Eternal Sunshine of the Spotless Mind1

Synopsis. Un couple qui se déchire. Un marchand de rêves qui ne promet pas de récupérer l’être aimé mais de l’effacer de la mémoire. Littéralement, par la technologie. Amnésie sélective. Ne plus se tourmenter. Effacer les ombres. Éternel ciel bleu de l’esprit sans nuage2.

Très joli film. Mais revenons à notre réalité. Et passons des souvenirs intimes à la mémoire collective.

La technologie est plus rustique – les mass-médias du PPA3 – mais l’objectif est semblable.

Don’t look back !4 Oublions le passé fâcheux qui oblitère l’espoir5 ! Et considérons les promesses d’avenir !

Les solutions libérales6 n’ont réglé aucun problème7 – pis ! les ont aggravés et multipliés ? Inutile de faire le bilan. Patience. Comme le dit la philosophie shadok, plus ça rate plus il y a de chances que ça marche.

Toujours les mêmes aux postes de pouvoir ? Mais non, regardez : cette fois, c’est une femme ! Peu importe ce qu’elle a fait, c’est du passé sans intérêt. Souvenons-nous juste qu’elle aurait été de gauche jadis.

Sélectif aussi le traitement. Tel homme de pouvoir a abusé d’une femme ? Allons, de l’eau est passée sous les ponts depuis. Tel militant a tenu un propos discutable il y a des années ? C’est très grave. Il faut le rappeler.

Et ça marche aussi à l’échelle locale. Tel salarié harcelé ? N’en gardons pas rancune et avançons. Mais il a laissé éclater sa colère ? Ah là, c’est différent : rapport, courrier recommandé, dossier (ça servira de mémoire pour un éventuel licenciement).

Oublions le passé, et vive le progrès ! L’un de ces mots piégés par la bourgeoisie. Juste un boniment de camelot : c’est nouveau, c’est ce qu’il vous faut !

Opposons-lui un progressisme de gauche, lucide, ancré dans le réel : le progrès n’est pas le changement mais la capacité à se souvenir8.

Un radis noir

1 Film américain du réalisateur français Michel Gondry de 2004 avec Jim Carrey et Kate Winslet, dont le titre est une citation extraite de l’« Épître d’Héloïse à Abélard » d’Alexander Pope.

2 Traduction libre parmi d’autres plus littérales comme L’éclat éternel de l’esprit immaculé ou encore Du soleil plein la tête (titre du film au Québec).

3 PPA : Parti de la presse et de l’argent, concept sardonique désignant la bourgeoisie et ses relais médiatiques.

4 « Ne regardez pas en arrière ! » en référence à « Don’t Look Up : Déni cosmique », film états-unien de 2021, allégorie pointant le déni politico-médiatique face à l’écocide en cours.

5 Allusion au mythe de Pandore qui aurait laissé se répandre sur Terre tous les maux contenus dans sa jarre, hormis l’espoir (entendu comme l’attente de quelque chose), le pire de tous, celui qui rend passif et non acteur.

6 Privatisation, concurrence (soi-disant) libre et non faussée, new public management, ubérisation, libre-échangisme, liberté et pouvoir accrus des grandes puissances économiques privées, dérégulation du Saint-Marché, coupes budgétaires, destruction progressive et continue du droit du travail, des services publics, des protections sociales, de la démocratie, des libertés publiques…

7 Crises économiques (à répétition), sociales (misère, chômage…), écologiques (biodiversité, climat, pollution de l’eau, de l’air, des terres arables…), sanitaires (zoonoses, malbouffe, psychopathologies…), démocratiques, montée des extrêmes-droites, violences, guerres…

8 Citation du philosophe états-unien George Santayana : « Le progrès n’est pas le changement mais la capacité à se souvenir. Ceux qui ne peuvent se souvenir de leur passé sont condamnés à le répéter. »