Mode sombre

Résococo a la semaine dernière interpelé à plusieurs reprises la députée Justine Gruet au sujet de sa position dans le débat sur la réforme des retraites. Elle a récemment répondu très évasivement dans le Progrès et nous nous référons ici à une lettre envoyée aux élus, une réponse un peu plus approfondie même si la députée nous semble botter en touche, faute de nous toucher par une botte secrète ou un coup de Jarnac. La députée LR est décidément très prévisible mais c’est ce qu’on attend des conservateurs: des confitures Bonne Maman au parfum de tradition. Cela dit, je plains notre jeune élue qui doit sans doute être un peu perdue dans cette foire d’empoigne qui symbolise tellement bien la débâche démocratique des institutions de la Vème. 

Le texte originel de Justine Gruet est en italiques, penché vers la droite, nos commentaires étant rédigés dans un style de caractères d’une droiture qui fera des envieux.

Allez… Serge, magnéto!

Présentée au Conseil des ministres du 23 janvier 2023, la réforme des retraites qui alimente le débat national sera discutée dans le cadre du projet de loi de financement rectificatif de la sécurité sociale (PLFRSS). Je déplore le cadre législatif choisi par le Gouvernement car s’agissant de l’étude d’un texte budgétaire, les débats de fond en Commission et dans l’Hémicycle seront grandement pénalisés. 

On ne peut qu’être d’accord. Restait à mettre en avant la ruse administrative du gouvernement (1) pour faire avaler la pilule au plus vite, engluer le mouvement de protestation en faisant commencer les débats parlementaires la semaine des vacances et faire planer l’ombre de l’oukase 49-3 (et son erzatz le 47-1) au-dessus de toute controverse. Bon, disons que la députée s’adresse aux élus qui savent tout ça puisqu’ils connaissent les perversions de la démocratie par coeur à force de la pratiquer.

Par ailleurs, la question des retraites est un sujet sociétal qui ne fait pas seulement appel à l’équilibre budgétaire de notre nation, mais qui doit également interroger notre rapport au travail.

Là, nait d’un seul coup un espoir, une lueur dans le tunnel. La députée aurait-elle eu vent des travaux de Bernard Friot et de Réseau Salariat qui se posent la même question? La retraite n’est pas qu’une affaire de gros sous mais un choix de société, digne d’un vrai débat politique. A la bonne heure !

Actuellement, pour faire valoir ses droits à la retraite, il faut cumuler deux critères : avoir cotisé un certain nombre de trimestres et atteindre un âge légal pour partir sans décote.

Déception… et retour dans les rails.

Dans les débats actuels, l’âge légal de départ cristallise le débat et focalise toutes les attentions. Or, à mon sens, c’est la durée de cotisation qui doit primer, notamment pour les carrières longues, souvent dans des métiers à forte pénibilité.

Et nous voilà repartis dans la logique traditionnelle et fallacieuse: « J’ai cotisé, j’ai droit. » Je dois donc aligner 43, 44 ou 45 années de taf pour avoir le droit de ne plus me lever le matin pour valoriser le capital de Solvay ou de Bel.

En effet, d’après le texte, les personnes ayant commencé à travailler avant 21 ans devront cotiser une année de plus que les autres.

L’attaque contre les métiers à faible qualification est tellement grosse que Les Républicains ont quand même été obligés de la relever et de se montrer un peu plus humains que les robots de Renaissance.

En réaction à cette injustice, nous avons déposé avec le groupe Les Républicains un amendement visant à faire primer la durée de cotisation par rapport à l’âge légal de départ pour ceux qui ont commencé à travailler avant 21 ans.

Merci pour eux ! Mais personne n’est dupe. Il s’agit d’un petit arrangement entre amis. La candidate Pécresse prévoyait le départ à 65 ans et 45 annuités. Le gouvernement a tendu la main à la bande à Ciotti: les concessions que LR semble arracher haute lutte ne sont que du lest que le gouvernement avait prévu de lâcher. Les plus critiques de chez Renaissance avaient déjà fait des propositions que LR n’avaient qu’à reprendre à son compte pour faire croire qu’ils sont une opposition sur laquelle il faut compter mais qui votera comme les pions du Président. Justine Gruet ne semble pourtant pas insensible aux arguments d’Aurélien Pradié qui fait du chantage au vote pour sortir du Lot (jeu de mots).

En France, l’âge moyen de départ à la retraite est d’environ 63 ans, un âge qu’un amendement propose de fixer comme âge légal, tout en prévoyant une clause de revoyure à l’horizon 2027 afin d’envisager, si nécessaire, un départ à 64 ans.

J’adore le mot revoyure. Ça donne un côté canaille à l’ensemble. Et de fait, ça nous cache une jolie saloperie pour 2027. On se débarrassera de Macron mais LR se rappellera au bon souvenir du grand capital pour espérer être élu et laver l’affront Pécresse avec Wauquiez, le flingueur du Rhône. 

