Mode sombre

Colette Charbonnier est une ancienne infirmière cadre supérieur au CHRU de Dijon (de 1953 à 1990). Elle est actuellement membre du Comité de Défense des Hôpitaux Publics de Dole, militante pour la Ligue des Droits de l’Homme et participe très régulièrement au Cercle de Silence où nous l’avons rencontrée: elle a alors décidé de nous confier ce texte qu’elle a, si j’ai bien écouté, envoyé au député Sermier.

En France depuis plus de trente ans, les services publics sont condamnés. Parce qu'ils ont tous un énorme défaut, ils ne sont pas cotés en bourse et n'ont pas d'actionnaires. Alors il n'est pas possible pour les 1% les plus riches de placer leur argent, et d'en gagner encore plus. Pour cela, il faut privatiser. Après la Poste, la SNCF et d'autres, c'est le tour des hôpitaux d'être sacrifiés. Le saccage de l'hôpital atteint particulièrement la population parce qu'aujourd'hui, le plus souvent, on naît à la maternité, on est soigné à l'hôpital et on meurt à l'EHPAD. En cas de maladie grave, d'accident, de catastrophe et d'attentat, seul l'hôpital est capable de faire face. C'est normal, c'est sa mission, mais il a de moins en moins les moyens de l'assumer. 

Pourtant l'hôpital est une de nos plus anciennes institutions. Sa création qui remonte au Vème siècle était liée à l'idée de charité. Après la guerre, en 1945, le Conseil National de la Résistance obtint la création de la Sécurité Sociale qui permettait à tous de "cotiser selon ses moyens, et d'être soigné selon ses besoins". Mais les hôpitaux étaient encore ceux du XIXème siècle. Les chambres étaient des salles communes de dix personnes ou plus, avec des séparations qui n'allaient pas jusqu'au plafond, où l'on entendait tous les bruits de trente personnes ou plus. Une seule lumière éclairait la salle si besoin, et la nuit tout le monde était réveillé. 

Il n'y avait pas de table pour manger au lit, on posait l'assiette sur les genoux du malade, la nourriture était mauvaise, tout manquait : le linge les seringues etc...Il y avait 2 WC et trois lavabos pour 40 malades. Il n'y avait pas de douche. Les mourants agonisaient entre deux paravents… c'était le moyen âge. Le personnel était insuffisant et les médecins et chirurgiens attachés à l'hôpital venaient environ deux heures par jour. 

A cette époque, d'après le dictionnaire Larousse, l'hôpital était le lieu où l'on soignait les indigents. A la fin des années 50, la France était à peu près reconstruite, le niveau de vie s'élevait, les Français achetaient des voitures, mais les routes présentant beaucoup de points noirs,  les accidents se multipliaient. Les blessés voulaient aller en clinique où il n'y avait pas de place, et c'est ainsi que la France découvrit la misère des hôpitaux. Le ministère réagit en faisant placarder les murs d'affiches disant : "Il faut humaniser l'hôpital", et pour cela, il fallait que les infirmières aient le sourire. Heureusement, quelqu'un présenta le bon programme. Un grand médecin, le professeur Robert Debré (pédiatre) inspira une loi écrite par son fils, Michel Debré, à l'époque premier ministre. 

C'est la loi du 30 décembre 1958. Elle instaurait le plein temps hospitalier pour les médecins et chirurgiens. Ceux qui étaient chefs de service étaient également enseignants à la faculté de médecine, d'où leur titre de professeur. Elle créait aussi le statut d’enseignant-chercheur. Plusieurs facultés de médecine furent créées, environ une par région comme à Dijon et Besançon. Il y avait une convention entre la faculté et l'hôpital qui devenait Centre Hospitalier Régional et Universitaire: CHRU. Les étudiants en médecine avaient stage le matin et cours l'après-midi. 

Entre les années 1960 et 1980 des hôpitaux de proximité très modernes furent construits dans toute la France. Celui de Dole date de 1973. Les médecins et chirurgiens y venaient très volontiers. C'était un terrain de stage qui formait de bons médecins généralistes en fin d'études. Des écoles d'infirmières furent créées ainsi que la profession d'aide soignante ce qui  augmentait la qualité des soins et assurait plus de présence auprès des malades. Le confort de l'hôpital était celui d'un bon hôtel. Les directeurs d'hôpitaux étaient formés à l'Ecole Nationale de la Santé Publique. 

