Mode sombre

C’est vendredi. On est le 26 août. Je viens de lire quelques articles sur les grèves au Royaume-Uni. Il y a quelques jours, je causais avec ma fille qui vit à Londres. Le coût de la vie, l’énergie, les loyers, tout augmente en Angleterre. L’inflation dépasse les 10%. Charlie me disait qu’à Londres, dépenser la moitié de son salaire en loyer n’était pas chose rare. Le 1er octobre, le prix du gaz et de l’électricité vont encore s’envoler avec Bojo (1). Je me suis dit qu’on n’allait nous-mêmes prendre cher à l’automne mais sans trop d’espoir de pouvoir se débarrasser de Macron, bernique de l’Élysée. J’en étais là de mes pensées quand je suis tombé sur un mail de l’ULCGT, UL pour union locale, CGT pour les quelques lecteurs qui n’ont pas encore quitté l’article. « A tous ceux qui veulent venir soutenir les salariés de NP Jura : c’est dans le quartier des Mesnils-Pasteur au 2 rue des Equevillons. N’hésitez pas à venir entre 12h et 13h aujourd’hui. Pour discuter. Pour dire bonjour. OU klaxonnez en passant sur la rocade. Réunion de négo à 13h00. Peu de choses ont été obtenues et la grève pourrait reprendre prochainement. Nous vous tiendrons au courant. Fraternellement » C’est gentiment signé par un copain et je me dis que ce serait une bonne chose de me mettre en phase avec l’actu locale, vu qu’à mon niveau la direction nous a déjà accordé une augmentation rédhibitoire, destinée à tromper et qui se fout de la gueule des temps partiels dont je fais bien évidemment partie. Dès qu’il y a un mauvais plan salarial, c’est bien simple, ça tombe sur moi. C’est à croire que les conventions collectives sont rédigées en fonction de ma localisation GPS. En parlant Google Maps, je fais le calcul que je ferais aussi bien de passer par le canal et la véloroute pour éviter la côte de l’hosto pour pédaler jusqu’à NP. De toute façon, avec notre ami Charlie F+ qui anime la braderie en écho dans la rue Pasteur, je suis aussi bien ailleurs que chez moi. Je fais bon voyage. Il pleuviote un peu mais des gars comme moi en ont vu d’autres et me voici devant NP Jura. Je comptais un peu sur le comité d’accueil mais personne ne m’applaudit sur le parking. Je tournicote deux secondes et je passe un coup de biniou à l’un de mes contacts à l’UL. Salut, bon, ben, alors qu’est-ce qui se passe? Ou plutôt qu’est-ce qui ne se passe pas? - Mais, M’sieur Martin, c’était hier! Tu retardes de 24 heures. Je fais genre le mec qu’avait juste besoin de traverser la ville à vélo pour se dégourdir les fesses: ça m’apprendra à ne pas regarder la date des mails. Je prends quand même une photo avant de foncer jusqu’à chez moi avant la rabasse qui s’annonce. Cela me laisse tout de même le temps de réfléchir un brin. Les collègues de la locale du Progrès et de France 3 ont pas mal couvert le conflit et je vous y renvoie pour l’aspect financier notamment des tractations salariales. Mais ce qui est intéressant, c’est que si on compare la situation à NP Jura et celle des dockers de Felixstowe (pas au niveau des salaires parce que les dockers gagnent très convenablement leur vie contrairement aux ouvriers du groupe Clayens), deux revendications sont similaires. D’abord, les grévistes réclament une amélioration des conditions de travail et de sécurité (ce qui demande de l’investissement et donc moins de profit pour le capital). Ensuite, au vu des dividendes qui tombent dans les caisses des actionnaires et au regard de l’inflation, tous revendiquent des augmentations de salaire et des primes qui ressemblent à autre chose que des miettes. Mais dans l’un et l’autre cas, au port de Felixstowe ou sur le site de Dole, on ne remet pas en cause ce système inégalitaire où les gros se gavent en demandant aux maigrichons de se serrer la ceinture sans moufter et les yeux baissés. Bon, vous me direz, c’est pas le moment de demander la Lune quand le ciel est chargé comme un marin polonais en escale à Brest. Mais c’est quand même le moment de se dire qu’il y a rien à attendre du capitalisme sinon des rapports de force. Au Royaume-uni, des collectifs appellent à ne pas payer les factures à partir du 1er octobre. Pas facile chez nous, vu qu’entre Gaspar et Linky, les distributeurs ont vite fait de te couper l’approvisionnement. Et moi dans cette histoire, je n’ai pas vu le temps passer sur le chemin du retour. Ce sont mes freins qui grincent quand il pleut qui m’ont sorti de mes réflexions devant le garage (2). Je ne sais pas trop à quoi va ressembler la rentrée sociale mais une chose est sûre : les propos obscènes et cyniques que tient Macron depuis quelques jours laissent entendre qu’il met sur le dos d’une guerre qui n’est absolument pas la nôtre une crise économique que l’aveuglement de nos dirigeants (politiques et économiques) a provoquée (3) tout en prônant l’austérité afin de mieux dézinguer ce qui reste de services publics. Je vais continuer à laisser grincer mes freins parce qu'il y a bien longtemps qu'abondance et insouciance ne rentrent plus dans mes mots fléchés.

  1. Boris Johnson, le premier ministre britannique et démissionnaire dont on attend toujours le successeur.
  2. On paie 50 euros pour une demi-cave (on partage avec un autre locataire) de quelques mètres carrés en plein centre mais sans électricité: un vrai prix londonien quand on y pense. Mais après un scooter, une trottinette et un vélo volés…
  3. Depuis la crise de 2008, rien n’a été fait, aucune leçon retenue, aucun coupable sous les verrous ou sur la paille.


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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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