Mode sombre

Il n'est peut-être pas politologue mais son analyse est fine et a fait l'objet de notre édito papier du mois de février dont il reste encore quelques exemplaires à la Fleur de Sel.

Le report de l’âge légal de départ en retraite a, une nouvelle fois, mobilisé beaucoup contre lui. L’affichage d’une union intersyndicale et ses appels communs à la mobilisation ont sûrement convaincu ceux qui n’avaient pas manifesté depuis longtemps de se joindre aux cortèges. Dans l’autre sens, le rejet massif de la population pour cette mesure qui a des conséquences concrètes (et parfois à brève échéance selon l’année de naissance) ne laissait pas le choix aux syndicats de salariés que de construire la contestation. Mais tout le monde sait que si les grandes manifestations permettent « de se compter » face au gouvernement, le minimum syndical que représentent les journées « saute-moutons » de grève et de randonnées urbaines finiront par lasser jusqu’aux manifestants eux-mêmes. Si le mouvement veut perdurer, il faudra qu’il trouve un deuxième souffle en changeant de stratégie. 

La CGT a menacé de couper l’électricité aux milliardaires ou aux permanences parlementaires de celles et ceux qui soutiennent l’allongement du temps de vie passé au travail. Une manière d’agir dénoncée par le patron de la CFDT qui ne suit pas non plus les actions « Robin des bois », tout aussi illégales, de gratuité pour les boulangers, les écoles et les hôpitaux. Les préavis de grève reconductible de quelques organisations qui rêvent de grève générale sont également une marque de radicalité inenvisageable pour qui veut continuer à être un interlocuteur respectable et ne veut pas être débordé par la rue. Ainsi, le rejet du report de l’âge de départ en retraite à 64 ans semble faire consensus parmi les organisations syndicales, des plus radicales aux plus lisses, mais la manière de l’imposer diffère selon les cultures propres à chacune. A la condition que chacun se tienne bien à la cause commune du refus du report de l’âge de départ en retraite, la multiplicité des méthodes pourrait même être un avantage pour le mouvement social, chaque contestataire s’engageant dans le mode d’action qu’il favorise et restant donc mobilisé, au lieu de se détourner faute de trouver sa place. 

De grandes manifs avec tout le monde pour le minimum « non négociable », des actions plus spécifiques pour ceux qui pensent que ça ne suffira pas : tant elle est inhabituelle, on se demande si cette forme de biodiversité syndicale pourra durer.

Pendant la première journée de grèves et de manifestations du 19 janvier, avait lieu le second tour pour la désignation du secrétaire du Parti Socialiste. Quel rapport me direz-vous, entre la masse d’opposants à la réforme des retraites et ce scrutin qui n’a pas déplacé les foules, sinon la date ? C’est que là aussi, il est question du rapport à la diversité militante. Ce scrutin a en effet pris la forme d’un référendum pour ou contre le maintien du parti à la rose dans la coalition de gauche à l’Assemblée nationale, la NUPES. Après le psychodrame (accusations de fraudes de part et d’autre, annonces de victoire avant le comptage définitif), le secrétaire sortant a finalement été réélu ric-rac et je lui souhaite bien du plaisir pour jouer les équilibristes à la tête des restes d’un parti désormais fracturé en deux. Olivier Faure était critiqué de longue date en interne mais plus encore depuis qu’il avait pris acte du crash du PS avec la pilote Hidalgo (1,75% aux présidentielles) et qu’il avait engagé son parti dans la NUPES. Un choix à la fois stratégique et politique qui a permis de conserver des députés qu’il aurait quasiment perdus autrement et de marquer à nouveau son parti à gauche après les désastreuses années Hollande, leur casse du droit du travail ou encore la promotion au rang de ministre d’Emmanuel Macron qui n’en est pas resté là. Le challenger du secrétaire sortant, tout comme la candidate « anti-NUPES » (terme de son propre camp !) éliminée au premier tour, avait signé en septembre dernier le manifeste d’un autre ancien ministre de Hollande. Ce texte-inventaire au titre-inventaire en dit moins sur les motivations de ce courant que les déclarations de Cazeneuve lors de sa présentation. Cette opposition à l’union de la gauche, dont ils n’ont pas le leadership, est l’expression d’un sentiment de déclassement des éléphants du parti et d’adhérents nostalgiques d’un temps où « PS » suffisait à qualifier « la gauche ». C'est également ce rejet des autres pratiques militantes (pour ne pas dire des autres militants eux-mêmes) qui les conduit à l'isolement jusque dans les institutions locales, car il n'y a ici pas d'alibi politique pour le justifier. 

Le combat contre les libéraux, conservateurs, réactionnaires et fascisants devrait être une priorité, il mérite mieux que la groupusculisation et le nombrilisme. Heureusement, le reste de la gauche l'a compris et travaille déjà ensemble. 


Partage :




Licence Creative Commons Article mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.



À propos de l'auteur(e) :

Nicolas Gomet

Scientifique polyvalent et explorateur des institutions locales.


Élu écologiste au conseil municipal de Dole

Retrouvez tous les articles de Nicolas Gomet