Mode sombre

Dès 1865, l'économiste anglais William Stanley Jevons s'est aperçu que l’augmentation de l'efficacité de l'utilisation du charbon tendait à en accroître la demande au lieu de la réduire. Les meilleures performances de la machine à vapeur de Watt ont augmenté la rentabilité du charbon par rapport aux sources d'énergie concurrentes et par conséquent son attractivité. Son usage s'est généralisé et la consommation de charbon a augmenté. Dans un système capitaliste non planifié et donc entièrement tourné vers le profit, une plus grande efficacité se traduira donc par des impacts environnementaux plus importants parce qu'elle permet d'atteindre un niveau de consommation plus élevé pour un coût inférieur. C'est le paradoxe de Jevons. Mécanique et vicieux tant qu'on aura un Castex verdâtre qui nous parlera de « croissance écologique » pour rassurer les benêts et les technoploucs.

Humainement, le résultat est le même que pour la machine de Watt. Si un ouvrier augmente sa capacité de production quotidienne de 75 à 80 cuvettes de chiottes, son patron obtiendra plus d'unités dans un temps identique et se débrouillera donc pour alimenter l'atelier en matière première pour ne pas laisser à son salarié le temps de se gratter les pouces. Dans le cadre d'un marché demandeur et concurrentiel, la réduction du temps de travail pour la production d'une unité devrait entraîner une baisse du prix du produit à moins que le patron ne préfère empocher le bénéfice, ou option plus improbable, augmenter le salaire de son employé. L'impact sur l'environnement augmentera car il faudra extraire plus de matière première du sol et fournir plus d'énergie de la part de l'ouvrier, et en définitive avoir un apport calorique plus important. A long terme, et l'ouvrier et la planète y laisseront des plumes. Seule la production de chiottes y trouvera son compte, et donc le capitaliste. Ce qui nous sauve, c'est qu'on ne peut pas installer des cuvettes de chiottes n'importe où : ça réclame un minimum d'intimité et d'infrastructures. A moins que le prochain virus ne nous refile une courante carabinée. Castex pourrait alors justifier le port du masque obligatoire sur le chantier.

Avec la 5G, le problème se pose un peu différemment : si nos goûts de chiottes ont des limites, notre appétit pour le flux informatique laissent encore beaucoup de marge aux séries et aux lives en streaming, aux vidéo-gags et aux GIF sur les RS, aux stories en images des télé-teubés narcissiques et aux apéroskypes géants mais aussi à la télé-consultation médicale, au télétaf généralisé, à la conversation avec son frigidaire et aux échanges à la nano-seconde entre machines-outils. Pourtant puisque la consommation d’énergie par gigaoctet est a priori moindre avec la 5G, celle-ci permettra le traitement de beaucoup plus de données. Autrement dit, pour un débit de données constant, on ferait des économies d'énergie conséquentes grâce aux nouvelles normes. Plutôt cool non ? Enfin... « Cela dépendra de l’utilisation des consommateurs, concède hypocritement Michel Combot, directeur général de la Fédération française des télécoms, mais nous avons l’ambition d’économiser de l’énergie avec la 5G, en réalisant des campagnes de sensibilisation sur la consommation énergétique. »  Autant proposer du viagra à un violeur sous couvert d'une campagne de sensibilisation à la grossesse non désirée. Qui va arriver à nous faire croire qu'un patron qui peut obtenir 80 chiottes de son ouvrier ne lui en demandera que 70 au nom de la préservation de la planète ? Qu'une machine à vapeur va réclamer des séances de yoga pour épargner les mines de charbon ? Ou que les geeks de la Silly-Conne Valley vont renoncer à leur juteux business et ne plus produire des applications débilitantes et chronophages et des programmes énergivores et addictifs à un public qui en redemande? Autant suggérer au capitalisme de se repeindre en vert. Ah, c'est déjà fait!? Bon, ben voilà !

Christophe Martin

Jean-Marc Jancovici présente la frugalité numérique en deux coups de cuiller à pot. Netflix est son ennemi. Nos vidéos nases aussi.

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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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