Mode sombre

« Nos agents ont constaté que votre véhicule n'était pas muni de la vignette réglementaire Crit'Air 2022. Veuillez la récupérer sous peine de contravention dans les prochaines 48 h sur le lien ci-joint... » Tel était le SMS que j'ai reçu le 25 octobre dernier. Avec mon épouse, je suis en effet l'heureux copropriétaire d'une bagnole neuve, essence pour tout vous dire, modèle clampin moyen mais quand on en arrive au choix d'une automobile, je m'en fous un peu. On a pris ce qui restait chez Renault pour pouvoir partir en vacances avec : c'était la dernière, sinon, on en avait pour plusieurs mois d'attente d'après le vendeur, un garçon charmant à qui j'ai juste demandé comment écouter de la musique dans la caisse. Le reste, je m'en tape. On n'a même pas pu choisir la couleur. Rouge métallisé. C'est un peu dommage tout de même vu qu'en ce moment il y a une gamme de gris plutôt craquants qui circulent. Mais, comme dirait ma femme, quand on est dedans, on voit pas la couleur.

Bref, revenons-en à cette vignette Crit'Air. Une copine nous en avait vaguement parlé mais comme on trouvait ça con, on ne s'en était pas préoccupé. Mais là, à l'idée de traverser la France dans la plus parfaite illégalité (ça ne nous est pas arrivé depuis le confinement), je suis allé sur le site vers lequel me renvoyait le SMS. Un truc tout ce qu'il y a de plus officiel. « Le certificat qualité de l’air permet de favoriser les véhicules les moins polluants : modalités de stationnement favorables, conditions de circulation privilégiées, possibilité de circuler dans les zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) ou en cas de pic de pollution ». Là, tu es content d'être du bon côté de la loi avec ta bagnole qui n'a pas encore 6000 kilomètres dans les jantes.

Six vignettes sont disponibles pour une discrimination positive qui va du vert au gris, les caisses d'avant 1996 n'ayant le droit à rien du tout. Pour nous, la vignette est violette et moche. Ça m'a coûté 3,70 euros, chrono-post compris, je n'ai même pas pu choisir la couleur et ça ne va pas du tout avec le rouge de la carrosserie. Mais on m'assure que « le prix du certificat sert uniquement à couvrir les coûts du service qui le délivre, c’est-à-dire le développement, la maintenance et l’exploitation du service, ainsi que les coûts d’élaboration, de fabrication, d’acheminement et de suivi des demandes de certificats » et qu' « il ne s’agit pas d’une taxe et (qu') il n’y a aucune recette pour le budget de l’État. »

J'ai bien étudié la question : rien n'indique que cette vignette soit obligatoire si la voiture ne circule pas dans une ZFE. « C’est une démarche volontaire, qui peut donner des avantages aux conducteurs, nous indiquent même ces faux-culs du Ministère de l’Écologie, mais chacun est libre de prendre un certificat ou non. Tout le monde est concerné. Crit’Air n’est pas obligatoire pour utiliser son véhicule. »

A Dole qui ne figure pas encore sur la liste des villes à vignettes, il y aurait donc des champions assermentés qui font du zèle. Ils vont d'ailleurs passer leur temps à envoyer des SMS (mais c'est sans doute un spam) car les vignettes ne font pas encore florès sur les pare-brise. Pour moi, je le dis tout de go, la menace de contravention s'apparente à un abus de pouvoir (même si c'est un spam). Vous me direz que je pinaille et qu'il s'agit uniquement d'un excès de prévention (bien que ce soit sans doute un spam d'une de ces boites qui font du fric en faisant les démarches à votre place alors qu'il n'y a pas grand choses à faire). Sans doute mais vous rirez moins si vous avez une voiture classée « Euro 3, 4 ou même 5 ». L'usine à gaz d'échappement risque bien de devenir une contrainte réelle pour pas mal d'entre vous, vu qu'il faudrait, à les entendre, une vignette même si vous n'avez aucunement l'intention de quitter le Jura. C'est un peu comme si l’État vous demandait de vous coller un QR Code payant sur le front alors même que vos impôts ont financé un système de reconnaissance faciale coûteux, parce que l'agent assez remonté qui m'a épinglé a bien su me trouver, sans vignette pour lui faciliter le travail. Et je le rappelle, même si c'est selon toute vraisemblance un spam.

Autre incongruité : c'est 68 euros d'amende, qu'on oublie la vignette, qu'on se trompe de secteur ou qu'on essaie de truander. Là encore, il ne va pas s'agir de tomber sur des préfets désireux de se faire bien voir de Darmalin et des flics décolo-punitifs qui vont vouloir montrer patte verte. Au niveau des ministères hors-sol et des champions de la discrimination à l'UE, on aura beau répéter que Crit’Air n’est pas obligatoire pour utiliser son véhicule, ça va devenir de plus en plus difficile de se déplacer pour les automobilistes les plus fauchés.

Le point faible de la vignette Crit'air reste la nécessité du déplacement. L'automobiliste sans vignette pourra avoir toutes les raisons du monde de pénétrer dans le sanctuaire métropolitain (travail, urgence médicale, administrative ou familiale, déménagement...), il restera stigmatisé et interdit d'entrer alors que le SUV dernier cri exhibera toujours sa vignette violette dans les embouteillages sans avoir de compte à rendre à la collectivité. Mieux, le véhicule à la vignette verte pourra continuer à alimenter le trafic des rues engorgées sans devoir justifier, sinon par l'argent, l'empreinte carbone de sa batterie au lithium à l'autre bout de la planète ni l'utilité du déplacement de ses deux tonnes à 300 mètres de chez lui. La pollution urbaine n'est pourtant pas qu'une question de poumons encrassés mais également d'engorgement des artères et d'infarctus. La preuve : la nuit, l'accès des villes reste libre.

Mais les métropoles ont déjà désigné comme indésirables les sans-vignettes et les mal-notés, en journée du moins. Bien sûr, tout cela est fait au nom de la santé de nos bronches et de l'industrie automobile, et si l'intention pulmonaire est louable, je ne peux pas m'empêcher d'y flairer un petit parfum d'apartheid. Pour que le populo ne s'invite pas dans un club, il suffit de rendre le smoking et le diadème obligatoire. Crit'air participe ainsi, sans en avoir l'air, à la gentrification du milieu urbain.

PS: à l'heure qu'il est, on n'a toujours rien reçu et je vais commencer à m'impatienter.


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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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