L’effet gravillon est rétroactif
La réalité est en constante mutation. Ces changements de passage peuvent acquérir un statut et une position de fait, s’ils sont repérés, constatés, isolés et notés. Le fait devient évènement à l’aune de ses conséquences. Plus un fait a d’effets, plus il va être considéré, c’est à dire institué, comme important, notable. Un fait notable est un fait qui ne repart pas dans l’anonymat du flux des mutations pour entrer dans l’Histoire.
Le fait est donc le fruit d’une sélection mais également d’une segmentation qui lui donne des contours. Un fait va toucher une certaine catégorie de personnes (une classe sociale) dans un espace géographique donné et dans un temps historique défini. Suivant son ampleur (nombre de conséquences sur un nombre de gens conséquent), le fait sera un évènement de plus ou moins grande portée selon les proportions que vont prendre ses retombées.
Chaque année, parmi les 365 jours qui la composent, l’un d’entre eux a plus d’importance pour vous. C’est votre anniversaire. Pour tous ceux qui ne vous connaissent pas, c’est un jour comme un autre mais pour vos proches, c’est un jour notable que d’ailleurs on note. Oubliez l’anniversaire de votre enfant ou de votre conjoint et vous verrez sa réaction. C’est parce que spontanément, nous jaugeons l’importance d’un fait à la mesure de notre ego. Nous privilégions ce qui nous entoure à ce qui se passe loin de nous, à moins qu’un fait aux conséquences importantes et multiples ne devienne un évènement par le biais de l’information, ce qui relève d’un choix journalistique.
Une explosion qui ne fait aucune victime est un incident. Cela devient un accident lorsque des morts et des blessés sont à déplorer. La gravité des blessures et le nombre de personnes blessées donneront de l’ampleur à l’explosion si l’information, c’est à dire le processus d’institution du fait, le transforme en évènement. La gravité des blessures et la qualité des blessés tout autant que leur nombre entrainent une classification de l’évènement : sa notabilité s’accroit avec son amplification médiatique, dans les médias d’abord, puis dans la mémoire collective et l’analyse historique ensuite.
On n’est pas prêt d’oublier le SARS-Cov2 et la Covid-19. C’est devenu une pandémie parce que le virus est très contagieux et touche un grand nombre de personnes même si la plupart n’en subissent qu’un faible impact sanitaire direct. Ce sont les mesures prises pour enrayer la pandémie et sauver les vies humaines à risques qui ont accentué la crise et la catastrophe sanitaire est la conséquence de l’incurie des multiples mesures prises tout au long des trente dernières années en France pour économiser de l’argent sur le dos du système de santé. C’est la décision du ministère de la santé publique de ne pas renouveler le stock de masques chirurgicaux et de ne pas acquérir des FFP2 en prévision d’une hypothétique épidémie, puis de dissimuler cette incompétence et enfin de prendre l’option du confinement, puis du déconfinement, puis du reconfinement, puis du redéconfinement, puis du couvre-feu qui a entrainé l’aggravation d’une crise économique en germe depuis 2008 qui va devenir une crise sociale de vaste ampleur au vu de l’importance de l’impact financier, matériel, psychologique et intellectuel pour des millions de Français dans les années à venir.
C’est l’effet gravillon ou comment un virus pas particulièrement virulent a déstabilisé un système affaibli (version hard: a flingué un système à l’abandon). Ce qui aurait pu rester invisible, suppression d’un lit de réa par ci, non-renouvellement des masques par là, est devenu rétroactivement une série d’évènements avec de gros impacts sur nos pare-brise qu’on va finir par se prendre sur les genoux si on n’arrête pas les frais : l’expression est malheureuse parce qu’il faudrait justement réamorcer la pompe à fric et injecter massivement dans l’hôpital public. Les bureaucrates de l’ARS suppriment des colonnes sur leurs tableaux Excel en disant que personne ne s’en apercevra sinon leur technocrate de directeur. Ça aurait pu passer à l’as s’il y avait pas eu ce putain de virus. Les petits zéros que les comptables escamotaient sont devenus d’énormes boulettes. Les rabotages financiers de la santé publique se transforment en fautes professionnelles et morales. Il faudra juste qu’on n’oublie rien quand tout ce petit monde passera à la caisse. Comme quoi, y a pas que dans 1984 de Georges Orwell qu’on ré-écrit l’Histoire.
À propos de l'auteur(e) :
Christophe Martin
Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.
Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès
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