Psychologie et politique
On préfère vous prévenir: cette première contribution de Stéphane Haslé est une chronique de haut vol, pas le genre de jobardise qu’on parcourt en diagonale entre deux tweets. C’est pourtant limpide comme de l’eau de source et tout aussi rafraîchissant, avec ce genre de clairvoyance qui vous donne envie de reprendre la philosophie là où vous l’aviez laissée en plan, du côté du gai savoir et du bonheur de penser.
Louis pense que le monde dans lequel nous vivons n’a pas d’unité. Il n’a pas d’unité objectivement identifiable. Nous savons qu’un arbre n’est pas la même chose pour une girafe, pour un oiseau ou pour une chenille. Chacun de ces animaux donne une signification particulière à l’objet arbre selon son mode de vie, ses besoins, une signification limitée à son Umwelt (traduisons par : monde environnant) propre et inconnue dans l’Umwelt des autres. Il en va de même pour les êtres humains, chacun attribue aux choses un sens, une réalité, une valeur, qui dérivent de sa personnalité, de son histoire, de son idiosyncrasie. Pour l’un, une belle automobile est l’objet qu’il désirera plus que tout, pour le second la même automobile lui sera totalement indifférente, pour un troisième elle ne vaudra que pour l’argent qu’il gagnera à sa revente, etc. La voiture n’a pas d’identité en elle-même, son identité, ou son « objectivité », varie selon les projets dans lesquels elle s’insère, ou pas. Relisons Spinoza : Ce n’est pas parce qu’une chose est bonne que nous la désirons, c’est parce que nous la désirons que nous disons qu’elle est bonne.
La politique, dans cette perspective, est l’activité qui a en charge de faire apparaître de l’unité dans un monde diffracté en une infinité de points de vue différents, variables et potentiellement contradictoires. Pour vivre ensemble, et ils ne peuvent pas ne pas vivre ensemble, les humains ont besoin d’identifier de la même manière un certain nombre d’objets, réels ou symboliques, sans lesquels ils ne pourraient demeurer ensemble pacifiquement. Ils ont besoin de s’unir, et l’union repose sur l’unité. Unité de langues, unité de croyances, unité de valeurs. En République, par exemple, on nous enjoint de « partager des valeurs communes », de défendre des « principes universels », comme la liberté, l’égalité, la justice, etc. Durant l’Antiquité ou le Moyen-Age, les valeurs et principes étaient autres, mais la nécessité de les partager était la même. Dans des civilisations aujourd’hui, principes et valeurs peuvent différer des nôtres, mais pas la nécessité de les partager.
Pendant longtemps, les religions ont été le support psychique de la politique. Les valeurs ou les idéaux communs semblaient posséder une dimension supérieure aux choix humains, du fait de leur origine transcendante, divine. Origine qui les sacralisait aux yeux de nos ancêtres. Les Tables de la Loi ne sont pas des lois écrites autour d’une table !
Dans les sociétés irréligieuses où nous sommes, la religion ne peut plus, du moins pour l’Occident, jouer ce rôle. La politique requiert désormais de nouveaux adjuvants (c’est d’actualité !). Parmi ces adjuvants, il en est un que nous voyons poindre ces derniers temps : la psychologie.
Chaque jour davantage, la pandémie est présentée dans ses effets psychologiques : la population est déprimée, en particulier la jeunesse, (notons que, lors du premier épisode, on mettait en avant les effets de la Covid 19 sur le moral des plus âgés), l’avenir incertain nous empêche de produire des représentations positives, l’absence des lieux de divertissement et/ou de culture nous interdit d’avoir d’autres horizons que le seul maintenant, bref, nous sommes réduits à nous-mêmes et cela nous insatisfait. Il importe de montrer que l’épuisement psychique de la population est pris en compte par nos dirigeants. On le suppose parce qu’ils ne se questionnent plus seulement sur la pertinence et l’efficacité des mesures sanitaires prises pour contrecarrer l’épidémie, mais autant, voire plus, sur leur « acceptabilité ». Le gouvernement Macron-Castex résiste à l’idée d’un troisième confinement au nom de sa difficile acceptation par les Français. L’acceptabilité est donc le -supposé- consentement anticipé ou le -supposé- refus anticipé d’une population à des mesures, souvent coercitives, de gouvernement. Cette prise en compte du vécu subjectif des citoyens est censé exprimer l’humanité du pouvoir qui ne s’en tient pas aux seules exigences scientifiques et qui n’applique pas à la lettre les recommandations brutes des chercheurs et des médecins. Comme pour la météo, où il y a la température du thermomètre et la température « ressentie », il y a le confinement déduit des données scientifiques et le confinement « ressenti ».
Toutefois, si l’on admet l’analogie avec la religion, cet usage de la psychologie n’est pas plus convaincant que l’usage de la religion ne l’était pour valider les décisions d’un pouvoir. Le recours à un dieu ou à des dieux (dont on pouvait soutenir, par ailleurs, que ses, leurs, pensées étaient impénétrables) pour justifier les décisions d’un Empereur, d’un Monarque ou d’un Tyran, n’étaient que des instruments idéologiques permettant de renforcer la domination des détenteurs de l’autorité politique. Le recours actuel à des éléments psychologiques, qui ne sont étayés par aucune étude sérieuse, joue le même rôle. Il s’agit de justifier des options gouvernementales prises dans le secret des cabinets, hors de tout contrôle démocratique. Et si demain, on estime qu’il faut reconfiner, on trouvera sans peine des données psychologiques également capables de légitimer la décision, tout comme on pouvait faire dire aux dieux, selon les circonstances, ce qui arrangeait les affaires des Princes d’autrefois.
Néanmoins Louis reconnaît que la religion, comme vecteur d’unité, avait plus de poids que d’incertaines hypothèses psychologiques. Une autorité, quelle qu’elle soit, ne peut être au même niveau que ceux sur lesquels elle s’exerce, sinon, elle disparaît. Les parents qui ont cru qu’il fallait parler à leurs enfants comme s’ils étaient leurs égaux en ont fait la cruelle expérience. Une puissance politique requiert des identifiants qui dépassent le lot commun. Identifiants qui ne sont pas seulement des hommes ou des femmes, mais des institutions, des lieux, des dates, etc. En matière d’agencement politique, l’horizontalité absolue est impossible. Or, la psychologie est horizontalité, en son essence. Le psy écoute l’analysé, non pas d’un point de vue supérieur puisque sa fonction est, au contraire, de s’effacer, de disparaître, pour laisser le sujet souffrant mettre à jour l’autre qui est en lui, ou, du moins, cette part de lui-même qu’il ressent comme un autre et qu’il ne parvient pas à faire agir de concert avec son moi. Il est le médiateur entre moi et moi-même, il est celui par lequel le flux des paroles est filtré pour revenir au moi, épuré et à nouveau efficace, purgé de ses scories. Le psy est donc, en théorie, l’exemple parfait du sans pouvoir, l’antithèse même du politique.
Louis se demande s’il n’est pas parvenu au cœur des pratiques politiques de nos (petits) Machiavel macronisés : faire croire que le pouvoir est sans pouvoir, qu’il est comme nous, hésitant, angoissé, inquiet ; humain, très humain. Il peut lire dans nos pensées et anticiper nos choix puisqu’il est notre double, notre jumeau, notre même. Ce qui devrait alors nous unir ne serait plus que nos faiblesses communes. Étrange conclusion quand ses moyens oppressifs et répressifs sont plus intenses et plus omniprésents que jamais ! Nous atteignons le comble de la démagogie et des faux-semblants.
Stéphane Haslé
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