Ça sent la fin
Cet article fait suite à « On traque, on enchaîne, on fusille » publié dans le numéro papier de mai.
« Les soixante quatre mille échappés de la répression feront des enfants ; ils les élèveront dans la religion de leurs jalousies, de leurs haines et de leurs espérances. (…) Ou trouver le remède à de tels périls ? A qui le demander ? Quelle est la main assez forte pour étouffer jusque dans son germe cette race de bandits ? ». Voilà l'édito du journal Le Gaulois datant du 30 mai 1871. Un quotidien Bonapartiste et anti-Républicain. Tous les journaux réactionnaires et quelques écrivains tel que l'éminent auteur de Germinal, Émile Zola, dégueuleront leur haine des Communards et crieront victoire au pouvoir de Thiers. Le 31 mai de la même année, le quotidien le Figaro réapparaît après quelques semaines d'absence et fait une profession de foi : « Figaro n'est pas fait pour ceux qui persistent à croire que la République est possible en France. » Pour celles et ceux qui doutent de ma sincérité, je vous invite à cliquer sur ce lien. Pour la version papier, ne vous obstinez pas à cliquer. Le lien ne s'ouvrira pas.
Ça me fait tout de même mal au bide de faire paraître des extraits de ces journaux alors que je me suis abstenu de le faire pour les journaux communards. Étant pluraliste, je vous invite donc à les consulter sur le site « Fragments d'Histoire de la Gauche Radicale ».
De Paris, lieu de leur arrestation, à Versailles lieu de leur future détention, les insurgés sont malmenés par la population aisée. Durant ce trajet, des assassinats continuent à être perpétrés. Le général Galliffet « sélectionne ses victimes de manière arbitraire » pour les exécuter. Tel un SS attendant ses futures proies à la sortie des wagons à bestiaux. Un jour, il ordonna à ce que toutes les personnes aux cheveux blancs sortent du rang. Car ils auraient vu juin 1848 et qu'ils seraient donc plus coupables que les autres. Et la troupe fait feu sur ces malheureux. Pas moins de 43 000 insurgés seront arrêtés. Le 7 août 1871, s'ouvre le 3ème conseil de guerre, pour juger les fédérés. Il y en aura en tout 26 pour juger 46 835 personnes.
Le colonel Boisdenemetz (Voir « On traque, on enchaîne, on fusille ») sera président du 4ème conseil de guerre et également correspondant de presse pour le Figaro. Il est chargé de juger les Pétroleuses. Selon la presse, elles étaient 8 000. Durant ce conseil, leur nombre s’est réduit à 5. Entre deux séances, le colonel criait dans les cafés « À mort toutes ces gueuses ! ». Elles ne seront pas condamnées en tant que pétroleuses mais condamnées « pour avoir tenté de changer la forme du gouvernement ». Elles seront déportées ou condamnées à de la prison. Quelques jours plus tard, le colonel Boisdenemetz devra juger 15 enfants dont le plus vieux n'avait que 16 ans et le plus jeune...11. Les différents procès se terminent en 1874.
Sur les 46 835 jugés, 23 727 obtiennent un non-lieu, 10 137 seront condamnés à une peine de prison, 3 800 déportés en Nouvelle Calédonie, 3 313 condamnations par contumace dont beaucoup à mort, 2 445 acquittements et 95 condamnations à mort. Les historiens estiment que 6 000 indignés réussiront à se cacher à l'étranger dont Eugène Pottier, auteur de l'hymne L'Internationale écrite à Paris en juin 1871 alors qu'il était traqué. Ou bien Jean Baptiste Clément, auteur Le Temps des Cerises. Et tant d'autres connus ou inconnus.
Les premières demandes d'amnistie débuteront dès le 13 septembre 1871. Mais c'est le 21 mars 1876 que Victor Hugo, alors sénateur, dépose une proposition de loi pour l'amnistie des Communards. Du haut du Perchoir, il déclare ceci :«Messieurs, dans la langue politique, l’oubli s’appelle amnistie.
