Le temps des pourquoi
Alors même que le calendrier me faisait devenir père pour la deuxième fois, le printemps se re-présentait à nous avec la lumière de ce nouvel amour sur un horizon assombri. Dans la maisonnée, l’aîné semble s’épanouir dans le questionnement de chaque molécule qui nous entoure. Le pourquoi est raboté au niveau du « pouquoi » dans une naïveté pleine de gaieté, de beauté et d’apprentissage. Ces questions font le bonheur de ta maman et de ma curiosité intrinsèque d’une vieille formation anthropologique. Je ne cesse de le répéter que nous sommes ceux du fond du village, ceux de l’entrée du bois mais cela ne regarde que nous finalement… quoique ?
Est qui papa les dames ? Comment te dire ? C’est des gens qui viennent contrôler si papa et maman ils travaillent bien… pouquoi papa… parce que… comment lui expliquer cela, je ne sais pas, je ne sais plus. Je vais essayer de t‘expliquer. Ces dames viennent vérifier que le sol du SAS sanitaire est bétonné, que l’on a la preuve d’avoir fliqué le moindre individu sur la ferme, le moindre enfant venu satisfaire sa curiosité, que notre paille est bien protégée du moindre suidé sauvage, que l’on chaule bien la terre pour atomiser le moindre germe le moindre virus, que notre clôture d‘enceinte est bien sous tension après avoir été sous tension pendant neuf mois suite à la première visite. Et tu sais, mon amour, encore plein de choses. Elles vont où les dames papa ? Elles rentrent chez elles ou plutôt dans leur bureau où elles attendrons une énième action de ma part pour décrire, noter les moindres protocoles sanitaires que nous pratiquons…pourquoi, pour qui, dans quel but ? je ne sais plus, mon petit. Je sais juste que je me suis soumis car je ne pouvais pas faire autrement, car je ne veux pas mettre à plat notre ferme et ce que cela sous-entend. Je t’expliquerai quand tu seras plus grand ce que Marianne a perdu de sa logique au profit de l’économie républicaine au bonnet phrygien tombé pour la protection de lobbies mortifères.
Papa pouquoi la voiture jaune elle s’arrête ?… généralement ce n’est pas bon signe, tu sais. Le postier, comme à son habitude, court après le temps et, au dévolu, pose quelque lettres dans notre vieille boite qui branle à chaque coup de vent. Ce matin, c’est ta maman qui répondra car je cours aussi entre le premier plateau de notre beau Jura et la plaine qui nous aura accueillis tant bien que mal, ta maman et moi, dans nos envies de devenir paysans.
Les sourires de façade me rendaient complaisant avec ma naïveté bien connue que je déteste aujourd’hui tellement elle me fait souffrir. C’est la lettre de l’union des revanchards ou des jaloux, je ne sais pas, je ne sais plus, des motifs abjects qui me font bondir et me forgent chaque minute, chaque seconde. Oui, mon petit, la profession en manque d’avenir, de repreneurs aura voté à l’unanimité l’emmerdement de deux jeunes néoruraux que l’on déteste avec facilité. Pour des questions de quoi ? De rien ! Juste de la manipulation d’un nervi schizophrène qui aura réussi à distraire la meute. Comme l’on dit, mon petit, la propriété c’est le vol… vaste débat, je n’ai pas de réponse, pas d’avis lorsque ce que l’on nous reproche est infondé et que le balai ferait mieux d’être passé chez chacun d’entre eux. On est pas loin du meilleur sketch de l’année… pouquoi papa?… je ne sais pas !
Est qui papa ? C’est Marine ! Tu te souviens, elle était venue soigner Demeterre ? Est qui ? Marine est ostéopathe pour les animaux, tu sais les chevaux, les vaches , les chiens… les chihuahuas, papa ? Oui. Comme tonton Clément ? Oui, mon cœur, les chihuahuas de tonton ont aussi droit à leur séance !
Encore une mise en abyme de cette situation sur laquelle je n’ai plus de force pour sortir de ma position et réfléchir juste une seconde. En fait depuis presque quatre ans, j’ai foncé la tête baissée avec pas mal de certitudes et de confiance vis à vis de nos truies et de notre verrat. La réalité est bien violente en ce début d‘année. La claque fait mal ! Ça cloche, ça va pas ! Ce suidé qu’est le cochon a une capacité de vie approchant les 15 ans, exceptionnel animal qui valorisait le moindre aliment, le moindre déchet, merveilleuse poubelle de toutes les fermes à la diversité génétique régionale n’est visiblement pas chez moi. Passant de 35 races à la fin de la deuxième guerre mondiale à pas moins de 4/5 aujourd’hui: pourquoi cela ? Je ne sais pas, je ne sais plus…. Comme annoncé par le commercial qui nous a vendu ces truies de compèt’… vous verrez, Mr Perrin, on se rappelle dans trois ans après la 7/8ème portée. Vous nous recommanderez des cochettes. Hein ? Pppfff, il est taré, lui ! Nous, nos belles, on les gardera bien plus longtemps que ça ! Et là PATATRAS! Force est de constater que le salaud avait raison ! Genre d’obsolescence programmée du vivant ! J’en pleure seul dans mon coin car j’veux pas montrer à la maisonnée la dureté de cette réalité. Marine comble ce détraquage corporelle avec passion et soin ce qui se voit de suite pour nos louloutes qui changent d’aspect de motricité. Génétique dirigée pour créer une consommation outrancière d’individus jetables ? Je ne sais pas. Summum de la situation: en diversifiant l’alimentation de nos cochons, quelque chose nous frappe, nous coupe l’herbe sous le pied, sic ! Légumes bio, drèches bio, herbes coupés, graines germées bio, pain bio, rien n‘y fait ! La star, c’est la poudre ! La farine que je réalise dans notre petite fabrique d’aliments avec des céréales bio locales. Papa, pouquoi y mangent pas la betterave, papa… je sais pas, mamour… je sais plus…. Aiment pas le pain les kikis, papa ? La soupe est tant insipide avec tant de diversité ? Mais où est-il le cochon des fermes de nos grands parents, le cochon initial, celui que l’on n’a pas rebooté ? Je ne sais pas, je ne sais plus et ce constat se retrouve même dans les races dites encore rustiques que ces salopards ont sélectionnées pour le caillebotis, le béton, la porcherie. Papa, pouquoi on a ramené des cochettes ? Parce que j’aimerais pouvoir te répondre avec certitude, pouvoir te répondre que ton avenir et celui de ton petit frère se jouent maintenant ! T’annoncer que papa et maman font tout leur possible pour essayer de retrouver l’essence même du cochon, cet animal hyper valorisant pour les déchets, cet animal perdu que l’on pensait élever. Ces deux cochettes, mon petit, sont le début d’un travail besogneux qui nous attend mais essentiel ! Nées depuis deux générations, dehors, tout commence avec elles !
Vincent Perrin
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La Rédac'
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