux mouvements des jeunes, et signé pour des actions de Extinction Rébellion à Besançon, mais sans savoir où ça allait nous emmener. Par ex, Extinction Rébellion base son action sur une étude réalisée par Erika Chenoweth, une politologue de Harvard. Elle a étudié des centaines de campagnes violentes et non violentes entre 1900 et 2006, pour en déduire que les grandes campagnes non violentes ont deux fois plus de chances d'atteindre leurs objectifs que les campagnes violentes. En plus, il y a une sorte de seuil, où lorsque 3,5% de la population a été mobilisée, presque tous les combats ont été gagnés. Mais ce nombre et l’étude en soit est beaucoup remis en question. Ca reste une seule étude sur des cas particuliers.¹
D’accord, c’est intéressant… Peter Gelderloos, un théoricien anarchiste américain, a écrit un bouquin “ Comment la non-violence protège l’Etat.” ² Il y redéfinie la notion de violence, en rappelant comment l'ambiguïté autour de celle-ci contribue à masquer la violence émanant de l’Etat même. D’ailleurs, il encourage lui-même la diversité des tactiques et des champs de mobilisation : directes et plus radicales, mais aussi plus symboliques et diffuses !
Bon, parler d’occupation de la rue et d’actions peuplées, c’est un peu frustrant ces temps-ci… D’ailleurs, tu as participé au mouvement des Gilets Jaunes?
Oui, c’est ça! Non, car je n’étais pas là… Avec mes départs à l’étranger, c’était compliqué. Depuis que je suis rentrée, je me suis un peu plus mobilisée, mais il n’y avait plus vraiment de grosses manifs…
Tu dis dans la première vidéo de la chaîne que tes études en info t’ont quelque part distancée des réelles conditions de vie et de travail des gens. En allant rencontrer les gilets, tu te rends comptes que le frigo vide ce n’est pas seulement qu’une image. Et peut-être peut-il y avoir un point sensible ici, puisque si l’enjeu est de mettre le sujet sur le devant de la scène, comment parler de crise climatique et environnementale à quelqu’un dont le souci quotidien est de faire assez d’heures dans un boulot aliénant pour pouvoir nourrir sa famille ?
Je pense déjà en lui expliquant que le problème est politique et celui d’un système, et certainement pas celui d’individus. Et puis on ne va pas lui demander de modifier son comportement, de toute façon même si il achèterait une voiture électrique, ça ne changerait rien si derrière il n’y a pas une mobilisation générale. Je pense aussi que lorsque tu galères dans ton quotidien, tu n’as pas le temps de prendre la mesure de l’urgence écologique. Donc j’essayerais de lui en parler quand même, tout en insistant qu’il n’a pas de charges de responsabilités par rapport à la situation. Et qu’il peut agir déjà en en prenant conscience.
Est - ce qu’il n’y aurait pas une question d’idéologie ici, qui modèle toujours nos propos et nos convictions. Peut-être en étant simplement objectif et factuel sur la situation en cours, d’humain à humain, ce serait plus efficace…
Oui carrément ! C’est un prochain sujet de vidéo d’ailleurs… Et puis le problème c'est qu’on a besoin de résultats rapides, mais malheureusement c’est pas comme ça que ça marche. Mais je pense que ça va plus vite qu’on ne le pense.
Surtout dans le contexte où la gestion gouvernementale de la pandémie a ahuri tellement de français. Les applaudissements aux balcons sont un peu dépassés, maintenant les personnels de santé appellent à un mouvement populaire pour que le gouvernement rende des comptes…
Oui ça donne de l’espoir!
… après cette petite touche qui remonte un peu notre moral, retournons crapahuter sur des versants un peu plus glissants…
Quelques notions-clés mais sensibles que tu abordes dans cette première vidéo… Tu dis qu’il va falloir revoir notre conception du bonheur dans cet après. Pour toi, quelle place pour le bonheur dans une société où, pour que sa chute et celle de la biodiversité soit la moins douloureuse possible, il serait impératif de s’aligner sur la contraction énergétique et donc accepter une récession du PIB, soit une réduction du revenu par habitant, des conditions de vie...
Ça ne se fait pas comme ça malheureusement. Il serait important de favoriser la création de liens par exemple, face aux rapports de possession et de domination. Peut-être aussi apprendre à remplacer le bonheur qu’on trouve dans le confort, par un bonheur lié à des choses qui auront du sens.
Une sorte de sobriété ?
Pas vraiment, même si certaines personnes sont heureuses avec le minimum, je pense que la majorité des gens sont contents d’avoir un confort. Le problème, ce sont les “ à - côtés”, les conséquences, dont on fait abstraction, comme les systèmes d’exploitation derrière, la pollution... Dans un système en décroissance, les gens ne vont pas être heureux de se doucher à l’eau froide, mais à côté de ça le sens qu’ils trouveront dans leur quotidien, dans leur activité pourrait leur procurer du bonheur. Pour moi, c’est pas qu’on a l’impression d’être heureux dans ce système, alors que c'est factice et que le véritable bonheur est dans la sobriété. Je pense que c’est plutôt la source de bonheur qui va changer et la reconsidération des “ à - côtés. “
Reste peut-être à définir le bonheur… Surtout qu’avant ça, il y a déjà la possibilité d’avoir une vie décente ou non… C’est très compliqué comme sujet.
Il y a un ingénieur, Jean-Marc Jancovici, qui est spécialiste sur les thèmes de l’énergie et du climat. Et il a récemment calculé que pour rester sous la barre des 2°c en 2100, il faudrait diviser par 3 nos émissions de GES d’ici 2050, soit les diminuer de chaque année de 4%... Ce qui équivaut en fait à se prendre un Covid supplémentaire par an.³
Jancovici donne pas l’impression d’être complètement anéanti. Comme il a dit une fois, “il est trop tard pour être pessimiste. “ Mais en même temps, il a de son côté les moyens intellectuels pour avoir une vision plus concrète des solutions. Il travaille par exemple avec son association " The Shift Project" à un ensemble de propositions pour entamer "l'après" de la crise sanitaire, en visant l'efficacité, la sobriété et la décarbonation de notre économie.
Oui, jadore ce gars ! Aussi, je pense que l’optimisme est permis par cette petite fenêtre d’incertitude.. Parce que si on parvient à changer assez le système, il y a une grosse part d’inconnu quant aux modes de vie qu’on aura et si nos objectifs seront atteignables...
Des idées de prochaines vidéos ?
Oui, quelque chose de plus concret que le pain déjà. Ma peur, c’était que les gens se disent “ attends Marie tu annonces un truc révolutionnaire et tu fais du pain quoi…” Les prochaines vidéos seront plus théoriques, notamment sur comment argumenter et parler d’écologie aux autres, avec sûrement pour conclusion frustrante que c’est pas aussi simple… Aussi, des pistes d’actions concrètes pour la lutte, de l’économie et de la socio pour analyser et comprendre le système… En plus, pas mal de gens m’ont dit qu’ils réfléchissent à des vidéos pour la chaîne !
Trop bien ça ! Plein de nouvelles têtes et d’idées sur cette chaîne ce serait génial, pour qu’elle appartienne un peu à tout le monde. D’ailleurs toi qui lis ça, n’hésite pas à en parler à Marie si une idée te trotte dans la tête...
² https://www.monde-diplomatique.fr/2019/08/DERRAC/60152
³ https://www.youtube.com/watch?v=QGEai5owA4w&t=5797s
Margot B.
À propos de l'auteur(e) :
Margot Barthélémy
Biographie en cours de rédaction.
Flâneuse dilettante
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