Mode sombre

Vincent Clerc a appris à gérer sa maladie, la schizophrénie, dont il dit lui-même qu’elle ne guérira jamais. C’est lui qui a fait la démarche de joindre le Miradole. Alors on s’est posé tous les deux, un matin, au soleil, à Choisey, au calme… Micro!

 

LE MIRADOLE.- Vous êtes un artiste pluridisciplinaire, peintre, écrivain, musicien… 

VINCENT CLERC.- Je suis plus un esprit créatif. J’ai du mal à me reconnaitre dans l’idée d’artiste parce que pour moi, les artistes, ce sont des modèles comme Dominique Sosolic ou Jacques Béraza. C’est des gens qui ont cherché toute leur vie et qui sont dans l’excellence. Et je ne suis pas dans l’excellence. Je fais des choses du mieux que je peux, le plus honnêtement possible mais je ne suis pas virtuose.

LE MIRADOLE.- Est-ce que, malgré tout, un art vous définit plus qu’un autre?

VINCENT CLERC.- Le plus naturel, c’est l’écriture. Ça a commencé vers l’adolescence. Je suis né avec ça, avec des lettres. Je n’ai jamais cessé d’écrire. J’aimais beaucoup les rédactions, les sujets littéraires. Je me suis aussi nourri des livres.

LE MIRADOLE.- Vous êtes un grand lecteur?

VINCENT CLERC.- Non, mais je lis un livre tous les quinze jours. J’ai du temps.

LE MIRADOLE.- A votre avis, d’où vous vient ce besoin de vous exprimer à travers l’art?

VINCENT CLERC.- Moi, je pense qu’à la base, il y a une prédisposition. C’est peut-être génétique, ou transmis de génération en génération. J’avais un grand-père qui aimait beaucoup lire et qui a écrit quelques petits récits avec des choses qu’il voulait transmettre à ses enfants. J’ai été fasciné par des gens qui maniaient les mots magnifiquement. Je me souviens que, quand j’étais petit, je regardais les émissions littéraires, sans lire forcément, parce que je ne lisais pas beaucoup à l’époque. Mais le fait que des gens puissent extrêmement bien s’exprimer m’a toujours marqué, que ce soit pour transmettre, défendre des causes, pour tutoyer le beau. Le langage m’a fasciné depuis la quatrième ou la troisième. Puis quand j’ai lu Baudelaire, Gustave Roud, ou des gens comme Christian Bobin, dont j’ai encore reçu une lettre. C’est un gars super.

LE MIRADOLE.- Vous écrivez beaucoup?

VINCENT CLERC.- J’ai une production qui est quand même assez importante. Un à deux livres par an. Il y en a trente. Depuis que je suis arrivé à Saint-Ylie (NDLR: CHS du Jura), j’ai rempli 39 carnets. Je vous donne des titres: L’Oiseau bleu, L’Octave pressé, Les Lueurs enfantines, Transactions du bleu au noir et vice versa, Entretien avec la Chaman, Les Vêpres ensoleillés, La Boite à Outils, La Naissance d’une plume. 

LE MIRADOLE.- Ce sont des titres poétiques avec des images…

VINCENT CLERC.- Je ne cherche pas à être poétique, ça me vient comme ça.

LE MIRADOLE.- Sur votre site, j’ai lu le titre « La Résilience du Trompettiste ». Ça sonne bien.

VINCENT CLERC.- Bobin a beaucoup aimé ce livre-là. Il a écrit : « Il est étonnant votre livre, il ne ressemble à rien ni personne, il doit donc être vous. je l’ai parcouru comme on passe sa main dans les cheveux d’un enfant bohémien. Il le permet. C’est un livre spinoziste d’une joie dorée. » Voilà ce qu’en a dit Bobin. Il y a dix ans.

LE MIRADOLE.- Huuu, spinoziste! il n’y va pas avec le dos de la cuiller.

VINCENT CLERC.- Mon prochain livre s’appelle Récital et dedans, il y a quatre livres: La Trompette de Miles, un roman où je raconte le vol de la trompette de Miles Davies, c’est une fiction. Dans l’Étui du Trompettiste, et là, c’est de la poésie. La Résilience du Trompettiste et le quatrième s’intitule Journal d’un Bugliste bisontin. 