L’âge légal de départ à la retraite n’est que la formalisation d’une valeur de référence pour acter la décote ou la surcote. Arrêtons de nous focaliser sur ce totem, préférons parler de durée de cotisation.

Sauf qu’en l’état, LR propose perfidement sous couvert de pragmatisme de passer de 62 à 63 et plus tard 64 si nécessaire. La méthode douce mais le même résultat au final… mais plus tard, lorsque l’actuel gouvernement aura tellement fait baisser les cotisations patronales et par voie de conséquence vider les réserves des caisses qu’il sera grand temps d’affoler à nouveau l’opinion publique et de faire quelque chose. Et bang! on nous collera le 64 auquel le 63 (merci qui?) nous aura finalement gentiment préparés. 

Par ailleurs, si l’entrée sur le marché du travail se fait plus tard que la moyenne ou que la carrière n’est pas complète, l’âge d’effacement fixé à 67 ans est maintenu. Il permet de pouvoir prendre sa retraite, et ce quelle que soit la durée de cotisation.

L’entrée sur le marché du travail… c’était bien la peine de nous parler d’« interroger notre rapport au travail » pour nous ressortir les éléments de langage des économistes libéraux. 

Je serai vigilante sur la prise en compte des critères de pénibilité, renforcés par la droite puis détricotés par Monsieur Macron. Ils permettent de protéger les personnes usées par leur travail en leur permettant de partir à la retraite avant l’âge légal.

Nous avions évoqué le fait que Justine Gruet est kiné et qu’en matière d’usure des corps et de pénibilité des tâches, elle en connait une tartine. Peut-être a-t-elle également travaillé la question sous son aspect psychologique?

Face à l’obstruction parlementaire mise en place par la NUPES en commission et en séance, il est important de prendre conscience que nous n’aurons certainement pas la possibilité de nous exprimer par un vote sur ce texte car l’usage de l’article 47-1 de la Constitution contraint les débats dans le temps.

Ce ne serait finalement pas une si mauvaise chose pour notre députée : la NUPES endosse la responsabilité de la foirade et l’élue de nos urnes garde les mains propres vis à vis de son électorat: « Je n’ai pas eu à voter, la bande de gauchistes a fait l’imbécile ». Sur ce coup-là, on est d’accord. La charrette d’amendements, ça a fait son temps. Il aurait sans doute mieux valu faire une véritable campagne de presse parallèle pour expliquer clairement aux Français ce que le patronat réactionnaire exige de ses représentants à l’Assemblée.

Au sein du groupe Les Républicains, nous partageons tous la même volonté de valoriser l’effort, le mérite, le respect du travail et la solidarité entre les générations.

Que de belles valeurs ! Ciotti, Wauquiez, Sermier, Pernot, Sarkozy, que de beaux exemples de travail, d’effort, de mérite et de solidarité.

Cette solidarité est le fondement même de notre système par répartition qui est aujourd’hui fragilisé par une démographie vieillissante et une diminution de la natalité. Afin de répondre à cette problématique, je souhaite une politique familiale plus juste en proposant, par exemple, l’universalité des allocations. Cela permettrait aux classes moyennes, qui ne bénéficient d’aucune aide, d’obtenir un soutien de l’État à la fois dans les modes de garde et dans l’accompagnement financier à l’arrivée d’un enfant dans le foyer.

Un grand moment ! Et revoilà la solidarité. Il faut être solidaire entre classes d’âge. L’Inteeeeergénaraaationnel sauvera le genre humain. Mais entre groupes sociaux, ça se pose moins, la solidarité. Les retraités pétés de thune, ceux-là, on n’a pas beaucoup entendu parler de leur contribution à l’effort général. Soit, alors faisons des gosses pour endiguer le grand remplacement… par les vieux, je veux dire… Sauf que c’est pas avec des allocations (qui viennent, soit dit en passant de la branche famille de la Sécurité sociale, pas de l’État qui ne devrait pas avoir à mettre son nez là-dedans) qu’on va donner envie à qui que ce soit de mettre au monde des enfants dans un présent sinistre comme le nôtre. Arrêtez de nous foutre les boules avec le covid, l’Ukraine et Davos, et votre courbe des naissances, elle va filer vers les étoiles.

L’universalité des allocations? Voyez-vous cela… des allocations familiales, j’imagine. Vous m’arrêtez si je me trompe. Mais, n’était-il pas question d’aligner le salaire des femmes sur celui des hommes? Et par voie de conséquence de récupérer des milliards de cotisations. Ah mais non! C’est l’État qui mettrait la main à la poche selon Justine Gruet, c’est à dire les finances publiques que les cadeaux fiscaux aux grosses entreprises ont tendance à vider. Bon, on construit massivement des crèches, là, d’accord, et on redonne aux allocations familiales leur statut de salaire aux parents tel qu’il a été conçu au départ. C’est pas un soutien de l’État mais la reconnaissance de l’utilité sociale d’élever des enfants. On parlait de revoir notre rapport au travail, c’était le moment ou jamais, chère Madame!

