Mode sombre

 « Les Lumières à l’ère numérique », c’est le titre d’un rapport (disponible en ligne) que la commission Bronner a remis à Emmanuel Macron. Son objectif: déjouer le complotisme et la désinformation, pointer les biais et les fauteurs de troubles, trouver des solutions. 

L’un des piliers des Lumières du XVIIIème, c’est l’esprit critique, autrement dit la pensée rétroactive sur sa propre cognition et la méfiance systématique vis à vis d’une information pour laquelle son auteur a forcément un intérêt conscient ou pas à communiquer. Le rapport Bronner préconise d’ailleurs la « modération individuelle », la « vigilance intellectuelle », la « création d’une Grande Cause nationale pour le développement de l’esprit critique ». On pourrait donc être sur la même longueur d’onde, le sociologue cognitif (même s’il n’est pas tout seul) et moi? Mais non, ce serait trop simple. Et il y a plusieurs raisons à cela.

D’abord, c’est un rapport commandé par Macron lui-même, un dirigeant qui n’a pas envie de s’entendre dire que lui et son administration sont les pourvoyeurs n*1 des fake news dans les médias français. Et Bronner de critiquer allègrement Trump et la Russie mais pas un mot sur Véran, Blanquer ou Attal. Comme par hasard. Ensuite, et c’est là l’essentiel, le rapport renvoie l’individu à sa propre responsabilité «puisque tout un chacun est devenu un opérateur sur le marché en ligne de l’information ». Joli langage de technocrate libéral, en gros pour dire: assume ta liberté d’individu. S’il y a quelqu’un à responsabiliser, c’est toi, là-bas, tout au bout de la chaine. Et le système corrompu? Circulez, y a rien à voir.

Celle-ci est pas mal non plus: « Notre disposition à être mésinformé vient en partie d’une forme d’avarice cognitive. » Autrement dit, la fainéantise intellectuelle fait de nous des complotistes. On croirait les fake-news parce qu’elles ne demandent pas d’effort intellectuel: de l’économie de moyens mis en oeuvre naitrait l’erreur. Mais dites donc, cela marche encore mieux pour le discours officiel fallacieux que pour la parole séditieuse, votre biais… Croire ce que nous raconte la propagande gouvernementale est plus reposant que d’aller chercher des solutions ailleurs, non? Sauf que le public lambda est un peu saoulé que ses dirigeants disruptifs lui balancent des informations contradictoires qui déstabilisent sa compréhension globale des choses et le préparent à être perméable à des explications non officielles mais qui font sens. Les autorités nous racontent tellement de cracks discordants que les théories complotistes paraissent plus cohérentes.

Nulle part dans la centaine de pages du rapport, il n’est dit que le complotiste ordinaire, c’est d’abord la personne qui cherche des réponses qu’on lui refuse, l’abonné EDF qui se demande si le compteur Linky qu’on veut à tout prix installer chez lui est bien nécessaire. Dissimulez la vérité (ou une partie de celle-ci) et le citoyen lambda trouvera sa propre version là où il le pourra. Mais s’il ne faut pas laisser chacun livré à lui-même face à l‘avalanche d’infos, il ne faut pas non plus pratiquer la censure comme tente vainement de le faire le gouvernement et ses hauts-parleurs. Organiser un véritable débat contradictoire entre connaisseurs compétents avec des journalistes modérateurs à la hauteur et pas des animateurs à la solde du régime, c’est le meilleur moyen de désamorcer le complotisme. Mais ça nécessiterait d’admettre la controverse face au discours officiel, ce qui actuellement est de plus en plus difficile à obtenir de la part des citoyens.

« L’existence d’un espace épistémique commun est au fondement de la vie sociale, en particulier de la vie démocratique. Sans un tel espace, aucun problème collectif ne peut trouver de solutions acceptables malgré les divergences d’opinion. Or, les problèmes auxquels nous sommes confrontés sont considérables – et l’on pense par exemple au dérèglement climatique », nous dit le rapport. Bronner et sa bande ne prennent pas de risque, les climatosceptiques ont vraiment mauvaise réputation. Mais malgré l’urgence à agir, y a tout de même quelques sujets d’actu de la désinformation un peu plus chauds que le climat à l’heure actuelle. Le grand jeu sur les chiffres des malades, des taux d’incidences et des cas positifs asymptomatiques aurait été un peu plus d’actualité. Ou alors s’intéresser à la « connerie économique » pour reprendre les mots de Jacques Généreux qui critique dans son dernier essai « l’encroûtage dans l’erreur permanente » de toute une « génération d’élites politiques, médiatiques, intellectuelles, diplômées des meilleures universités, parfois agrégées, parfois même Prix Nobel ». Quant au climat, le gouvernement est le premier à faire de grandes déclarations sans prendre les mesures qui vont avec : annoncer ce qu’on ne fera pas ou très partiellement, n’est-ce pas de la désinformation de haut-vol?

