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Article prédédemment paru dans le numéro papier de juin

Rue du sanctuaire (du Mont-Roland), rond-point de l'appel du 18 juin, rue Marcelle Vacheret, rue Gabriel Maire... De mémoire, et j'espère ne pas en avoir oublié, voici les noms donnés à des lieux de Dole qui n'en avaient pas, depuis le début du mandat du conseil municipal il y a un an. 

Le Général De Gaulle a une place qui porte son nom à Dole depuis 1984 en souvenir de sa venue en juin 1962. Les 80 ans de son célèbre appel du 18 juin 1940 ont quant à eux été commémorés en 2020 en (re)baptisant le « rond-point du Mac Do ». Après de 25 ans sans nom officiel, le lieu de grand passage en a trouvé un d'usage. Le vide s'est rempli pour pouvoir décrire les choses et donner sa route au passant, et on peut se demander si la dénomination officielle finira par s'imposer. J'entends encore parlé des années après qu'elles ont changé de nom de « l'avenue de Chalon», de celle de Paris ou de celle de Genève, mais il s'agissait là de noms officiels.

Les noms des rues Vacheret et Maire ont été votés en même temps. En l'honneur de Marcelle Vacheret, la première conseillère municipale de Dole élue dès les élections de 1945, et de Gabriel Maire, prêtre jurassien ayant exercé à Dole et assassiné au Brésil pour son engagement. Un prêtre pour lequel « être chrétien » c'est avant tout « refuser l'injustice », qui fustige le capitalisme et milite pour l'éducation et l'autonomie du peuple. C'est effectivement un prêcheur qui a un discours qui parle au peuple bien au-delà de la communauté des chrétiens... et que refusent d'entendre beaucoup d'autres qui prétendent en faire partie mais organisent ces injustices et « l'exploitation du peuple » comme disait le père Maire.

A cette « féministe avant l'heure » et ce « militant humaniste », ce sont des rue de lotissements pas encore nommées qui ont été attribuées. Contrairement au rond-point dont il était question précédemment, il s'agit de rues que l'on ne nommera pas autrement, mais que l'on a peu de chances de nommer à moins d'y vivre. Un geste symbolique cependant qui permet d'honorer ces personnalités.

Il est vrai que le choix des rues se limite souvent désormais à des impasses dans des lotissements... A moins qu'on ne choisisse de débaptiser une rue ou une place. Acte parfois polémique (et politique) comme quand une partie de l'avenue Jacques Duhamel avait été rebaptisée « Avenue Santa-Cruz » début 2014, du nom de l'ancien député-maire socialiste. Initiative qui ne fut pas du goût de la droite doloise, soutenue par Olivier Duhamel (qu'elle jure maintenant ne pas connaître depuis sa mise en cause dans des affaires d'inceste). Le morceau de rue avait été immédiatement retrouvé le nom de l'ancien député-maire-ministre de droite lors du changement de majorité municipale. L'équipe nouvellement élue promettait dans la presse d'honorer l'ancien édile qui avait perdu sa rue... 

Il y a aussi des noms de rues qui interrogent. Je n'ai pas pu retrouver les motivations qui ont donné à Simone Signoret ou à Arletty le nom d'une rue nouvelle à Dole. Non pas que je ne juge pas ces actrices méritantes, mais le lien avec la ville de Dole ne parait pas évident. Il s'agit peut-être juste d'une manière de féminiser les noms de rues doloises, ce qui est déjà une motivation en soi (mais pourquoi ces actrices plutôt que d'autres ?).

Est-ce que Marcelle Vacheret et Gabriel Maire, qui disparurent il y a 2 et 3 décennies, clôturent à ce jour la liste des personnalités locales qui peuvent donner leur nom à une rue à Dole ? Un article paru dans Libres Commères démontre le contraire. 150 après sa mort, la mémoire d'un dolois dont la petite histoire a rejoint la grande a été exhumée. Pierre Bourgeois, né rue des Commards, fut soldat de l'armée du 3ème empire. Il a refusé de participer à la répression contre des mineurs grévistes au Creusot (6 morts). Dégradé, emprisonné puis réintégré dans l'armée de la République fraîchement proclamée pour qu'il puisse se battre contre les prussiens dans la guerre qui ravageait une partie de la  France. Il a participé à de nombreux combats, qui lui ont valu une promotion. Mais le gouvernement a finalement renoncé à continuer la guerre et a validé l'occupation de Paris par les prussiens autorisés à loger chez l'habitant et dans les bâtiments publics. Les troupes de l'armée française désœuvrées avaient alors tout le loisir de contempler l'humiliation de leur pays. C'est dans ce contexte que Pierre Bourgeois est incarcéré pour insubordination. Il est libéré une quinzaine de jours plus tard par des parisiens révoltés qui ont décidé de ne pas capituler face aux Prussiens. Il a combattu aux côtés de ces « communards » contre les « Versaillais », c'est à dire contre les partisans du gouvernement plus soucieux de mater le peuple en armes que de chasser les armées d'occupation. Un an après les événements du Creusot qui lui ont valu sa disgrâce auprès de l'Empire, Pierre Bourgeois prend à nouveau le parti du peuple. Cette fois, c'est contre une république qui se construit non pas, comme les deux précédentes par une révolution contre un tyran, mais sur une défaite militaire et la répression du peuple. 

Il a réussi à fuir les massacres perpétrés par les Versaillais, mais il est arrêté quelques temps plus tard pour être fusillé le 28 novembre 1871. Il y a 149 ans et 6 mois. 

Certes, Pierre Bourgeois est moins connu que Pasteur, moins connu que le général Malet (dolois auteur d'un coup d'Etat manqué contre Napoléon Ier), mais pour les 150 ans de sa mort, en cette année de commémoration de la Commune de Paris, peut-on envisager que la décision soit prise comme l'a suggéré le Baron Vingtras, l'auteur de la série d'articles sur la Commune dans Libres Commères, de donner le nom de Pierre Bourgeois, personnalité locale, à une rue de sa ville natale ? Ce serait toujours mieux que des noms de personnalités qui n'ont jamais mis les pieds à Dole, et après sollicitation, je peux dire que l'idée sera soutenu par plusieurs membres du conseil municipal. 

Et j'ai à mon tour une proposition à faire : dans le cas où le rejet idéologique conduirait à ce qu'une  majorité d'élus se montre défavorable à cette idée, une rue ou tout autre lieu soit quand même (re)baptisé du nom de Pierre Bourgeois le 28 novembre 2021 par les dolois qui veulent honorer sa mémoire et commémorer l'Histoire. 

Nicolas Gomet


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