LE MIRADOLE.- Vous-même, vous jouez de la trompette…

VINCENT CLERC.- Je joue du bugle. Je joue quasiment tous les jours dans le parc pour les uns ou pour les autres.

LE MIRADOLE.- On voit d’ailleurs le bugle sur la photo de votre chambre au CHS. Sans être indiscret, qu’est-ce que vous pouvez me dire sur votre maladie?

VINCENT CLERC.- On peut dire que c’est une maladie encombrante. La schizophrénie.

LE MIRADOLE.- Le CHS de Saint-Ylie est un hôpital, en temps normal, assez ouvert sur l’extérieur. Il n’y a rien de stigmatisant là dedans.

VINCENT CLERC.- C’est juste. Mais c’est le regard qui est porté sur les gens qui y sont qui n’est pas bon. D’où l’inquiétude de mon médecin à qui j’ai demandé l’autorisation pour vous rencontrer. Il m’a dit: « Protégez-vous! Faites attention! ». Mais en même temps, il faut que ça existe. Cette chambre qui est tapissée, je n’ai pas cherché à faire ça pour qu’on en parle mais ça mérite peut-être le crédit d’une plume extérieure pour montrer que dans les hôpitaux, il y a aussi des gens qui se battent avec les arts, qui essayent de puiser en eux des ressources qui ne sont pas uniquement celles qu’on propose à l’hôpital. C’est un complément. Moi, je me bats. Ça fait à peu près un mois que la schizophrénie est à peu près stabilisée. Ça veut dire que je n’ai plus beaucoup d’hallucinations. J’en ai encore de temps en temps. Les hallucinations, c’est terrible parce que vous pouvez entendre des voix, être persécuté sous différentes formes. Vous pouvez croire que vous avez fait des choses violentes qui ne l’étaient pas, penser que vous avez commis des crimes, des choses de cet ordre-là. En fait, votre cortex auditif produit des sons, des phrases avec des voix bien particulières, mais c’est lui qui vous joue des tours.

LE MIRADOLE.- Vous n’arrivez pas à savoir ce qui vient de l’intérieur ou de l’extérieur?

VINCENT CLERC.- Moi, maintenant, j’arrive à le savoir. Et pourquoi je m’en sort? C’est parce que j’ai des arts qui m’aident. Je me bats avec ça.

LE MIRADOLE.- Vous avez donc le sentiment que le fait de vous extérioriser vous aide contre la maladie?

VINCENT CLERC.- Oui. Dans ma chambre, il y 250 textes qui sont pendus aux murs. C’est à la fois mon miroir. Quand je les regarde ou quand je les relie, quand je les ai en surface comme ça, ça me rappelle que je suis quand même fort d’avoir pu produire tout ça, d’avoir fait sortir cela de moi. Quand je suis dans le doute, je me dis: « Mais, tu as tout de même fait ça, tout le monde ne le fait pas! » C’est pas pour me glorifier ou me gonfler le chou. Et puis, il y a une deuxième chose. C’est l’effet protection: c’est comme s’il y avait sur les murs une nouvelle peau, une écorce nouvelle qui est en train de naitre et qui me protège. Même si ce sont des feuillets très, très légers, il y a un effet de protection. Entre le livre que j’ai terminé et l’affichage que j’ai fait des textes pour clore le livre qui s’appelle Ma Schizophrénie à 1000 voix, Témoignage, tout ça m’a aidé à synthétiser en deux chansons que j’ai écrites pour piano et voix et de regrouper en deux petits formats très concentrés tout ce que j’ai pu vivre et qui peut peut-être servir à des gens qui sont comme moi parfois encore dans la nuit.

LE MIRADOLE.- Vous cherchez donc, sans vous vanter, un peu de reconnaissance… et justement à l’hôpital vous êtes soutenu.

VINCENT CLERC.- Oui, ils sont très bien. Ah, je voulais dire aussi qu’il y a un écrivain bisontin Mustapha Kharmoudi qui m’appelle quasiment tous les jours pour prendre de mes nouvelles, savoir comment je travaille. C’est un très bon ami, romancier, poète, auteur de théâtre.

LE MIRADOLE.- Si on parle peinture, c’est impressionnant vos…

VINCENT CLERC.- Tagligraphies

LE MIRADOLE.- Ça vient de quoi? Tagliatelle?

