Mode sombre

J’ai terminé il y a quelques mois déjà un roman de Robert Merle que j’avais le projet de lire depuis longtemps mais qui m’est retombé entre les mains par un hasard (mal)heureux. L’élément-clef de l’histoire est en effet une explosion, probablement nucléaire mais sans retombées radioactives, qui dévaste tout le pays. Malevil, c’est le nom d’un château médiéval (un garde-manger providentiel avec une bonne cave) qui va tenir le choc alors que tout autour a cramé. Je passe sur la vraisemblance matérielle du scénario survivaliste qui n’est pas exactement le propos de l’auteur. Celui-ci s’est particulièrement intéressé aux relations humaines qui vont se recréer après ce qui aurait pu être un grand reset. Ami(e) féministe, tu trouveras sans doute que Malevil porte bien son titre ou qu’il aurait même pu s’intituler « Vil mâle » tellement le roman est viril, voire viriliste. Oh certes, il y a des femmes et même d’assez beaux personnages féminins mais Merle boucle son roman en 1972 et l’histoire se déroule cinq ans plus tard en 1977: de toute évidence, il vit encore dans un monde de mecs, des vrais, tout droit sortis de la Jument Verte. Pareil pour les dames qui ne dépassent guère le statut d’objet de désir ou de vieille rombière. Le récit est le fait d’Emmanuel Comte (aidé parfois par son ami Thomas, plus jeune, assez admiratif du premier mais parfois critique aussi) qui va peu à peu, sans forcer son talent, reprendre l’ascendant sur tous les rescapés. Le communalisme qui s’établit après l’apocalypse ne résiste pas à une organisation spontanée, hiérarchisée et nécessaire face au danger: à Malevil, on va survivre grâce à une société pas toujours égalitaire mais qui apparait juste à tout le monde. Emmanuel est le chef rarement contesté de son clan et il va savoir s’imposer aux autres survivants par une certaine grandeur d’âme, un bon sens de la justice, sa clairvoyante politique, une vision assez nette de la dignité d’autrui et une bonne dose de roublardise paysanne. Si le récit comprend des longueurs, le pavé se lit sans bâillements, par longues traites, et les épisodes d’actions prennent aux tripes. Avec L’Île, j’avais déjà apprécié la manière dont Merle étudie le comportement social des Robinsons. Malevil donne une idée assez nette de ce à quoi la raréfaction des ressources, l’effondrement de la société et la disparition de l’État pourraient mener. Pas réjouissant. Mais ça incite à réfléchir… et à s’organiser.

Christophe Martin


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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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