L'Hôpital public avait une triple mission : celle de diagnostic et de soins (comme les cliniques privées) mais aussi une mission d'enseignement et de recherche. De plus, il devait, et il doit encore pouvoir faire face à toutes les situations. Il était possible d'être bien soigné partout en France. L'ensemble de la population faisait confiance à l'hôpital, et l'Organisation Mondiale de la Santé disait que le système de santé français était le meilleur du monde. Il avait fallu l'effort d'une génération pour l'obtenir, mais nous pouvions en être fiers puisque nous étions les champions. 

Mais une telle réussite ne pouvait qu'attirer la convoitise du grand capital. Dès les années 80, on commença par supprimer des lits (maintenant, on en manque) et par réduire le nombre d'étudiants en médecine (s'il y a moins de médecins, il y aura moins de malades !). La Dotation Globale de Fonctionnement qui était le budget alloué chaque année se rétrécissait, jusqu'à la loi Bachelot qui a donné le coup de grâce. Cette loi portant réforme de l'hôpital, et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST du 21 juillet 2009 présentée par Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, fait de l'hôpital une entreprise, et du directeur un manager. L'hôpital doit se financer seul et faire du bénéfice, ceci en faisant des examens, beaucoup d'examens, et aussi des interventions ; il faut faire du chiffre. C'est la tarification à l'acte. La surveillance est exercée par l'ARS l'Agence Régionale de Santé. Son directeur n'a pas fait obligatoirement l'Ecole de la Santé, de même que les directeurs d'hôpitaux, le but n'étant plus de soigner, mais de gagner de l'argent. 

Mais qui paie tous ces examens ? La Sécurité Sociale bien sûr, et vous pouvez remarquer que nous n'entendons plus parler du "trou de la sécu", (miraculeusement bouché ?) jusqu'au jour où elle sera en faillite et où nous devrons prendre des assurances privées, mais pas au même prix. Dans les hôpitaux, c'est la misère, on retourne en arrière : des lits sont fermés, les médecins, chirurgiens, et les membres du personnel ne sont pas remplacés, des services entiers sont supprimés comme les maternités. Les infirmières cadres qui sont notées en fin d'année comme tous les fonctionnaires, ne sont pas jugées sur leurs capacités à soigner les malades et encadrer l'équipe mais sur leur aptitude à faire sortir le plus vite possible les malades à qui on ne fait plus rien étant donné que les soins habituels d'aide, d'hygiène et d'accompagnement ne comptent pas puisqu'ils ne rapportent rien. Beaucoup d'entre elles supportent mal cette loi inhumaine qui est le contraire de ce que l'on enseigne dans les écoles d'infirmières. Les chefs de service subissent aussi une grande pression. Ces méthodes sont celles d'un état totalitaire.

Les étudiants en médecine voient pratiquer une médecine inutilement couteuse, alors qu'avant les patrons enseignaient l'importance de l'examen clinique qui devait précéder les examens qui venaient en confirmation du diagnostic. Ils auront peut-être des difficultés à exercer loin du laboratoire, de la radio, du scanner etc... 

La loi Bachelot est une loi scélérate dont le but est la destruction de l'hôpital public. De plus, elle rend l'Etat:  

- Coupable de maltraitance: quand on renvoie quelqu'un qui n'est pas capable de rentrer chez lui

- Coupable de mise en danger de la vie d'autrui quand les femmes accouchent dans les ambulances qui les conduisent à une maternité éloignée

- Coupable de non assistance à personne en danger, quand des malades meurent sur les brancards dans des services d'urgence débordés

- Coupable de mauvaise gestion quand la Sécurité Sociale va à la ruine avec les remboursements d'examens et parfois d'interventions inutiles, et le manque de prévision dans la formation de médecins en nombre insuffisant

- Coupable de confier des postes importants à des personnes sans formation pour diriger un hôpital

- Coupable de la destruction de l'éthique professionnelle des médecins et de l'ensemble du personnel des hôpitaux 

- Coupable de nous faire vivre dans une société sans espoir où seul l'argent compte. 


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