Mode sombre

Cet article a été publié dans la version papier du numéro de mai 2021.

Si, comme moi, vous vivez en Franche-comté et que vous utilisez Facebook, peut-être avez-vous vu des "publicités" ciblées géographiquement pour des publications de la page "Région Franche-Comté"? 

Si, comme moi, vous aimez particulièrement le territoire dans lequel vous vivez, que vous aimez le vin du Jura, le fromage de comté et la cancoillotte, que vous connaissez tout ou presque du Comté de Bourgogne et des crimes des français contre les Dolois lors des sièges et attaques de la ville, peut-être avez vous également été séduits par ces discours  mettant en avant les particularités de la Franche-Comté?

Mais très vite, pour ma part, la séduction s'est arrêtée en cherchant à en lire davantage :

primo, un soit disant régionalisme tourné en fait exclusivement sur Besançon en se lamentant "des sièges administratifs que Besançon a perdu au profit de Dijon" (pour un Dole à mi-chemin entre la capitale Sequane et le palais des ducs, ça ne change concrètement pas grand chose et ça vaut mieux que Pontarlier ou Vesoul). De plus, pour  les puristes, tout ce qui concerne la Franche-Comté devrait revenir à Dole, siège historique du parlement .

Deuxio, un discours confus qui tantôt argumente sur la région administrative (1960) tantôt sur la région historique et culturelle. Une proposition d'enseigner la "langue comtoise" dans les écoles, juste après avoir découvert son existence dans un article partagé dans un même élan, et en ignorant que notre comté avait peu d'unité dans ce domaine puisque deux langues  historiques coexistaient (avec une limite qui se situe entre Dole et Lons et coupe également le département du Doubs en deux). Des commentaires de partisans de la page, se considérant spécialistes, parlent aussi de "la guerre entre Bourguignons et Comtois" à propos de batailles entre Comtois et Français... 

La Franche-comté est une région historique qui n'a pas attendu 1960 pour avoir son identité et son identité n'est pas celle mise en avant par de telles approximations.

Si la région Franche-Comté a effectivement  perdu sur certains points, ce que je déplore,  le discours de cette page qui fait feu de tout bois semble chercher à entretenir un sentiment de déclassement des habitants de la comté en jouant plus sur l'émotionnel que sur le rationnel et la vérité historique. 

Ce "groupe" dont les membres veulent rester anonymes et qui demande un "rééquilibrage" avec la Bourgogne (grosso modo, un retour aux anciennes régions) se dit apolitique mais entend peser sur les élections régionales. A la suite d'un commentaire sarcastique, j'ai par ailleurs eu immédiatement un échange avec un administrateur de la page qu'il a décrite comme rassembleuse "de l’extrême-gauche à l’extrême-droite" et laissant même entendre qu'ils sont proches de membres de l'exécutif régional. Mon commentaire a été immédiatement supprimé, procédé qui explique la formidable unité de "pensée" qui est visible sur la page... pour moi la censure et le manque d'humour ne font pas spécialement partie de l'identité comtoise... 

Datant de 2015 avec des publications principalement orientées contre Marie-Guite Dufay et François Hollande (promoteur des fusions de régions), la page a été relancée quelques mois avant la date des élections régionales de 2021, fin 2020, et s'en prend depuis à d'autres figures politiques locales : la tête de liste LREM, la maire de Besançon avec le titre "notre maire est-elle à la hauteur?" (ce qui montre une nouvelle fois le bisonto-centrisme du groupe). Elle relaie aussi des articles qui en mettent en avant d'autres, tels celui de l'Est Républicain de février "à Besancon LR et RN se font défenseurs de la cause comtoise". Les publications de la page se font désormais plus précises avec des partages directs de publications de la tête de liste LR. 

Cette relance de la page en novembre 2020 coïncide effectivement avec lancement de la campagne de la droite et également avec les critiques orchestrées par ses conseillers régionaux (conjointement au RN) quelques jours plus tard, en décembre, sur le manque d'équilibre entre les deux régions. 

Une page qui attire sur des propos sympathiques et un véritable problème démocratique (des collectivités territoriales plus grosses et donc moins proches des réalités locales) mais des arguments identitaires tous azimuts et souvent faux, et entièrement tournée vers les élections, ça ressemble à un attrape-nigaud, à de la tambouille politicienne pour mener une campagne électorale sans en avoir l'air. Mais peut-être que ces coïncidences de dates et de conjonctions d'idées sont fortuites. Certains diront "et alors?". Le problème est que comme évoqué en introduction, la page paie pour sponsoriser du contenu Facebook, ce qui est interdit si on fait campagne pour un candidat, et que depuis le début et encore plus précisément depuis quelques mois, un candidat est particulièrement mis en avant, les autres étant dénigrés. 

De quoi invalider des comptes de campagnes ou la liste elle-même ? Il faudrait demander l'avis d'un tribunal, ce que ne manquerons probablement pas de faire des adversaires politiques s'ils estiment que cela aura pu peser sur la sincérité du résultat électoral. Mais en attendant, peut-être que la presse régionale (bisontine) pourrait commencer à enquêter plutôt que de se contenter de remplir du papier pour saluer le nombre de signataires de la pétition lancée par la page. Heureusement que des médias locaux associatifs et indépendants comme Libres Commères existent !

Nicolas Gomet


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