Mode sombre

 

Quelle magnifique couverture que celle de la feuille de choux doloise n°237. « Sécurité à Dole : de nouveaux moyens pour 2021 ». Notre maire aura su une fois encore brosser son électorat dans le sens du poil à défaut de répondre -concrètement- des réels effets de sa politique devant l’ensemble des citoyens de la commune. C’est là en effet une des fâcheuses manies des baronnets locaux, celle de cantonner leurs interventions publiques à des dispositifs médiatiques qu’ils contrôlent, que cela soit dans des vidéos de com’ tournées en mairie ou lors d’interventions dans des journaux locaux complaisants, parfois trop. Faut dire que notre maire n’est pas forcément connu pour son honnêteté intellectuelle : pour cela, je vous renvoie à sa diatribe sur papier officiel lors des manifs contre la loi sécurité globale à Dole. La méthode est rodée : rester à tout prix dans le discours clientéliste, éviter de se retrouver devant des contradicteurs en public, ne jamais énoncer d’argument qui dépasse le quatrième étage de la pyramide de Graham. Ainsi le dossier sécurité du 237ème numéro de « Dole notre ville », pravda locale si de son état, est un exemple assez parfait en la matière.

 

Tout d’abord, dans son édito, JBG n’y va pas de main morte. Passons les litanies sur la solidarité, un poil déplacées lorsque l’on connaît le montant des indemnités de notre cumulard. Passons également sur la rhétorique réactionnaire à base de condamnation de la « défiance envers l'autorité qu'elle qu'elle soit » , termes idéalement placés à côté de « risques d’attentats» pour un plus bel effet. Sans compter le remarquable Saut de Mouton - sport dans lequel notre maire excelle- des questions relatives à la légitimité et à la place des forces de l’ordre dans la société. J’en veux pour preuve son silence lors du tollé national de la proposition de loi relative à la sécurité globale. Rappelons d’ailleurs que cette fâcheuse manie de notre JBG et de son cercle rapproché ne date pas d’hier et qu’ils firent montre du même comportement d’autruche tout au long du mouvement des Gilets Jaunes (et autres, fais ta liste !). Et l’édito de se terminer avec l’évident soutien « plein et entier à l’ensemble des forces de l’ordre », le genre de politesse dont nous sommes nombreux désormais à vouloir nous passer.

 

Concernant le grand thème du mois, la sécurité, notre maire nous parle « d’enjeux sécuritaires prégnants » tout au long de l’année 2020 avec au cœur de l’ensemble de l’argumentaire... une fake news, ou en tout cas une affirmation partielle et partiale: l’augmentation de la délinquance et de la violence. Tout dépend des chiffres que l’on regarde et que l’on articule. Les chiffres appelés à valider cette information sont-ils du mois, de l’année, observés en séries longues, selon quelles sources? D’où proviennent ces chiffres? Sur quelle base méthodologique sont-ils collectés? Bref, vous le savez, les chiffres, on peut leur faire dire n’importe quoi et surtout ces chiffres-là puisque selon nombre de chercheurs spécialisés en sociologie de la délinquance et autres statisticiens, il est très difficile d’y voir clair.

 

Pour vous montrer le genre de problème statistique auquel on s’attaque, voici un exemple sur le champ délictuel de la violence, mis en avant dans le dossier : le problème qui concerne les coups et blessures volontaires, qui est celui d’un cadre légal n’ayant cessé de s’élargir depuis 2002. En effet, le législateur y englobe de plus en plus d’actes délictueux (de la simple claque au tabassage en règle), faisant de plus en plus passer des actes du champ contraventionnel au champ délictuel. Ainsi sur le terrain, les délits constatés par la police sont en forte augmentation. A savoir que la délinquance réelle est différente de la délinquance constatée et que c’est pour cela qu’il faut comparer et croiser les sources. Ainsi l’exemple des enquêtes de victimation réalisées par l’Insee et le ministère de l’Intérieur (oui, oui !), renouvelées tous les ans, portant sur 17 000 personnes, nous donne un tableau un petit peu plus clair. La conclusion est la suivante : la délinquance est relativement stable. Stabilité qui se retrouve dans les statistiques de la justice. Par ailleurs, le nombre de détenus a augmenté (78 à 105 /100 000 habitants), ainsi que les condamnations à de la prison ferme et la durée des peines.

 

Du coup, face à une délinquance stable depuis 20 ans -et qui produit une violence bien réelle- nous sommes bien en droit de nous demander si les moyens sont adaptés pour la faire diminuer, c’est à dire pour que des gens paumés puissent revenir dans le corps social. Surtout que des moyens non-sécuritaires existent, tels que la prévention spécialisée. Cela n’est pas au goût du jour , d’autant que cela coûte un petit billet. Mais face au « sécuritarisme » des potentats locaux, il serait intéressant que l’opposition soit en mesure de faire contre-feu, que la question de la sûreté publique ne reste pas uniquement l’apanage de la multi-droite en place.

