Mode sombre

J’ai lu récemment un post sur Facebook qui dénonçait les magouilles et malversations financières de nos politiciens, sous le titre :  « Et si on faisait enfin la chasse aux vrais assistés ! ».

Je suis cent fois d’accord avec le fait qu’il est insupportable et même intolérable que nos élus et leurs potes, gros industriels et financiers, s’en mettent plein les poches en se servant dans les caisses du pays. Les sanctions ne sont sans doute pas assez lourdes et surtout trop peu appliquées.

Je suis moins d’accord en revanche avec le raccourci facile qui nous fait comparer ces magouilleurs aux personnes que certains taxent d’assistés.

Au risque de déranger les personnes qui, comme moi se réclament de gauche, je pense qu’il faut faire une différence entre une personne ou une famille, en état de précarité, pour laquelle il y a urgence, et qui doit absolument être aidée, sans qu’aucune polémique n’ait sa place. Et une personne que notre soif de vouloir passer pour des gentils, nous fait peut-être trop aider, et c’est là où pour moi, le mot assistanat prend tout son sens. 

Je ne suis pas en train de pointer du doigt qui que se soit, j’ai moi-même été de ces personnes qui pensaient que leur dévouement aux autres allait changer le monde. Mais lorsque je fais le bilan, je réalise que ma façon d'agir ne les a pas toujours aidées. Quelquefois j’ai gardé des gens dans un état de dépendance. Oui, je sais, ce n’est pas forcément agréable à entendre pour les personnes de bonne volonté qui veulent donner de leur personne, mais quand nous voulons secourir, avons-nous bien réfléchi à ce qui dans notre histoire, nous pousse à vouloir à tout prix le faire ?

Et qui est-on ? pour qui se prend-on ? pour vouloir aider, quand quelquefois, l’autre ne nous demande rien. Qu’est-ce qui prouve que notre façon de vivre est la bonne, et que les autres devraient obligatoirement calquer leur vie sur la nôtre ? 

Encore une fois je ne parle pas de l’urgence dans laquelle il faut faire preuve de bon sens en offrant de la nourriture à une personne qui a faim, mais du sentiment de toute puissance qui nous pousse à nous croire indispensable et dans la juste pensée au risque quelquefois de trop en faire en faisant preuve d’un surinvestissement.

En tant que soignante, j’ai appris pendant mes études une notion tellement importante qu’est « le respect de l’autonomie de la personne », parce que oui, lorsqu’on empêche un individu de subvenir lui-même à ses propres besoins, on le déleste en même temps du plus élémentaire respect de lui-même. « Si je ne suis plus capable de faire ma toilette seul », mais aussi « si je ne suis plus capable de subvenir aux besoins fondamentaux de ma famille », je ne vaux plus grand-chose. 

Pour aller plus loin, je ne crois pas que nos dirigeants aient un problème avec ceux qu’ils nomment « des assistés ». Je pense même que les gouvernants créent cet état de dépendance. Car lorsque nous comptons sur les différentes aides auxquelles nous pouvons prétendre, nous préférons nous taire de peur qu’elles ne nous soient retirées. D’autant plus, si à force de nous materner, les puissants ont réussi à nous faire croire que nous ne sommes plus capables de nous débrouiller seuls. Ils veulent notre asservissement, et nous, pauvres petites choses vulnérables et sans défense, nous courbons l’échine et leur demandons encore plus d’aide, « Oui, notre Monsieur, oui, notre bon maître ! »

Le juste sujet de réflexion n’est-il pas plutôt ici?

Ne rentre-t-on pas nous-même dans le jeu du pouvoir en voulant secourir à outrance, à commencer par nos propres enfants, plutôt que d’aider l’autre à devenir autonome ? Ne sommes-nous pas tous plus ou moins assistés dans un monde qui nous assujettis? N’avons-nous pas perdu notre capacité à nous battre, à relever la tête ? Que se passerait-il si demain des milliards d’êtres humains reprenaient leur plein pouvoir, au lieu de se sentir impuissant ? 

Faire taire un peuple qui se soulève, c’est risqué, ça fait du bruit, on prend des risques. En revanche, l’endormir, l’amener insidieusement à croire en sa vulnérabilité, et à son incapacité à être des femmes et des hommes debout, c’est malsain, mais tellement plus efficace.

Alors plutôt que de crier au scandale lorsque les personnes qui dirigent ce monde parlent d’assistanat, nous pouvons reprendre le pouvoir qu’ils nous ont dérobé. Nous pouvons créer de l’entraide, mais dans le seul but d’amener l’autre à redevenir l’acteur de sa vie. Laissons-lui la possibilité de trouver ses propres ressources et de pouvoir en être fier : « Je ne te donne pas, nous échangeons, parce que tu es riche de beaucoup de choses, pas forcément matérielles, que je ne possède pas et que tu peux m’apporter ». Nous pouvons peut-être aussi prendre nos responsabilités concernant ce à quoi nous avons consenti jusque-là, mais en nous disant que nous n’accepterons plus que qui que ce soit tente de nous maintenir dans l’asservissement.  

Maslow, le père de l’approche humaniste en psychologie, avait représenté sur sa pyramide, ce qu’il estimait être les besoins fondamentaux de l’être humain. Il plaçait au pied de cette pyramide les besoins en nourriture, en hydratation, ainsi que le besoin de se sentir en sécurité, indispensable selon lui, avant de pouvoir accéder aux marches suivantes. Sur la troisième marche se situe le besoin d’appartenance que notre individualisme nous fait souvent ignorer, l’autre étant un autre nous-même, nous avons besoin de faire partie d’un tout. Nous sommes parfois tellement nombrilistes que nous avons tendance à l’oublier, nous avons besoin des autres, autant qu’ils ont besoin de nous. Plus haut encore, Maslow avait placé le besoin d’estime de soi-même et des autres, et pour finir le besoin de s’accomplir. Puisqu’un certain nombre d’entre nous réussissent encore à grimper les deux premières marches de cette pyramide, n’oublions donc pas ceux qui n’y arrivent pas, mais en leur prêtant l’escabeau que nous avons eu la chance d’avoir en notre possession, pas en les tirant par le bras pour leur faire sentir qu’ils n’y seraient jamais arrivés sans nous ou sans l’État providence. Offrons à l’autre le plus beau des cadeaux, l’autonomie qui lui permet de retrouver l’estime de lui-même. Ainsi, ensemble, nous pourrons accéder à la dernière marche.

Véronique Journot.


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