Mode sombre

On se connait depuis un petit bout de temps maintenant, Vincent et moi. L’an dernier, je suis même allé lui rendre visite dans son élevage de cochons dans le Val d’Amour. Ce garçon n’a pas langue dans sa poche, il sait dire ce qu’il pense à ceux qui n’ont pas toujours envie de l’entendre. Mais ceux qui ont envie de l’écouter peuvent s’en laisser conter pendant des heures sur Alphonse, le verrat, et toute sa bande de copines et leur progéniture, d’adorables petits porcelets qui gambadent dans les pâturages quand il ne se vautrent pas avec un plaisir presque communicatif dans la boue. Vincent Perrin entretient sa page Facebook vincentperrin.porcbio avec des photos qui font fondre ceux que les trois petits cochons et Babe émeuvent encore. Un petit reportage dont il assure l’essentiel du commentaire vient de sortir sur Youtube et je vous le recommande aussi bien pour ce que dit Vincent que pour les images de l’élevage qui font plaisir à voir. La vie n’est pas un long fleuve tranquille pour Vincent et sa bande et le documentaire a bien failli ne pas sortir du tout. « Tout commence début septembre lorsque je reçois un coup de téléphone , la personne me demandant si j’accepterai de recevoir deux réalisateurs pour effectuer un reportage sur ma ferme suite au désistement d’un autre producteur. » C’est la Com Com du Val d’Amour qui est la commanditaire du reportage. Vincent accepte volontiers vu qu’il est toujours prêt à accueillir des visiteurs pour expliquer son activité qui est plus qu’un simple métier mais un art de vivre en osmose avec l’animal et la nature. Le tournage s’effectue fin septembre, le montage sans doute dans la foulée et Vincent attend. Le mois de novembre arrive et Vincent attend toujours jusqu’à ce que… « je contacte les réalisateurs qui bien embêtés m’expliquent que la communauté de communes bloque sur l’idée de diffuser la vidéo et que visiblement certaines personnes ne m’apprécient guère. Alors même que la demande de reportage vient d’eux, je trouve cela surprenant. »  Notre porcher essaye donc de contacter les responsables et notamment le président de la Comcom. Mais en vain… tous ses messages tombent dans l’oreille d’un sourd, muet de surcroît. « En janvier, je recontacte les réalisateurs pour savoir si les choses pouvaient enfin se débloquer mais on m explique que la communauté de commune a payé le tournage et pas le montage ce qui empêche de facto sa publication. On m’explique aussi que mes positions personnelles vis à vis du monde agricole ne correspondent pas à celles de la communauté de commune… ha, bon celle-ci aurait des idéaux politiques et syndicales que nous devrions suivre? » Je vous signale au passage que Vincent a fait des études d’anthropologie et de sciences politiques, qu’il a un passé assez conséquent de militant et que ce n’est point un lapin de six semaines en terme d’adversité de terroir. Nouvelle tentative de prise de contact avec le président de la Comcom. Nouvelle feinte de non-recevoir. Qu’à cela ne tienne, Vincent va financer le montage.

Quel était le but de ce blocage qui ressemble bien à une censure? « Me faire taire, la peur que je dise encore des choses vraies qui dérangent? « Je ne sais et je m’en fiche car sachez que même si je peux être considéré comme une grande gueule, mes parents m’ont donné un semblant d’éducation et que lorsque l’on me propose un reportage sur mon activité je n’utilise pas cela comme une arène à débats. Oui, je dis ce que je pense, oui j’exprime des vérités sur le monde agricole qui dérangent le plus alternatif des paysans, oui, je continuerai car il n’y a pas de fumisterie dans mon discours mais beaucoup de vérités que je ne fais qu’observer et relater. Alors que vous soyez président de pacotille ou de la république ou sans artifices, vos censures, je ne cesserai de les contourner car cela ne va pas dans le sens de la justice de la transparence et ainsi de la nature. » Bon, c’est dit et c’est bien dit. Le documentaire est sorti ce 18 mars, il n’est absolument pas polémique et donne au contraire une leçon de bien-vivre. J’avais d’ailleurs été frappé lors de ma visite quand avant notre départ, Vincent nous avait expliqué comment il accompagnait ses cochons jusqu’à la fin sans sensiblerie déplacée mais avec un profond respect pour l’animal. Au fond du bus, j’en avais les larmes aux yeux et depuis je ne regarde plus ma tranche de jambon de la même manière.

On peut retrouver Vincent régulièrement à Dole sur le marché des producteurs le jeudi et maintenant sur le marché le samedi matin, ainsi qu’un peu partout dans le nord-Jura.


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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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