Mode sombre

Dès le début de la guerre civile espagnole, les nazis ont utilisé l'Espagne comme un banc d’essai grandeur nature pour des armes d’un nouveau genre, plus meurtrières et plus terrifiantes, et un terrain d'entraînement pour ses tueurs du ciel. Une unité aérienne spéciale est même créée en 1936 : la Légion Condor. Lors de l’offensive franquiste sur le Pays basque et les Asturies, elle va s'acquérir une sinistre réputation. Von Richthofen propose à ses alliés espagnols de couper la route aux combattants républicains qui se replient sur Bilbao en détruisant le pont de Rentería, au nord de Guernica. Officiellement, la destruction de la ville n’est pas au programme. Dans les faits, la Légion Condor embarque non seulement des explosifs brisants et des bombes antipersonnelles utiles pour ce genre de mission mais aussi 2 500 bombes incendiaires. Manifestement, le véritable objectif du raid n’est pas le pont. D’ailleurs, il restera intact.

A Guernica, c’est jour de marché en fin d’après-midi. Accompagnés de plusieurs chasseurs et d'avions italiens, les bombardiers de Luftwaffe attaquent la petite ville en plusieurs vagues, entre 16h30 à 18h00, trois heures de bombardement et de mitraillage qui vont laisser dans la ville détruite et en flammes entre 800 à 1 000 morts. 

L’attaque de Guernica reste une « expérience majeure visant à évaluer les effets de la terreur aérienne ». L’aviation nazie est prête pour l’invasion de l’Europe et le sifflement terrifiant des Stukas en piqué résonnera jusqu’à Londres.

« Les capitalistes nous considèrent comme du bétail », me répétait récemment un ami. J’en suis personnellement persuadé mais c’est encore très difficile à admettre pour de nombreux citoyens. Il se trouve toujours de bonnes âmes pour trouver des excuses aux aviateurs inexpérimentés qui se seraient trompés de cible à cause des nuages. Franco en personne a accusé les Républicains d’avoir organisé eux-mêmes ce massacre.

On savait que la deuxième vague de l’escadrille Macron allait faire de gros dégâts mais les armes employées sont décidément d’un nouveau genre. Après la sacro-sainte dette, la dérégulation à tout-va et la pandémie disruptive, l’imbroglio ukrainien offre aux apprentis-chasseurs de nouvelles occasions de semer le trouble et la panique dans la population. L’attaque vient cette fois-ci des rayons d’huile de tournesol, de la moutarde qui disparait, des prix de l’énergie qui s’envolent, du rationnement qui se profile, des coupures d’électricité qui s’annoncent, de la pénurie qui sent le gaz, de l’Euro qui s’effrite. Fin d’une certaine insouciance (?). Fin de l’abondance pour tous (?). Macron fait sa Cassandre, démoralise les Français et prépare les esprits au pire alors que les médias agitent sous notre nez des profits records pour les gros actionnaires et des sauts de puces en jet privé. Et la sape du service public continue. La redevance disparait et le fisc m’envoie un mail pour bien m’avertir du cadeau fiscal… à moi qui écoute France Musique tous les matins et qui n’ai aucune intention de passer sur Radio Classique. On recrute des profs comme des saisonniers de la cueillette. Normal, me direz-vous, quand on voit le degré d’incompétence du ministre de tutelle. Et je vous passe les atermoiements face au nucléaire, la nullité de Le Maire et le ton glacé de Borne.

Ça canarde dans tous les coins et les bombes viennent toujours d’en haut. On pointe Poutine et Xi Jin Ping du doigt quand ce n’est pas Royal ou Mélenchon qui servent d’épouvantails. Dans les commissariats, les stocks de lacrimos et de flash balls sont prêts pour calmer la rue qui s’agite déjà. Tout se fait en dépit du bon sens, avec un vent de panique tourbillonnant dans tous les couloirs de l’État bourgeois qui perd pied mais s’entête à nous planter avec lui.

Alors que nous reste-t-il à faire face à ce pataquès historique?

D’abord chercher à comprendre. Tenter de voir dans tous ces évènements contradictoires ce qui se passe véritablement. Eviter d’hurler avec les chiens de garde du régime, de cracher sur les cibles trop évidentes et de pigner avec les chochottes. 

Pourtant je ne vous cache pas que je trouve tout cela déprimant. Mais quand j’ai un coup de blues, je repense à Antonio Gramsci qui a passé l’essentiel de sa vie dans les prisons fascistes mais qui s’est toujours forcé à garder l’espoir. Qu’aurait-il sorti devant le boxon général? Sans doute l’un de ses magnifiques aphorismes: « La crise consiste justement dans le fait que l'ancien meurt et que le nouveau ne peut pas naître : pendant cet interrègne on observe les phénomènes morbides les plus variés ». Et si vous le trouvez un peu indigeste, en voici une version plus poétique: « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ». Les nôtres sont à la Commission européenne, au FMi, à l’Élysée, à la Bourse, dans la grande distribution et dans chaque recoin de notre cerveau où le profit financier cherche encore à pondre ses oeufs. 

Tant qu’on n’aura pas d’autre perspective que le capitalisme agonisant, aucun mouvement populaire d’ampleur ne déblaiera les décombres. C’est parce qu’il s’écroule que le régime néolibéral nous tombe sur la tête. Comme à Guernica, le vieux monde expérimente sa technologie meurtrière et sa communication délétère sur les masses que nous représentons pour les gens de pouvoir. Avoir peur et pleurer, c’est faire leur jeu. Penser plus loin, c’est se donner une chance.


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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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