Mode sombre

 

Si l’on n’est pas du genre à conduire le nez dans le guidon, à faire l’autruche ou à être sous perfusion d’adrénaline, un bilan permet souvent d’y voir plus clair. Qui veut aller loin ménage sa monture. Et je ne peux que me réjouir de ma participation aux Libres Commères. Mais... qui veut aller plus loin doit savoir à quoi il carbure ! Quand j’ai lu La horde du contrevent d’Alain Damasio ce qui m’a le plus touché après les joutes poétiques fulgurantes de Caracole, c’était le personnage de Steppe, qui peu à peu se change en arbre. Il en va de même pour les Commères. Pouvoir embrasser l’infini des possibles, connaître l’épanouissement de l’être, est la transformation dont je goûte le nectar divin. Se transcender mutuellement est la finalité derrière mon chemin d’expérimentation. Autant le dire tout de suite ma mutation est trop avancée pour faire marche arrière. Ma peau se couvre de lettres et bientôt elle sera noire. Le mal qui me ronge n’est pas celui de l’expression, j’ai cru pouvoir le soigner en écrivant sous tes yeux, seulement il a continué de me ronger et aujourd’hui, si je ne fais rien, ce n’est qu’une question de temps avant qu’il ne m’emporte définitivement. Tant mieux.

Quiconque n’écrit pas finit par se faire écrire, ainsi s’accomplit le mystère de la Narration.

A propos du goût du pouvoir.

Quelle sensation étrange que celle du pouvoir du journaliste, en bien des points similaires à celui du démiurge créateur de monde qu’est l’écrivain. Ce n’est guère surprenant, car tous deux écrivent de la fiction, même si l’un d’eux la maquille avec les atours du réel. J’ai beau savoir, que de même ce ne devrait pas être l’argent qui me pose problème mais l’usage qui en est fait, je n’en ai pas moins un rapport délicat au pouvoir. Le pouvoir est tel le feu, il consume celui qui le garde au lieu de le distribuer. Effectivement, toute proportion gardée, un journal local ayant une diffusion relativement limitée, à partir du moment où l’on prend conscience que l’on dispose du pouvoir de braquer les projecteurs sur une personne, dans une société hyper médiatique cela s’apparente à un droit de vie ou de mort, on est responsable de l’usage que l’on en fait. Et c’est là où la dimension participative de Libres Commères prend tout son sens : c’est une invitation à ne plus laisser ce pouvoir entre les mains d’une élite... aux bottes d’une autre élite.

Libres Commères : journal prométhéen ?


C’est une évidence ! D’ailleurs le président de l’association n’a jamais caché son intention que cela devienne une secte parfaite, c’est-à-dire sans tête. Ce n’est donc pas surprenant, que lors de la signature des papiers, personne n’ait amené une boite du célèbre fromage fondu pour qu’à la façon de feu Alain Bashung dans Le cimetre des voitures il nous distribue des portions de cette vache hilare. A un détail près, c’est qu’ici on ne croit qu’en l’humain. Tout en ayant bien conscience qu’en tous humains, il y a entre autres archétypes une proie et un prédateur et que nous ne souhaitons être ni l’une ni l’autre. Dans le cas où cette digression serait trop absconse, là seule chose qui n’est pas dispensable à retenir est l’affirmation que nous avons bien conscience des mécanismes du pouvoir, et que même si nous jouons avec nous restons vigilants à ce qu’il ne nous corrompe pas.

Ainsi le jour, où tu auras décidé d’écrire dans les pages des Libres Commères, tu pourras découvrir l’effet que cela fait de devenir réalisateur du film de nos vies, ce que l’on appelle réalité. Même si quelque soit notre singularité nous ne sommes qu’une de ses sources. Tu pourras aussi t’interroger sur la responsabilité des journalistes, qui non seulement ne remettent pas en cause la propagande de l’état, mais le plus souvent la relaient aveuglément. En tous cas être rédacteur ce n’est pas compatible avec l’autopromotion et c’est très bien ainsi, sachant à quel point cette société nous centre à l’extrême, nous concentre sur soi, faute de temps... soi disant. En réalité, il semble plutôt que ce soit une conséquence structurelle si l’on se retrouve parqués dans des châteaux https://librescommeres.fr/read/284... Alors qu’il y a tant à apprendre de nos rencontres, d’un mode de vie où la place laissée aux éléments qui composent notre univers serait répartie de façon un peu plus équilibrée. Justement, au départ je pensais que vu la vie créative (trop) trépidante qu’est la mienne, je pourrais montrer un peu l’envers de son décor. Je me trompais. Comme je l’ai dit, dans cette société, si ce n’est pas déjà fait, la visibilité remplacera bientôt l’or à l’aune de la richesse, alors avoir un tel pouvoir appelle une éthique qui m’empêche d’en tirer bénéfice. Sauf exception, par exemple l’article pour le lancement de « The World is Over! » https://librescommeres.fr/read/219, qui avait surtout pour but de permettre de propulser Libres Commères dans mon réseau créatif. C’est pour cette raison et aussi pour essayer de d’établir des passerelles entre médias indépendants, que l’article de clôture du projet https://dijoncter.info/the-world-is-over-ou-pas-cela-depend-de-toi-2091 est sorti sur les consœurs et confrères de Dijoncter.