VINCENT CLERC.- Non, tag et calligraphie. Je suis très influencé par la calligraphie arabo-andalouse.

LE MIRADOLE.- D’où vient cette démarche assez répétitive?

VINCENT CLERC.- Il y a toute une période où je faisais de la peinture parce que c’était ça ou j’allais crever. J’étais dans des moments où, je vivais seul, et, la nuit, j’entendais des voix. Et ça n’arrêtait pas, ça n’arrêtait pas et donc, quand je me suis mis à peindre vraiment parce que ça fait 20 ans que je pratique la peinture de manière presque régulière, une fois toutes les trois semaines, je consacre du temps à cela. Depuis ces épisodes sombres, il y a quelques années, où j’entendais des voix, même avec un casque, c’était extrêmement violent et la peinture m’a sauvé. Il y a des choses ancrées avec la maladie, ces hallucinations qui ont été dépassées par ce geste. Je suis gaucher et c’est un geste qui part de la droite vers la gauche, comme l’écriture arabe, comme pour revenir en arrière. C’est un geste entre le lâcher-prise et le contrôle. Je ne contrôle pas vraiment ce que je fais mais quand je dis que c’est « le cri du schizophrène », c’est comme quand vous avez une très violente rage de dents ou un très mauvais mal de dos, « le cri du schizophrène », c’est l’interprétation graphique du mal qu’il y a en vous, de l’énergie noire que vous pouvez avoir. Donc je fais un geste comme ça, que je ne contrôle pas. Je ne sais pas à l’avance ce qui va se passer mais ce que j’imprime, ce que je laisse comme trace, c’est la trace du schizophrène en souffrance et qui se libère grâce à ça.

LE MIRADOLE.- Et il y a une homogénéité incroyable…

VINCENT CLERC.- Une parenté. Tout ça est en lien avec ma maladie et c’est ce qui m’aide à me dépasser. J’ai écrit dans ma chanson « Peindre, écrire, chanter en psaumes, c’est trouver les solutions d’aujourd’hui ». Cette chanson compte pour moi dans le sens où je peux peut-être aider des gens à identifier chez eux des choses qu’ils savent faire s’ils font un travail sur eux. Des choses dans lesquelles ils prennent du plaisir et qui peuvent les aider. J’ai envie que ça serve à quelque chose. Ce que je veux dire, c’est positif. J’ai envie de vous apporter de bonnes nouvelles même si de temps en temps, je replonge et que j’ai des moments qui ne sont pas faciles à cause de cette maladie qui ne guérira jamais, à laquelle on peut s’accoutumer, avec laquelle on peut progresser.

LE MIRADOLE.- Là, elle est stabilisée?

VINCENT CLERC.- Oui, mais elle ne guérira jamais, cette maladie. Pour moi, la seule chose qui reste à faire, c’est d’aller au fond des choses, d’avoir des projets qui m’élèvent et qui me permettent d’être un peu fier de moi. A l’hôpital, même si on vous aide, vous n’êtes pas beaucoup valorisé. On a besoin d’être narcissisé pour exister par moments. Ce que j’ai fait dans ma chambre, et qui n’a peut-être pas été compris comme ça, c’était aussi pour me narcissiser parce que je n’ai pas l’impression d’être valorisé. On ne comprend pas.

LE MIRADOLE.- Vous avez eu l’occasion d’expliquer votre démarche?

VINCENT CLERC.- Oui, bien sûr, la cadre de santé est venue dans ma chambre parce qu’elle s’inquiétait un peu et ça peut se comprendre.

LE MIRADOLE.- Il faut dire que vous en mettez partout que ce soit des textes ou des tagligraphies. Pour un psychiatre qui est un médecin et donc quelqu’un de rationnel, votre démarche très créative et peu ordinaire peut surprendre…

VINCENT CLERC.- Écoutez, j’ai été surpris dans le bon sens. Avant-hier, j’ai vu le médecin et je lui ai expliqué que j’avais pris contact avec un journaliste, que je n’avais pas anticipé avec lui et je lui ai demandé quel regard il portait sur cette idée. Mon ami Mustapha Kharmoudi à qui j’envoie des choses que je fais m’a dit: « Vincent, ce n’est pas commun, il faut que tu fasses quelque chose avec ça. » J’ai même fait une vidéo. Mais je n’ai pas répondu à votre question.