Je demande l’amnistie. Je la demande pleine et entière. Sans conditions. Sans restrictions, il n’y a d’amnistie que l’amnistie. L’oubli seul pardonne. L’amnistie ne se dose pas. Demander : Quelle quantité d’amnistie faut-il? C’est comme si l’on demandait : Quelle quantité de guérison faut-il? Nous répondons : Il la faut toute. Il faut fermer toute la plaie. Il faut éteindre toute la haine.»
Il faut attendre le 3 mars 1879 pour qu'il y ait une « amnistie partielle » pour les Communards accordée par le Président de la République, Jules Grévy. Puis une amnistie générale le 11 juillet 1880 pour tous les condamnés.
Que reste-t-il du paysage politique de la Commune ?
Notre petit Adolphe français sera président jusqu'au 24 mai 1873. Il met en place la loi Dufaure instaurée le 14 mars 1872. Cette loi interdit l’appartenance à l’Association Internationale des Travailleurs (la Première Internationale) à laquelle beaucoup de Communards avaient adhéré.
Le 7 septembre 1872, Karl Marx demande l'exclusion de Mikhaïl Bakounine de l'AIT. Cette séparation engendre les deux branches du socialisme. D'un côté, la théorie marxiste, une organisation « étatique et autoritaire », c'est-à-dire le communisme. Léo Franckel soutiendra cette théorie. De l'autre, une théorie bakouniniste une organisation « libertaire » c'est-à-dire l'anarchisme. Élisée Reclus et Gustave Lefrançais en feront partie.
Octobre 2020, me voilà au square Louise Michel au pied du Sacré-Coeur, à Montmartre. Il fait beau. La place est bondée de touristes. La majorité porte le masque. Les plus téméraires n'en ont pas. Les couples s'embrassent et se prennent en selfie avec au fond cette église. Tout le monde a l'air d'être heureux. Je m'interroge. Connaissent-ils l'histoire du Sacré-Coeur ? Et vous? La connaissez-vous ?
Lorsque le peuple avait pris les canons le 18 mars 1871, le Sacré-Cœur n’existait pas. Pour la gauche, le Sacré-Coeur a pour but « d'expier les crimes des Communards ». Pour la droite, aucun rapport : l’église était en cours de réflexion dès janvier 1871 suite à la défaite de Napoléon III. Ce qui est tout à fait vrai. Mais lorsque l'un des deux initiateurs déposa la première pierre de l'édifice en 1875, il déclara ceci : « Oui, c'est là où la Commune a commencé, là où ont été assassinés les généraux Clément-Thomas et Lecomte que s'élèvera l'église du Sacré-Cœur ! Malgré nous, cette pensée ne pouvait nous quitter pendant la cérémonie dont on vient de lire les détails. Nous nous rappelions cette butte garnie de canons, sillonnée par des énergumènes avinés, habitée par une population qui paraissait hostile à toute idée religieuse et que la haine de l'Église semblait surtout animer». Je vous laisse juges.
C'est donc ici que tout a commencé. Ce 18 mars 1871, les gens qui n'étaient rien ont pris le pouvoir. Certes, cela n'a duré que quelques semaines. Mais dans l'esprit collectif, cela devrait recommencer.
Je me suis posé sur la pelouse verdoyante du square. Mon téléphone bip. C'est une notification du Monde. Je lis « Le Sacré-Cœur de Montmartre a été inscrit aux monuments historiques (…) recevant le soutien explicite de la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot.» Je laisse tomber mon portable. A l'heure où les artistes et beaucoup de personnes liées à la Culture crèvent la faim, notre Roselyne soutient cette proposition qui n'est rien d'autre qu'une insulte pour les Communes. Cette église est construite sur un charnier de 30 000 indignés.
Mon dieu! ce Gouvernement est réellement à la ramasse. Ceux qui nous gouvernent aujourd'hui sont les mêmes qu'hier.
À propos de l'auteur(e) :
Baron Vingtras
Bourguignon échoué en Franche-Comté, enivré par le militantisme de Gauche avec un gros G et passionné par l'Histoire.
Rentier
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