L’inteeer-syndicaaa-le ne sera pas le genre humain
1995, 2003, 2010, 2019… et maintenant 2023, qui entre dans la catégorie des années de très grosses mobilisations populaires contre les attaques de la bourgeoisie contre notre système social. Mouvement d’ampleur historique, donc. D’autant que toutes les organisations syndicales font front commun – une première depuis douze ans, paraît-il.
C’est beau de voir que tant de gens et Fabien Roussel ne se sont pas époumonés en vain à brailler « Tous ensemble, tous ensemble, ouais ! »
Mais ça ne doit pas pour autant nous empêcher de rester lucides pour ne pas nous retrouver une fois de plus le bec dans l’eau.
Et ça commence assez mal ! Puisque après la mobilisation maousse de centaines de milliers de personnes du 19 janvier, on en est réduit à remettre l’avenir du mouvement à une poignée de gugusses au niveau national, qui ont décidé de laisser refroidir pendant une douzaine de jours avant la prochaine journée d’action. On repart sur les journées « saute-mouton ». On ne change pas une formule qui perd. (Ou qui gagne, si le but est de ne surtout rien changer.)
Si le mouvement social n’est pas foutu de s’émanciper des grandes centrales syndicales, on est mal barré ! Rester derrière elles, pourquoi pas, mais pour leur aiguillonner le cul, pas pour être à leur remorque ! Et le temps presse !
Car dans ce merveilleux œcuménisme syndical, il y a l’inénarrable CFDT. Un syndicat d’accompagnement, dont la principale raison d’être est juste d’occuper un segment du marché para-politique du syndicalisme. Il font tourner leur petite entreprise, qui ne connaît pas la crise. Se montrer « modéré », « réaliste » et « ouvert au dialogue social » en acceptant à peu près tout du patronat et du gouvernement (contrairement à une certaine concurrence qui mise plutôt sur la combativité) est apparemment une assez bonne stratégie commerciale : deuxième syndicat en nombre d’adhérents (environ 600.000) derrière la CGT, et premier pour la représentativité syndicale (avec tout ce que ça implique comme manne institutionnelle).
Il me semble important de se poser deux questions à propos de la CFDT…
Primo, pourquoi ont-ils rejoint le mouvement ? Vu le niveau d’impopularité de ce nouveau coup de bélier dans notre modèle social, avaient-ils vraiment le choix ? Ils doivent quand même entretenir un minimum leur crédibilité en tant que syndicat. Et puis ça fait du bien aux troupes de prendre un peu l’air une fois tous les dix ans. Peut-être aussi ont-ils été vexés que le gouvernement ne les traite pas comme les partenaires privilégiés qu’ils se targuent d’être dans le « dialogue social ».
Secundo, quand trahiront-ils ? (En fait, ils ne trahissent personne : ils suivent juste leurs propres objectifs.) Car dès qu’ils quitteront le mouvement, dès que l’inter-syndicale se fissurera, la meute du chenil médiatique de la bourgeoisie sera lâchée pour l’halali et s’engouffrera avec délice dans la brèche, l’écume aux babines.
Officiellement, la CFDT est contre le report de l’âge de départ à la retraite à 64 ans, et pour le système de retraite à points « suspendu » le 16 mars 2020 pour cause de confinement. (Ça, c’est leur grand dada à la CFDT : créer des comptes individuels pour tout et n’importe quoi. « Un nouveau compte à points ?! J’accours ! Où faut-il signer ? »)
Que fera-t-on si le gouvernement sort la brosse à reluire tactique en annonçant, par exemple, qu’il a « entendu les partenaires sociaux » et qu’il renonce aux « 64 ans » (provisoirement, mais chut !) et qu’il remet en marche son projeeeeeet de 2019 ? Parce que vu l’indigence du travail militant d’éducation populaire réalisé sur ces sujets ces dernières années, ça ne va pas être facile de maintenir la pression, surtout si les gens sont déjà épuisés et démoralisés par des semaines de mobilisation.
Voire écœurés par ce qui sera considéré comme une énième magouille entre gens importants. Parce que, certes, les syndicats jouent encore un rôle moteur dans les grandes manifestations, mais leur crédit est plutôt faible et leur image loin d’être brillante. Il faut rappeler que le taux de syndicalisation en France (environ 2,5 millions de syndiqués pour 25 millions de salariés, soit environ 10%, peut-être moins avec les retraités syndiqués) est l’un des plus bas des pays comparables, et que la participation aux élections professionnelles est encore plus faible que celle des élections politiques classiques (5,4 millions de votants pour la période 2017-2020).
Peut-être que l’unité syndicale tiendra jusqu’au bout et que le gouvernement abandonnera. On peut l’espérer. Mais il n’est pas raisonnable de tout miser sur une seule composante du mouvement social qui comporte elle-même un élément absolument pas fiable. On peut prendre appui sur une branche pourrie, mais en ayant conscience qu’elle peut céder à tout moment, et donc en ne s’appuyant pas dessus de tout son poids, au risque de se casser la gueule.
Bref. L’actuelle unité syndicale ne doit pas nous empêcher d’anticiper les suites prévisibles et potentiellement néfastes pour le mouvement, ce qui devrait nous inciter à nous en émanciper et à diversifier les initiatives pour gagner cette nouvelle bataille des retraites.
J’ose à peine élargir en disant qu’à un moment, il faudrait aussi faire mieux que seulement mener des combats défensifs étriqués. Quand je repense au mouvement des Gilets Jaunes initié en 2018… Ils se sont démerdés pour créer un mouvement national en partant d’une simple question de prix du carburant, et ils sont allés jusqu’à remettre en cause le contenu de la Constitution pour plus de démocratie… Pas mal pour des illettrés sans dents qui ne sont rien !
À propos de l'auteur(e) :
Uhm
Noir comme la liberté des anarchistes. Rouge comme l’égalité des communistes. Vert comme la fraternité des humanistes. Énervé comme un homme de gauche dans un monde ravagé par le capitalisme. Misanthrope de désespoir.
Un humaniste misanthrope
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