Publicité, concours et propagande
Le capitalisme possède une exceptionnelle propension à rebondir, à recycler et à détourner. Le greenwashing bat son plein, on se branche sur le tout à l’écolo, on consomme vert et les groupes de la grande distribution essaient de se refaire une virginité environnementale à peu de frais. Mais le problème, c’est la soif de profit elle-même, quel que soit le moyen d’y arriver. Les grosses boites sont des systèmes de petite vertu et même si la couleur change, la came reste la même. L’idée de décroissance ne les effleure même pas. Consommez! Consommez! pour relancer la machine économique.
Colruyt n’échappe pas à cette logique même si le groupe se prétend souvent l’ami des petits budgets. La pub ci-jointe prenait une demi-page du canard local.
C’est explosif, plein de couleurs avec un côté comics vintage qui m’alpague aussitôt. Et puis je tique sur le noeud dans les cheveux de la dame, au demeurant délicieusement choucroutés. Il me dit quelque chose, ce petit noeud rose tyrien à points blancs. Je fouille dans mes souvenirs et voilà ce que j’en sors.
L’image est ultra-célèbre aux États-Unis et possède une histoire peu ordinaire. Pour nos amis qui ont pris germain en première langue, cela signifie « On peut le faire ! ». Il s’agit d’une affiche de propagande américaine, réalisée en 1943, pendant la Seconde Guerre mondiale, lors d’une campagne de remotivation des salariées de Westinghouse Electric pour les inciter à participer à l’effort de guerre et apaiser les rancoeurs qui subsistaient au sein des milieux ouvriers après la crise de 29 et la terrible récession qui s’ensuivit. L'affiche originale n'a été diffusée qu’en interne et encore pas très longtemps. Elle a été redécouverte dans les années 1980 et largement reproduite sous de nombreuses formes, souvent appelée abusivement, Rosie the Riveter (« Rosie la riveteuse ») en référence à la figure emblématique d'une travailleuse pendant la guerre qui ressemble bigrement à cette camionneuse bien décidée. L'image du « We Can Do It! » a été utilisée pour promouvoir notamment le féminisme dans les années 1980. Elle a fait la couverture du magazine Smithsonian en 1994 et a été reprise sur un timbre poste américain en 1998. Elle a aussi été utilisée et détournée dans le cadre de diverses campagnes politiques et plus localement pour un spectacle des Zurbains à Dole. L'affiche, qui demeure très populaire, est l'une des dix images les plus demandées à la National Archives and Records Administration. Voilà pour le volet culturel. Merci Wikipedia ! J’ai récemment versé 10 euros de soutien : voilà, voilà !
Le publicitaire qui s’est chargée de la com’ pour Colruyt détourne sans vergogne Rosie l’ouvrière pour en faire une Sabrina la consommatrice, éclairée et détentrice de la carte Privilège (comme si c’en était un de faire ses courses à Colruyt) qui collectionne les vignettes et obtient des ristournes à la force de ses petits bras qui poussent le caddie.
Vu que je ne comprenais pas trop bien les avantages, je suis allé lire le règlement qui m’a renvoyé à la page Facebook. Par curiosité, j’ai parcouru les commentaires et y en a (y a même des gens que je connais), plus de 2500 si j’en crois le compteur. Et y a des « Je participe » et des « Merci Colruyt ». Les consommateurs heureux se sont semble-t-il tous donné rendez-vous sous cette enseigne. Tout le monde a l’air aux anges. Pas un troll grincheux à l’horizon.
Je retourne donc au règlement. Y a de la lecture. Et je commence à comprendre que c’est un jeu-concours et non une ristourne d’office de 10% comme j’avais bêtement crû le comprendre. La valeur de la dotation s’élève à 250 euros (Colruyt ne va pas se ruiner !) et chaque gagnant touchera 50 boules en bons d’achat, et y en aura que 5 au bout du compte. Bref, c’est pas ouf ! J’ai un peu l’impression que Sabrina la consommatrice me fait un bras d’honneur. Je ne lui en veux pas. Faut bien vivre !… aux dépends de celui qui écoute. Pas de fromage ! Pas de leçon !
À propos de l'auteur(e) :
Christophe Martin
Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.
Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès
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