Mode sombre

« Je continue de fumer, au moins, je sais de quoi je mourrai [rires] ». Ces paroles au moment de sortir en pause m’ont laissé sans mot. Elles n’appelaient pas d’autre réponse que des sourires de l'assemblée, mais le mien fut crispé, voire inexistant. Je venais de perdre un membre de ma famille parti d’avoir trop fumé, et une autre, une semaine plus tôt, emportée par un cancer féminin à l’origine incertaine. Tout cela me renvoyait à un décès plus ancien d’un ami aux cancers successifs dont l’oncologue avait renoncé à son métier après avoir elle-même subit « ce qu’elle faisait endurer à ses patients ». La plupart des gens, témoins du vieillissement de leurs proches, craignent plus les affres de la vieillesse que la mort. Tout le monde se sent concerné car tout le monde vieillit. Pour le cancer, c’est comme si c'était une vague statistique. Une probabilité qui laisse la possibilité d’en être épargné ou nous met face au Destin. « Moi, j'ai pas de cancer, j'en n'aurai jamais, je suis contre » disait Pierre Desproges, qui maniait l’absurde et avait pris le parti de vivre heureux en attendant la mort. Se défouler par l’absurdité face à l’absurdité de la mort ne doit pas faire oublier que la fatalité (dans le sens de destinée) du cancer n’en est pas complètement une. Des toxicologues illustrent la survenue de la maladie comme un réservoir qui déborde : chaque individu a un réservoir qui se remplit, au cours de la vie, d’expositions aux molécules cancérigènes, aux UV ou autres radiations, au stress… mais chaque personne a un réservoir de taille différente dont le volume est inconnu. On ne maîtrise pas la prédisposition, bien qu’elle puisse être parfois évaluée, mais on peut limiter l’exposition. Bien sûr, on peut avoir un cancer en n’ayant jamais bu, fumé, en se couchant tôt, en faisant du sport et en mangeant équilibré et bio, mais les statistiques sont formelles : nos « chances » de tomber malade (et il n’y a pas que le cancer) augmentent significativement si notre hygiène de vie personnelle et notre environnement sont détériorés. Car il y a une part individuelle mais aussi une part environnementale. Le dépistage, la promotion du sport auprès des individus ne doit pas faire oublier la responsabilité des pouvoirs publics pour la mise en place de mesures de prévention et de précaution. Certains politiciens sont partisans de lever ces mesures qu'ils appellent «normes » pour donner l'impression qu'elles sont seulement administratives. Plus de rejets et d’utilisation de substances dangereuses avérées ou suspectes pour simplifier la vie aux entreprises, c'est aussi la santé d'enfants, de femmes et d'hommes qui peut en faire les frais. Octobre rose, novembre bleu, mois de sensibilisation pour les acteurs de la santé. Occasions de communiquer pour les élus, en étant compatissant et en répétant les recommandations des associations. Mois d'humour noir diront ceux qui ont mesuré le creux des paroles de ces militants du droit à polluer qui se rappellent soudainement que, pour préserver la santé, la prévention est essentielle.

Nicolas Gomet


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