Et plus loin: « Les auteurs de cette étude ont suivi durant 30 jours consécutifs le parcours informationnel sur Internet de 2 372 personnes majeures résidant en France, sélectionnées de manière à composer un panel représentatif de la population. Il en ressort que si 39% de ces personnes ont consulté au moins une fois une source d’information non fiable au cours de cette période, elles n’y ont passé en moyenne que 11% de leur temps quotidien d’information en ligne (ce qui représente 0,4% de leur temps total de connexion à Internet). Cette valeur moyenne fluctue bien entendu entre les individus, certains d’entre eux ayant consulté ces sources non fiables plus régulièrement et plus longtemps que les autres. » Ça a la couleur de la méthode scientifique! Ça sonne comme de la science mais ce n’en est pas car le concept de « source d’information non fiable » n’est absolument pas fiable et terriblement subjectif alors que c’est justement là que ça se passe et non dans ces statistiques sans intérêt. Qui décrète qu’une source est fiable ou pas? Comment est établi le socle épistémique commun, c’est à dire la doxa? N’est-ce pas la voix de la classe dominante? Ou ce savoir est-il bien le résultat d’un réel consensus scientifique? 

Dans les gros médias, le capitalisme ultralibéral et mondialiste est considéré comme définitif et acquis, la piqûre à tout vax également, le rapport du GIEC est intouchable et on ne peut pas revenir sur les bienfaits du marché, de la concurrence ou du progrès technique sans se faire taxer de réac. C’est l’hégémonie de la pensée libérale et moderniste qui a engendré, par réaction, la prolifération des informations pas toujours contrôlées sur les réseaux sociaux. Pendant la crise sanitaire, le gouvernement a manipulé les statistiques tous les soirs à la télévision publique. Alors le complotisme tord les chiffres à sa manière. D’une façon parfois radicale et fantaisiste, il réinstaure le débat contradictoire et public qu’on n’a plus dans les médias. L’esprit critique populaire défie actuellement le scénario des élites sur toute la ligne. Elles ont beau jeu ensuite de trouver des biais de toutes sortes à coller sur tel ou tel dérapage. C’est tout de même l’envie de comprendre ce qui se passe qui prime. Sans doute trop vite et sans les nuances nécessaires à une pensée dialectique mais avec suffisamment de suspicion pour ne plus avaler la bouillie qu’on nous sert au JT officiel.

Or le pouvoir actuel en place n’a pas intérêt à ce que tout se sache. Il préfère laisser planer le doute sur ses escroqueries en bande organisée et dans le flou surgissent les monstres mais naissent aussi les explications plausibles qui arrivent par des canaux officieux. La naturopathie fait ses choux gras de l’obligation vaccinale rampante. Mais si on ne soigne pas son cancer du colon avec des bains de siège à la camomille, le renforcement des défenses immunitaires n’a jamais tué personne. Et quand y a-t-il eu une vaste campagne pour nous informer là-dessus?

La commission Bronner fait ensuite des remarques plus techniques sur la manière de juguler les canaux de la désinformation, les ingérences étrangères qui viennent toujours de l’Est (Russie, Turquie, Iran, Chine) et la nécessité de développer l’éducation aux médias et à l’information à l’école. Rien de nouveau ni de bien instructif: on fait ça en bac pro depuis des lustres et j’imagine qu’il n’y a pas un prof de philo en France qui n’aborde pas un tantinet la question en terminale. Les biais cognitifs sont à la mode et on peut en étudier quelques-uns à bon escient. 

Pour finir, ce rapport ne pouvait pas être plus sérieux que ça puisque Jean-Michel Blanquer et Brigitte Macron figurent sur la liste des personnes consultées. Le premier passe encore mais la première dame est présentée comme la Présidente de la Fondation Hôpitaux de Paris-Hôpitaux de France… je vous laisse rire tout seul. 

La commission Bronner était donc prise au piège: brasser de l’air dans le sens de la macronie, engranger les indemnités (?) ainsi que l’estime du président, voire la promesse d’un coup de pouce dans l’avenir et passer pour des guignols aux yeux des rares personnes critiques qui liront ce rapport. Ou faire un boulot vraiment intéressant avec le matériau qu’on a tous les jours sous les yeux, le discours gouvernemental, étudier toutes les techniques que le cabinet Mc Kinsey utilise pour nous faire prendre des vessies pour des lanternes et s’attirer les foudres de l’Élysée, faire un trait sur son plan de carrière et être interviewé par Le Vent se Lève.

Il ne faut jamais accepter aucune enquête de la part d’une institution corrompue. Soit vous découvrez le pot aux roses et vous la mécontentez. Soit vous n’allez pas à l’essentiel et vous la satisfaites. Dans les deux cas, vous êtes perdants. 

Je ferai un de ces jours une critique plus approfondie des biais cognitifs. Aujourd’hui je me contenterai d’en ajouter un à la longue liste qui existe déjà: le biais du courtisan. C’est la tendance à se conformer intuitivement à ce qu’attend le commanditaire. On est enclin à baisser la tête devant plus haut placé que soi alors qu’il faudrait au contraire la relever pour soutenir son regard.

 

Notre illustration: Colin Powell à l'Onu avec une fiole pleine de mensonges mais qui a tout de même précipité la croisade contre Saddam Hussein.

 

 


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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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