 

Concernant la « vidéo-protection », que nous continuerons d’appeler vidéo-surveillance, Laurent Mucchieli, sociologue de la délinquance et des politiques de sécurité, a pu mener des études, notamment sur des villes comparables à notre chère cité jurassienne. Il en ressort que la « vidéo-protection » est d’abord un enjeu de politique locale, qui peut faire élire un maire tout en apaisant le sentiment d’insécurité d’une certaine partie de la population ainsi qu’en créant un peu d’emploi, en mettant des types dans une salle blindée d’écrans à regarder toute la journée. Mais ce qui nous importe ici, outre des débats éthiques importants, serait déjà simplement de savoir si ça marche ! Les systèmes de vidéo-surveillance ont la capacité d’enregistrer des images au cas où les policiers les demanderaient dans le cadre d’une enquête. Au plan de l’enregistrement, la plupart des images utiles collectées ne visent pas à reconnaître le visage d’une personne, mais plutôt la plaque d’immatriculation d’un véhicule. A savoir que les images collectées par la police ne sont pas forcément toutes utiles sur le plan juridique. Lorsqu’elles le sont, elles ne sont que rarement au centre des enquêtes, elles sont des éléments que l’on va confronter à des témoignages ou à des alibis. Autrement dit, même si ces images peuvent s’avérer décisives dans certains cas, elles ne le sont pas en général. D’autre part, le flagrant délit n’arrive quasiment jamais... Alors en quelle proportion, ces images ont-elles été utiles ? Dans 1 à 3% de l’ensemble des enquêtes. Ce n’est pas nul, mais c’est tout petit. En fait, lorsque l’on passe derrière le vernis politique pour rassurer Mme Michu, on constate que les caméras sont beaucoup plus couramment utilisées pour surveiller le trafic routier, ou faire de la vidéoverbalisation. Ainsi on détourne le système, non pas pour protéger le citoyen de la délinquance de voie publique ou du terrorisme mais pour accroître le niveau de répression de la délinquance routière. Il y a donc une forme de mensonge politique à la population dans la mesure où la vidéo-surveillance n’est pas présentée sous cet angle à la population. Enfin, concernant la question de la protection contre les actes terroristes, on retrouve presque systématiquement des images de l’auteur en repérage, et après l’acte en train de se sauver -dans les rares cas où il ne serait pas mort- après avoir sévi. La belle affaire.

 

Combien ça nous coûte déjà, monsieur le maire? Bon allez, je suis au moins rassuré d’apprendre que les policiers municipaux armés -ce qui est très discutable, entendons nous bien- savent tirer. Concernant les bornes amovibles pilotées à distance, j’espère que vous ne ferez pas de mauvaises blagues au Kangoo de la CGT en manif.

 

Alors voilà, nous commençons à voir le truc gros comme une maison, au point de devoir enfoncer une porte ouverte. Et si le dossier de notre feuille de choux municipale n’était qu’une entreprise de communication politique ? Dès l’introduction du dossier, nous pouvions en sentir l’inconsistance. On y parle « d’évolutions sociétales », ce qui rapporte le sujet non pas à l’organisation sociale mais aux aspects des individus au sein de la société. Dans la bouche d’un droitard, entendre ceci : la société n’est pas déviante, la société est pleine DE déviants, ces déviants nous devons les traquer. Le premier terme n’apparaissant jamais que de manière sous entendue. Ainsi trois mots plus loin, la « gestion de l’ordre public » qui porte en elle, outre une douce saveur managériale, la préservation du statu quo, inhérente à la rhétorique réactionnaire libérale depuis plus de deux siècles : l’ordre public se gère, il nous faut repérer les individus marginaux et les empêcher d’attenter à la « tranquillité publique », ou plutôt  cours normal des affaires de ce monde où les affreux jojos attentent aux libertés individuelles des braves et honnêtes gens, les empêchant de jouir de leurs biens. Une tranquillité, une liberté comme celle de toucher des milliers d’euros par mois lorsque l’on est un jeune politicien carriériste, alors que la plèbe qui l’entoure s’étouffe économiquement un peu plus chaque jour. Tout cela sans rendre de compte à personne. Et bien sur en pouvant compter sur une gentille patrouille de police municipale pour calmer ce SDF qui vous alpague aussi brutalement que vous l’ignorez.

 

Tout ce discours est celui d’une droite qui a fait de la lutte contre la délinquance son fond de commerce, notamment dans les communes. Un discours dans lequel la délinquance est uniquement envisagée sous le prisme sécuritaire et commentée selon les derniers chiffres du mois sur des plateaux TV d’info en continue avec en accompagnement un langage particulièrement paresseux : «Nous devons traquer les délinquants sans relâche pour le bien-être de la population », nous dit monsieur le maire. Le choix des mots, la justesse du discours, sont d’une grande responsabilité et lorsque l’on constate que la délinquance ne se résout pas dans le discours sécuritaire (passer de la « traque » et de l'enfermement à la (ré)éducation), l’on constate par là même l’irresponsabilité de nos représentants politiques qui s’emploient à attiser des affects violents et des croyances délétères adossées sur du fait divers.

 

Elie Ben-Ahmed

 

 


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À propos de l'auteur(e) :

Elie Ben-Ahmed

Faux écologiste admis aux Gilets Jaunes sur liste d'attente, souffre d'hyperphagie informationnelle causant souvent des troubles de paraphrasite aigue. CAP "Technicien de Maintenance de l'Ascenseur Social - Option Scooter en Y" en cours.


Volontaire en sévices civiques

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