Je pense que le verrou éthique qui me rend imperméable à la corruption du pouvoir s’est développé quand en tant que libriste j’ai été confronté à la problématique du profit dissimulé ou fausse gratuité, que ce soit avec le licensing qui parasite les licences libres ou le modèle freemium ou encore la publicité sur les sites internets. Nous n’avons pas eu besoin de discuter de l’usage de ce pouvoir en équipe ou de poser des règles, c’est l’intérêt d’une organisation horizontale de pouvoir apprendre par l’expérience avec un maximum de liberté. Et c’est un bel exemple que cela fonctionne, que chaque personne si on lui donne des responsabilités, n’abuse pas de son pouvoir et si elle dispose d’un minimum d’empathie, le met au service du bien commun. Ce qui m’a révélé ce pouvoir, c’est aussi qu’on m’a déjà fait deux demandes pour être interviewé. Je n’ai pas pu m’en occuper pour l’instant faute de temps. Mais pour éviter les risques de copinage, je pense que je vais plutôt proposer que l’on fasse une liste d’entrevues potentielles, dont chacun pourrait se saisir pour être sûr de privilégier l’intérêt collectif. Ce qui ne m’empêchera pas de me réjouir si nous préférons que chacun exerce cette vigilance individuellement.

A propos du vertige de la passion.

D’un coté le pouvoir et de l’autre la passion qui nous consume, pas une mission, juste la prolongation de notre expérience de la vie, nous cherchons, nous apprenons et nous partageons nos découvertes. A un moment j’ai ressenti de la pression mêlée à l’enthousiasme de participer à une aventure aussi exaltante, mais je trouve que globalement mes limitations de participation ont été bien respectées. Je me suis impliqué surtout pour permettre de montrer plus de diversité pour que le départ du journal ait lieu dans des conditions propices à ce que chacune et chacun sente qu’ils y ont leur place. Et ce en attendant que se constitue un noyau de rédacteurs et rédactrices. J’ai aussi proposé d’utiliser une queue flexible de distribution des articles, entre autre, pour éviter tout risque de compétition et permettre leur répartition dans le temps, ainsi que de limiter la place des réactions à chaud sur l’actualité. Un peu comme dans un couple on entretien le feu, chacun apportant sa bûche, l’objectif étant de maintenir le feu en vie, pas de vider les réserves, tant bien même elles sembleraient inépuisables. Cela me semble vital de garantir aux journalistes bénévoles qu’ils peuvent participer sans risque de ressentir la pression d’un travail rémunéré, ni de subir un modèle compétitif. Car c’est une problématiques fréquente du bénévolat, quand le niveau d’exigence ne permet pas d’assurer le respect des choix de la personne, sans aucun des avantages d’un travail rémunéré. Je me base sur mon expérience de la musique, dans mes projets je fais toujours attention que les contraintes comme les dates limites soient abordées avec suffisamment de souplesse pour garantir que l’on reste toujours dans le cadre d’un passion créative partagée. De même prévoir un temps de relâche l’été comme le fait le journal Reporterre me semble vital, sinon la tentation est grande de ne pas s’accorder ce temps. Si quelqu’un écrit, cela incite les autres à le faire aussi. Et coté des lecteurs, c’est une bonne occasion de plonger dans le fond déjà vaste des articles passés, de sortir de la routine, ou simplement de ne pas être dépendant d’une source d’information.

A propos de la version papier.

