Mode sombre

Il arrive parfois que l'on se retrouve dans des lieux incongrus, sans raison apparente, avec l'envie simple de partager un moment avec des humains.

Et là, boum! Surprise magnifique!

C'est ce qui m'est arrivé l'autre soir au Rezo Fet'art à Dijon.

En arrivant, je remarque qu'il y a plus de barbes au mètre carré que de chaises, que ça sent la sueur et l'envie d'en découdre sur le dancefloor.

Ça sent la vie en somme et ça va être amusant.

Les différents groupes défilent, tous talentueux mais j'attends l'étincelle qui mettra le feu à la poudrière.

Il n'est pas sur qu'elle vienne.

Il n'est pas certain que ça explose.

Un mec tout seul vient sur scène - un dénommé Kissé - et sa musique planante commence à entrouvrir une porte qui ne demandait qu'à être ouverte.

Je sens que tout le monde est touché, en redemande, a une idée en tête qui colle parfaitement à celle du chanteur magnétique.

Au bout de vingt minutes intenses, il remet ses chaussures et annonce un groupe: son groupe!

Quel toupet! Pensé-je, il nous chauffe mais nous introduit son groupe.

Espérons qu'il soit à la hauteur de son set.

Indigène, puisque c'est le nom du groupe en question, se pointe l'air ravi des mecs qui savent que ça va envoyer.

Un batteur beau gosse, un bassiste à cheveux longs, un guitariste habité,  un chanteur qui sait.

D'ailleurs, peut-être que son nom vient de là,  c'est en cours d'enquête.

Ça commence, c'est en yaourt, je ne comprends rien!

On m'annonce "musiques du monde" et je me sens coincé du bulbe, parce que je ne suis pas vraiment un globe-trotter et que je ne maîtrise pas bien mon yaourt; les produits laitiers m'ont toujours emmerdé.

Mais tout me prend, ça envoie et c'est beau, c'est grand, carrément !

Pourtant j'ai la dent dure dans ce genre de situation.

Le grommelo, le yaourt - peu importe le nom - devient évident pour tout le monde.

Ça ressemble à plein de langues, on dirait presque que c'est ce qu'entendent nos coeurs et nos âmes depuis nos entrailles.

Ça me fait danser, penser, voguer sur des mers lointaines, et en même temps sur des rivières toutes proches.

Ça doit être ça le fameux "En même temps" de Macron.

Je me dis que quelque chose me dépasse et que j'aime ça, que c'est parfaitement anachronique.

Au début je crois que cette explosion de joie musicale me rappelle le monde d'avant, celui qui nous faisait danser, insouciants que nous étions de ne pas savoir qu'on va rôtir et que les riches vont nous esclavagiser.

Et puis, doucement, je comprends.

Ce monde en yaourt joyeux et poétique est le monde d'après !

C'est une invitation à la vie, une célébration presque.

Privée de paroles dans une langue, cette musique en devient universelle.

On y arrivera! On les aura! Que j'ai envie de crier.

Je ne le fais pas, parce qu'il n'est nul besoin de souligner ce que tout le monde ressent.

Mais je vois bien qu'en agissant de la sorte, ce groupe indique la marche à suivre:

- Tuer les anglicismes et les remplacer par une langue à nous, un louchébem ou un verlan actualisé.

- Sauter de joie et partager tout ce qu'on peut, tout donner et prendre dans le même temps, et se laisser porter.

- Et surtout, surtout, ne pas laisser s'éteindre nos flammes, voir plus grand, voir plus haut, voir plus beau!

Alors Indigène merci.

Vous ne lirez peut-être jamais ce papier mais l'essentiel est ailleurs.

Le manuel que vous m'avez laissé lire en vous un soir d'octobre est un manuel de réinvention totale et parfaite.

La poésie vaincra !

Benjamin Alison


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