Toujours sur la solidarité, je suis d’avis, avec mon groupe parlementaire, de repenser l’Allocation de solidarité aux personnes retraitées ayant de faibles ressources (ASPA) en conditionnant le versement de cette allocation à une durée de cotisation minimum symbolique.

Allez-y, repensez, repensez…

Ensuite, je pense qu’il pourrait être judicieux de tester de nouvelles organisations du temps de travail, à l’instar de la semaine de quatre jours et/ou de l’augmentation du temps de travail (en accord bien entendu entre employeurs et salariés), ce qui permettrait d’éviter d’imposer deux ans supplémentaires en fin de carrière.

Bosser plus mais en moins de temps, quoi? Mais pour quoi faire? La hausse de la productivité dans l’industrie et le traitement de l’information (je n’ai pas parlé du boulot des ASH dans les EHPAD et des toubibs dans leurs cabinets, on est bien d’accord) vous en avez entendu parler? Pour autant, la question n’est peut-être pas tant de produire plus mais de se demander quoi et comment, et surtout pour ceux qui produisent vraiment la richesse (pas les rentiers de naissance, Re-naissance, c’est eux!).

Pour inciter à l’emploi des seniors et le rendre plus attractif, il serait plus judicieux de diminuer les charges sociales en fin de carrière plutôt que d’instaurer l’affichage d’un index.

Nous y voilà. Employer les vieux au rabais, quelle bonne idée! Moins de cotisations (notre députée s’était retenue jusqu’à présent de parler de charge mais le fond patronal revient au galop) à la clef, c’est pas ça qui va renflouer les caisses s’il en était besoin. Et donc, on ne pointe pas du doigt les gentils employeurs qui font ce qu’ils peuvent et au contraire, on les aide à garder leurs anciens avec des charges allégées par une baisse des cotisations. On voudrait couler la Sécu qu’on s’y prendrait pas autrement. L'index est une fumisterie moralisante mais l'emploi des seniors au moindre prix, c'est une crapulerie, digne du service civique, de l'exploitation des stagiaires ou du bénévolat chez les taulards.

L’émancipation et l’épanouissement par le travail sont essentiels. Pour autant, il faut également mesurer le rôle important des jeunes retraités dans notre société qui sont souvent le moteur du dynamisme associatif de nos territoires ou encore des relais bienveillants pour les parents lorsqu’il est nécessaire de garder les petit-enfants.

Le vrai travail d’un côté donc, l’associatif et la garderie d’un autre côté. On a bien compris le mode de raisonnement de notre députée décidément très conservatrice. Le travail, c’est l’emploi productif qui met du capital en valeur. Le reste, c’est de l’activité d’appoint. Et être élu(e) local(e), c’est considéré comment?

Enfin, il devient important de rediscuter la pérennité de certains régimes spéciaux. L’évolution des méthodes de travail ne peut plus justifier ces régimes et les avantages qui en découlent. Pour autant, cette discussion doit être réalisée en lien constant avec les organisations concernées.

Là, Justine Gruet vise bien évidemment les sénateurs dont la pénibilité de la tâche n’a plus rien à voir avec celle du temps des locomotives à vapeur et de la mine.

Afin de pérenniser notre système par répartitions, une réforme structurelle est nécessaire. Cependant, elle doit être alimentée par un débat parlementaire constructif, être proposée en bonne intelligence et en phase avec les réalités du terrain. A ce titre, je ne me reconnais pas dans une action politique qui oppose les Français sans entendre leurs préoccupations.

A votre écoute, coûte que coûte ! Permanence parlementaire de Justine Gruet, j’écoute ! Oui, allô… amie, entends-tu le grondement sourd du peuple dont on raccourcit les chaines? De toute évidence, la députée Gruet est du côté des Français préoccupés

Aussi, sous réserve que le Gouvernement consente à écouter et à prendre en compte les propositions que nous défendons, je voterai dans l’intérêt général.

Ben évidemment, il manquerait plus qu’une élue du peuple commette un vote partisan et clientéliste. On espère bien que ce n’est pas le genre de la maison Gruet. Chez les Ciotti, c’est sans doute une autre affaire! 

Reste que dans le brouhaha général, on n’entendra guère, notre jeune députée. Elle ne s’est même pas servi de la presse locale pour faire des propositions intéressantes et nous a servi un discours aussi vaseux que brumeux. Ça manque de courage politique tout ça. Augmenter le tarifs des séances chez les soignants libéraux, là, oui, notre kiné est dans les starting-blocks : la CNAM épongera bien sûr! Mais quand il s'agit de vraiment étudier des thèses économiques non-orthodoxes, penser autrement qu'un éditorialiste de BFM, plancher sur des alternatives innovantes au lieu d’inaugurer des salons de l'habitat et des gabegies à l’hôpital, là, y a plus personne.

 

(1) Pour comprendre comment Juppé s’y est pris en 1995 pour court-circuiter le bouzin, cf Nicola da Silva, le Monde Diplo de février 2023, p18-19 

 


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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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