La version papier me pause une autre problématique éthique, vu que mes activités artistiques sont en distribution libre, sauf qu’en raison de l’état de la diffusion en ligne, tant que les articles sont sur internet, même en différé cela me convient. J’ai été une fois seulement aider à sa distribution au marché bio, c’était une expérience très intéressante, entre autre à cause du prix libre, la plupart des personnes donnait un à deux euros, un jeune métisse m’a même donné 5 euros, quand je lui ai dit que c’était trop, il m’a dit que c’était pour nous soutenir. Cela peut être une évidence car plus on est stigmatisé par les injustices, plus on peut être désireux de soutenir celles et ceux qui proposent des alternatives à la pensé unique du consumérisme. Comme j’étais un peu gêné, j’ai rapidement opté pour mettre surtout en avant la dimension collaborative. Le recrutement c’est plus facile que la vente. Sur du long terme, si cela est nécessaire pour l’existence de Libres Commères, j’ai besoin de me rendre disponible pour participer un minimum à la distribution, mais d’un autre coté pour quelqu’un qui a passé la majeur partie de sa vie à encourager la libre diffusion, cela serait plus facile pour moi si la vente est effectivement à prix libre : 0 inclus. Une des personnes aussi à été très embêtée par le concept de prix libre et a beaucoup discuté car il voulait absolument un tarif fixe, même s’il a fini par prendre un exemplaire en donnant 2 euros. Le prix libre promeut un modèle de société responsable où le moins et le plus sont remplacés par la recherche d’un équilibre.

Ainsi voilà la conclusion d’une belle expérience, sur le fond, l’envie de poursuivre l’aventure ne faiblit pas. Plus que jamais il m’apparaît vital que la population puisse s’exprimer ailleurs que dans les réseaux sociaux. Je viens de faire il y a quelques jours une petite chanson de CorteX sur le sujet pour une compilation sur la thématique Hashtag https://vpoiskahdodofriends.bandcamp.com/album/hashtag-part-ii


A propos de ce qui me tient à cœur.

Même si je prends mon pied à analyser, anticiper, alambiquer, à détourner, désacraliser, démystifier (Comme le fait si bien Élie à propos de la croissance verte https://librescommeres.fr/read/279 ), etc, jamais ce ne sera une telle joie que celle d’imaginer l’inimaginable. De plus un journaliste qui ne supporte pas la société du spectacle affligeant de l’actualité ou un reporter qui devrait éviter les terres d’imaginaires qu’il foule, c’est un peu contradictoire. A bien y regarder, je ne peux être qu’un écrivain amateur de psychotique fiction autoproclamé, qui plus est qui n’est que le vecteur d’une voix venue d’ailleurs... Je préférais encore me baigner dans mon purin d’ortie consoude, voir même dans l’eau de la Loue au mois d’août comme Christophe https://librescommeres.fr/read/287, que de devoir me tenir au courant des dernières pitreries des caricatures de guignols qui s’entichent de nous gouverner. De même idolâtrer des étoiles artificielles ou se prosterner devant des experts en certitude... très peu pour moi.

Ce qui n’empêche pas que je ne sois pas insensible à ces drames préfabriqués, quand j’ai fini par découvrir le mouvement suite à la mort de George Floyd, je ne pouvais pas ne pas réagir, même si je me suis contenté de le faire sur fakebook « Pas entendu parler du Black-Out avant ce 2 Juin. Je suis de la terre, le sexe ou la couleur de peau ne compte pas pour moi, mais la vie des noirs compte. Les violences des policiers partout dans le monde sont intolérables, quelque soit la différence qui fait de nous leurs victimes. » Si personne n’en avait parlé à Libres Commères j’aurais été sur ce territoire miné et j’aurai sans doute rappelé ici aussi que peu importe la couleur de peau, l’orientation sexuelle, le régime alimentaire, les opinions politiques, les délits poétiques, ce n’est que le processus antiviral de la société à l’œuvre, le mécanisme de l’exclusion de la Norme, la marginalisation des minorités, le génocide de la déviance. Heureusement Lucien s’en ait occupé. https://librescommeres.fr/read/278


Et même si je me réjouis des résultats des écologistes dans les grandes villes, malgré la possibilité d’un scénario semblable à celui montré dans le documentaire Demain, je ne suis pas optimiste. Comment un écologiste sincère pourrait accepter d’être dans un parti qui tolère dans ses rangs un Jadot qui exhorte à bannir le terme décroissance pour ne pas heurter la susceptibilité des lobbyistes ? Et au niveau local quand la maire de Besançon alors candidate est incapable de donner d’autres garanties à la ZAD des Vaîtes que celle que le projet serait réexaminé. On peut prendre la mesure de son engagement écologique. Pourtant même si je ne participe pas à la mascarade électorale cela ne m’a pas empêcher quand j’en ai eu l’occasion de souhaiter voter pour des écologistes.

De toute façon je préfère réagir à travers la musique, par exemple un morceau encore inédit d’A Symbiotic Experience s’appelle Matico Commando Exemple https://reporterre.net/Au-Perou-les-plantes-medicinales-aident-a-lutter-contre-le-Covid-19 cela permet d’orienter l’attention tout en laissant chacun exercer son esprit critique si nécessaire.

A propos de stratégies.