LE MIRADOLE.- En effet, comment tout cette créativité est perçue par l’institution?

VINCENT CLERC.- Bien. Le médecin m’a dit : « Vous pouvez le faire, on n’est pas rigide au niveau de l’hôpital. Simplement, le journaliste ne rentrera pas dans votre chambre. » Ça, je le savais.

LE MIRADOLE.- Les photos que vous m’avez envoyées donnent une bonne idée de la manière dont vous avez organisé tout ça. C’est vraiment une démarche surprenante.

VINCENT CLERC.- J’ai l’impression de m’exprimer, de faire une passerelle entre ce que je suis et ce que j’ai comme moyen de représentation soit en musique, soit en écriture, soit en peinture. Ce que je voulais vous dire, c’est que ça ne vient pas que de la maladie. Avant d’être schizophrène, je pense qu’on a des capacités, il y a des choses qu’on sait faire, qu’on porte en soi, des choses qui sont belles aussi. Il n’y a pas que la maladie qui peut par moments dérouter. J’ai une amie qui me dit en ce moment des choses complètement folles au téléphone, elle est dans un délire. Moi, des choses comme ça, ça m’est arrivé aussi.

LE MIRADOLE.- Des hallucinations?

VINCENT CLERC.- Plus que des hallucinations, c’est le délire. Ça m’est arrivé plusieurs fois. Et pourtant je sais que c’est le cortex auditif comme je vous l’ai expliqué tout à l’heure, je connais les trucs, mais malgré tout quand vous êtes dans une situation comme ça, c’est terrible parce que vos proches subissent ça en disant : « Il dérape » et puis vous, vous avez conscience que ce n’est pas tout à fait normal mais vous ne pouvez pas l’affirmer. C’est ça, la difficulté de cette maladie.

LE MIRADOLE.- D’un autre côté, en dehors de la maladie, vous êtes un artiste.

VINCENT CLERC.- Je me sens toujours mal à l’aise parce que j’ai des modèles en création, des modèles qui sont très haut et je ne me sens pas légitime. Et le fait que ces modèles puissent avoir un regard sur ce que je fais qui n’est pas bon me ramène à disqualifier mon travail.

LE MIRADOLE.- Il y a aussi des personnes comme Samuel Monnier, l’adjoint de la directrice du Musée de Dole, qui valorise votre travail.

VINCENT CLERC.- Oui, il est allé jusqu’à Besançon pour rencontrer un galeriste pour moi. C’est super ce qu’il fait.

LE MIRADOLE.- Personnellement, je reconnais la virtuosité mais elle ne me touche pas. Vos tags, en revanche, me font quelque chose. C’est bien d’avoir des modèles mais chacun trouvera ce qu’il veut dans vos créations. Il n’y a pas un écrivain qui est génial et puis, tous les autres qui sont au-dessous. Chacun a une vision différente. Sinon il n’y aurait pas de lecteurs pour tout ce qui sort à la rentrée littéraire. Il y aura forcément quelqu’un qui aimera sans qu’on sache vraiment pourquoi et vous êtes dans une démarche où puisqu’il y a quelque chose à faire, il faut le faire sans trop se poser de questions. Après advienne que pourra.

VINCENT CLERC.- C’est juste. Suite à une déception amoureuse, il y a longtemps, j’ai écrit une chanson qui s’intitule Léopoldine. Et puis je l’ai laissée dans un coin, je ne l’ai pas rejouée au piano. Et puis l’année dernière, je me suis dit : « Il faut que tu répares ça! » J’ai remodelé texte. C’est une chanson qui est sur YouTube et j’ai réparé ça aussi. La langue française, celle que je défends, elle a pour but aussi grâce à ce qu’on en fait, dans mon cas en tous cas, de réparer des situations comme celle-là. Je ne sais pas si elle est allée écouter la chanson mais ça existe. Je suis arrivé à un résultat qui est à peu près satisfaisant sauf dans l’enregistrement, ma voix n’était pas réveillée et il manquait de la confiance au niveau du jeu du piano. Je suis trompettiste à la base.

LE MIRADOLE.- Il ne faut peut-être pas non plus trop s’en demander.

 

Pour retrouver l’univers de Vincent, dans son atelier.  


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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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