Mode sombre

Ecrire l’édito d’un mensuel alors que l’actualité galope relève du pari suicidaire (NDLR: encore plus de le publier sur le web trois semaines après parution mais là, on a le dessin de Léandre en couleurs!). Les éboueurs seront-ils encore en grève à la parution du canard? Le gouvernement aura-t-il cédé sur l’âge du départ à la retraite d’Alain Duhamel (83 ans tout de même et toujours aussi aveugle)? Berger (Laurent, pas Michel) tiendra-t-il encore longtemps sans trahir pour de bon? Chantal Goya va-t-elle enfin sortir de son mutisme sur la question des méga-bassines? Tout va vite dans ce monde de communication disruptive. Libres Commères ne peut pas rivaliser avec Pif Gadget (on n’aime pas le plastic) ou Playboy (on n’a pas la couleur). Ce que j’écris ne doit pas sentir le rance à peine surgi de la photocopieuse, alors… alors… alors… faisons un peu de prospective, histoire de se donner un zeste d’espoir… et un coup de pied au cul. 

Parlons épuration. Oui, oui! Vous avez bien entendu, É-PU-RA-TION. Et je ne parle pas d’eau potable. Je parle d’ordures comme le titre de l’édito l’indique. Et il s’agit bien de les sortir de leurs bureaux dorés, sans parachute de la même couleur. Oui, madame, monsieur, nous parlons bien d’épuration. Car évoquer la libération et la révolution, c’est bien beau mais, faut aller jusqu’au bout des choses et faire une grande lessive des écuries d’Augias. Y a tellement de merde à tous les niveaux de l’État bourgeois qu’on ne pourra rien reconstruire de plus juste et de viable sans se débarrasser de la corruption qui s’est incrustée dans tous les coins de l’administration et dans tous les recoins de l’institution. 

Alors, bien sûr, si je préconise une destitution immédiate de l’actuel président de la République pour haute trahison, violence en bande organisée, troubles mentaux (paraphrénie) et consommation de stupéfiants sur son lieu de travail, je ne réclame pas la tête de tous ceux qui collaborent activement à son projet néolibéral: pas au sens propre en tous cas parce que ça serait salissant d’une  part et parce que d’autre part, un régime politique plus juste ne peut plonger ses fondations dans du sang caillé. Pas à gros bouillons en tous cas. Mais va y avoir du sport et un sérieux recadrage à faire.

Pour beaucoup de ces collaborateurs, la mise à l’écart de la vie politique s’impose. Le tribunal populaire attend certains, la prison aussi. D’autres préfèreront sans doute l’exil dans les paradis disco. Bref, il faudra prendre tout un tas de mesures punitives salvatrices parce que le grand pardon aboutirait à court terme à une restauration de ce régime inique dont la bourgeoisie n’a que trop longtemps profité. On ne peut pas prendre les mêmes pour recommencer le même cirque.

J’en vois déjà qui tremblent pour leur petit patrimoine et leur livret de caisse d’épargne. Hé bien, flippez si vous avez des raisons de le faire: vous avez sans doute des choses à vous reprocher. S’il ne s’agit pas de lancer la curée générale, va bien falloir trouver des solutions radicales à l’incurie qui ronge notre pays. Et s’il ne tenait qu’à moi, on descendrait assez bas dans les étages. Mais il se trouvera bien quelques bonnes âmes pour recycler les préfets, les proviseurs, les directeurs d’ARS et les magistrats. En revanche, je conseille aux huissiers et aux brutes de la BRAV-M de faire leurs valises et à la plupart des journalistes de salon et des popes de l’économie de changer de logiciel.

Mais il ne suffira pas de sortir physiquement les ordures pour remettre le pays sur les rails. Il se niche en chacun de nous tout un tas d’idées toxiques dont il va bien falloir se débarrasser. Et là, pas besoin de prendre des gants: y a pas de vie humaine en jeu. Ou plutôt si: il y va de celle de nos gosses et de leurs mômes pour les moins jeunes. 

Parce qu’il n’est qu’un vaste mensonge, le capitalisme nous tient par le divertissement et le confort. Le néolibéralisme cultive l’art de la diversion pour détourner les regards et cacher ses méfaits. Je rappelle que le néolibéralisme est le régime capitaliste où l’État met la puissance publique au service des intérêts des gros propriétaires (la gendarmerie à Sainte-Soline ou le CICE). Sa dénomination même (nouveau libéralisme) est un écran de fumée. Les vrais libéraux sont d’ailleurs vent debout contre cette corruption systémique. 

A nous maintenant de sortir du credo du capital. Non, tout ne peut pas se vendre comme une marchandise. Non, l’endettement n’est pas indispensable à la libre entreprise. Non, le capital ne mérite pas ses dividendes. Non, le travail n’est pas une charge pour l’entrepreneur. Non, le marché ne s’autorégule pas. Non, l’accomplissement de la tâche n’est pas un préalable au salaire. Non, le loyer ne doit pas être payé d’avance. Non, la caution n’est pas un prélèvement légitime. Non, la consommation n’est pas à la source du bonheur. Non, mon bien-être individuel n’est pas au-dessus de tout. Non, ma liberté n’a pas le droit d’emmerder le peuple. Non, ma petite personne ne passe pas en premier. Non, je ne suis pas né pour profiter sans offrir. Non, réussir sa vie n’est pas « réussir dans la vie ». Non, l’État bourgeois ne récompense pas les meilleurs. Non, nous ne sommes plus en démocratie, d’ailleurs, y a t-on jamais été?

Bref, on a du pain sur la planche avec tout ce que la propagande « libérale » a ancré en nous depuis tant d’années. Vidanger nos propres tuyaux va sans doute être un poil douloureux. L’illusion est la plus sûre des prisons. A tel point que nombreux sont ceux parmi nous qui n’en veulent pas sortir, qui défendent leurs geôliers et repeignent les barreaux. Admettre qu’on se trompe est beaucoup plus pénible que d’exiler le bouc-émissaire. Ça n’empêche pas de virer le bouc: il empeste trop pour qu’on le garde. Il va falloir également qu’on se débarrasse de l’odeur qu’il a laissée sur chacun de nos poils. Et pour la faire partir, cette satanée puanteur du capital, il va falloir plus d’un lavement. #purgedeprintemps


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À propos de l'auteur(e) :

Christophe Martin

Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.


Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès

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