Malgré l’aspect très ludique d’un Shadow Cabinet, je n’oublie jamais que toute stratégie frontale au coup par coup est non seulement perdante, mais fait le jeu de l’adversaire. Bien sûr c’est intéressant de vouloir rétablir la vérité, sauf que dans ce cas cela me semblerait préférable d’opter pour un cabinet de la lumière qui éclairerait là où il y a besoin, établirait son propre agenda, suivrait son propre rythme et ferait des propositions tout en pensant leur mise en œuvre dans la pratique.

Libres Commères : gazette révolutionnaire ?

D’ailleurs cela rejoint l’autre gros point négatif de ce bilan, c’est la difficulté de mettre en œuvre une didactique collective vu le nombre limité de personnes impliquées. Ce qui revient à pisser dans la rivière, envoyer des articles se noyer dans la saturation d’information. Au lieu d’essayer de structurer l’écriture de façon pédagogique, par exemple en imaginant un périple initiatique ou l’actualité servirait d’exemple pour soutenir le propos au lieu qu’elle soit l’excuse pour disséminer le propos. Ceci dit, il est possible qu’en cherchant collectivement, l’empreinte de nos recherches personnelles viennent suffisamment structurer l’ensemble. Et que finalement ce soient des cocktails Molotov à la mer, qui un jour finiront par être jetés sur la pensée dogmatique consensuelle. En tant que lecteur, j’ai plus l’impression d’être face à une équipe de franc-tireurs adeptes de la Parrhésia, et ce même si dans l’ensemble j’ai l’impression qu’une orientation se dessine, entre autre sur les valeurs de pluralité d’opinions et de liberté d’expression : la libre focalisation*. Après c’est certain que jouer au bouffon du roi pour se gausser et propager la subversion attire une plus grande sympathie qu’être un des fossoyeurs qui tentent de bâtir une commune autonome. Cependant être les deux et plus encore d’alternatives c’est encore mieux. L’antagonisme des clones dogmatiques ce sont les êtres synthétiques.

Libres Commères : écosystème mutant ?

Ce qui mène à une des points que j’apprécie particulièrement, l’équipe de tous âges, de tous horizons. A la place d’un entre soi stérile, Libres Commères c’est un repaire de passionnés, un joyeux bordel d’opinions qui se cherchent et taquinent à tout va, chahutent à qui mieux mieux et/ou se questionnent sincèrement. Bref de l’écoute et de la parole vraie, un merveilleux creuset pour apprendre ensemble à être plus que la somme de nos individualités. Ça je sur-kiffe. Avec la présence d’une main dans chaque main on peut avancer tel le poète de Viva La Muerte avec un bandeau sur les yeux. Car mourir pour ses rêves est bien meilleur que de ne pas vivre ses rêves. Surtout quand manifestement on se contrefout que ce soit une fille ou un garçon, un chat, un poisson, un papillon ou un cosmos qui naissent de cette union.

Ce qui ressort aussi de ce bilan est que je ne peux étendre indéfiniment le temps et qu’il me faut donc faire des choix, autant je pourrai participer exceptionnellement avec un article ou une entrevue, autant je dois me résoudre à restreindre ma participation à la publication de mon feuilleton de fiction psychotique JUNK DNA http://www.inlibroveritas.net/oeuvres/33439/junk-dna--premiere-partie-complete-. Dont la seconde partie sera diffusée dès ce mois d’août. Et des poèmes plus ou moins automatiques pour la version papier.

Tous mes articles publiés dans Libres Commères sont compilés et téléchargeables gratuitement en pdf ici https://www.atramenta.net/lire/libre-comme-lair-par-robot-meyrat/82393.




* La libre focalisation : une pensée très en vogue dans les années 2020 à 2030 qui n’est ni binaire, ni dualiste, ni hiérarchiste, ni partisane. C’est une version 3D de la réflexion qui permet une vision globale. La capacité de se décentrer permettant de privilégier l’émergence synthétique de communs, plutôt que l’habituelle lutte des opinons. Étant issue de l’expérience elle évite également les égarements de la rhétorique.


Cet article a été écrit par Robot Meyrat. Dole le 8 Août 2020.
Article et illustration diffusés sous licence libre https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/3.0/deed.fr
La photographie de couverture a été prise par Alexandre Maindron et modifiée par une Intelligence Artificielle via Deep Dream Generator
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À propos de l'auteur(e) :

Robot Meyrat

Éternel débutant, Chercheur de singularités, Créateur de chimères, Expérimentateur d’inédits. Inscrit dès la naissance à l’école de la Vie. Il m’arrive d’être drôle à mon insu. Je suis mon chemin. Résister au courant principal jusqu’à la Mort et au-delà.


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