En revenant de Lure…
Libres Commères m’a envoyé en reportage gonzo à Lure. Je rappelle pour nos amis oublieux qu’un reportage gonzo consiste à s’immerger dans un évènement pour ensuite le relater d’une manière vivace et très très personnelle. Et nous retrouvons donc notre envoyé spécial légèrement somnolent dans le bus affrété par l’Union écolo et sociale et le Comité de défense des Hostos publics de Dole. Pourquoi va-t-on se perdre dans cette sous-préfecture, au-delà de Vesoul, en ce samedi 13 mai, alors qu’on a prévu au moins une bonne rabasse à Météo France au cours de la journée pour dissuader les gens de venir? Parce que c’est un rendez-vous national pour la défense des services publics, ou plus exactement pour donner à ces dits services publics un nouvel élan. Je bosse actuellement sur l’État et bien évidemment ça m’intéresse, ce nouvel élan. Bon, à ce sujet, j’ai pas obtenu une once d’éléments. Il fallait sans doute s’inscrire à des conférences pendant ces trois jours. Question stands, y avait bien des tentes Cgt dans le village des services publics mais aucun endroit pour faire avancer ma réflexion sur le sujet. Y avait pléthore d’autocollants et de prospectus mais je ne suis rentré qu’avec 1) une carte postale de l’Affiche rouge 2) un violentomètre de la Cgt 3) un prospectus des employés du rail qui fait enfin la différence bien marquée entre sûreté (dans les trains) et sécurité (sur les voies) 4) les paroles des chansons des Rosies franc-comtoises et jurassiennes. Les Rosies, parlons-en des Rosies! Elles ont sans conteste été les vedettes de la manif de l’aprem. Bleu de travail, bandeaux rouges à point blancs et gants jaunes, elles se sont taillées la part du lion dans la convergence des luttes. On était tout de même là pour les services publics, un temps, joyaux de la République française que le néolibéralisme macronard dézingue à tout va aujourd’hui en prétendant sauver les meubles. Sur la question, je n’ai rien appris mais je n’ai pas vraiment cherché non plus à en savoir plus. L’hôpital, je sature un peu. L’Éduc’ Nat’, je fais une allergie personnelle à la bouche en cul de poule de Ndiaye. En triant mes photos, je me dis que j’aurais peut-être dû aller tendre mon micro aux forestiers car si je connais le sort des blocs ambulatoires, du fisc, de l’école et du ferroviaire, je n’en sais pas très long sur l’état de l’ONF. Mais les manifs, c’est fait pour se sentir ensemble et de ce point de vue, celle de Lure est une belle réussite. Sur un plan quantitatif, on n’était pas ridicule mais loin du raz-de-marée annoncé. 1500, 2000, un peu plus peut-être, mais on s’en fout. Pas beaucoup de jeunes, ça, c’est sûr. Pourtant l’ambiance était bonne. Y avait Emma qui filmait pour Média 25, Dominique qui prenait des photos de groupe, de son groupe. Une fanfare vraiment inspirée qui est déjà venue à Dole, une batucada tonique, une scène mobile et musicale animée par SUD, à mon avis, l’un des meilleurs moments de la déambulation avec une impro démentielle sur « y en a ras le bol de tous ces guignols, qui ferment nos usines, nos hôpitaux et nos écoles », une scansion diablement entêtante. J’ai pas toujours vu en revanche l’intérêt de manifester dans des rues désertes où y avait plus de gendarmes en mode touristes que de spectateurs aux fenêtres. Y a même certaines rues de Lure qui ont vécu leur évènement du siècle. Heureusement qu’on n’a pas cherché à casser quoi que ce soit parce qu’on n’aurait pas trouvé grand chose à se mettre sous le marteau. Mais je suis mauvaise langue, j’ai passé une bonne journée avec des gens que j’aime bien et que je respecte pour leur engagement. Les politiques ne nous ont pas fait chier avec des discours interminables et les soignants suspendus ont pu faire un peu de bruit mais ça reste le point noir du moment: y a une grosse tache, non seulement sur le ministère de la Santé, mais sur tout l’hôpital public. Une tache de honte et de mensonge que pas mal de gens ont intérêt à faire disparaitre sous le tapis. Or on ne sauvera nos services publics qu’avec des gens de conviction et déterminés. Servir l’État, c’est à dire servir la nation française, ça ne se fait pas seulement en obéissant à des ordres venus des bureaux du dessus et en appliquant des décisions aussi iniques soient-elles. Servir la communauté, c’est s’engager dans une mission pleinement consentie parce que murie ensemble. C’est notre seul rempart contre la bureaucratie rampante des ratés qui ne demandent qu’à occuper le vide que laisse la démission morale généralisée. Les suspendus payent très cher leur résistance à ces croquemorts bureaucrates (Buzin, Salomon, Véran, l’ordre des médecins aux ordres). Après, personne ne réclame des excuses de la part des personnels triplement vaccinés: on leur demande simplement de ne pas s’acharner dans leur aveuglement. On ne sauvera l’hôpital, l’école et tous les services publics qu’en arrêtant d’obéir à des menteurs stupides, des arrivistes individualistes et des conformistes crédules. Nous ne sommes plus en démocratie depuis un bon bout de temps, depuis que la machine étatique s’est mise au service de sa propre casse. Appliquer les réformes néolibérales, suivre les directives de la commission européenne et continuer à accepter que des imbéciles (Borne, Attal, Le Maire, Dussopt, Véran encore, Ndiaye toujours, ah, j’oubliais Darmanin, la liste est longue…) mal élus ou pas mais qui occupent les bonnes places, bousillent notre pays par leur incompétence néfaste. Dans les rues de Lure, j’ai vu plein de camarades de bonne volonté. Mais on aurait pu être 10 000, ça n’aurait malgré tout fait de nous qu’une poignée par rapport au pays qui ne tarde à se mouvoir. Pour avoir une petite chance de changer les choses, faudrait au moins qu’on soit des millions dans la rue, à bloquer les artères du capitalisme pour qu’il fasse une thrombose, et au plus vite. Parce que sinon, le poison que Macron et ses guignols nous injectent tous les jours dans les corps d’État. Sur le chemin du retour, dans le bus, en regardant défiler la campagne de la haute-Saône pourtant si riche, je me demande comment d’aveuglement en démission, de renoncement en trahison, on en est arrivé là. Combien de doses de saloperie néolibérale va-t-on encore accepter avant d’arrêter le saccage? Comment faire comprendre aux gentils castors que la charité pue la fausse conscience, que taxer les riches, c’est pas suffisant, et qu’on ne remettra les services publics sur les rails qu’en changeant radicalement de modèle économique? Je me suis alors souvenu de cette dame, pas toute jeune, avec ses panneaux pas très pro mais vraiment sincères. Bravo à tous ceux qui ont fait le voyage à Lure! Bravo à toutes les Rosies de France! Et bravo aussi à ceux qui étaient au rond-point d’Innovia, à ceux qui se sont levés tôt pour bloquer ou couchés tard pour coller sur les murs ces dernières semaines! Bravo à tous mes concitoyens qui veulent autre chose que des urnes pleines de cendres amères! Et merci de ne pas flancher!
À propos de l'auteur(e) :
Christophe Martin
Passionné de sciences humaines mais d'origine bretonne, je mets mes études en anthropologie et mon humour situationniste au service de mon action politique et sociale.
Formateur dans l'industrie et pigiste au Progrès
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